Un moment Dreyfus en France?
Yolande Cohen est professeur titulaire au département d’histoire de l’université du Québec à Montréal (1976-) et directrice exécutive du CCIFQ depuis juillet 2004. Elle a été professeure invitée dans des universités américaines (Harvard, Princeton, UCLA) et françaises (EHESS, Paris VII, VIII, et X).
Spécialiste de l’histoire des femmes, ses recherches portent principalement sur l’histoire des mouvements sociaux et identitaires en France et au Canada au XXe siècle.
Elle est l’auteure de nombreux ouvrages et articles scientifiques: Profession: infirmière (Les presses de l’université de Montréal, 2000); en collaboration, Les sciences infirmières. Genèse d’une discipline (Les presses de l’université de Montréal, 2002); Femmes de Parole. Histoire des Cercles de fermières du Québec (Le Jour, 1990); Les Jeunes, le socialisme et la guerre ( L’Harmattan, 1987).
Elle est co-auteur d’une étude sur Les Juifs marocains à Montréal (avec M. Berdugo Cohen et J. Lévy, VLB, Montréal, 1987), d’un ouvrage de synthèse avec J. Y. Lévy, Itinéraires Sépharades. L’odyssée des Juifs sépharades de l’Inquisition à nos jours » (Grancher, Paris, 1992) et d’un Cédérom interactif Les juifs marocains, traditions et modernité (Doxamedia, 2000).
Elle est actuellement présidente du comité de recherche Religion et politique de l’Association internationale de science politique
Au cours des dernières années, des actes antisémites ont été perpétrés qui témoignent, tant par leur ampleur que par leur répétition, de transformations profondes de la société française. Plus que toute autre manifestation de la vulnérabilité et de la précarité, l’antisémitisme devient l’exutoire facile des phobies sociales. Aujourd’hui l’antisémitisme verbal d’un Dieudonné est considéré comme faisant partie du répertoire de l’humour, et ne semble pas pouvoir être arrêté. Conjugué à cet antisémitisme, l’antisionisme semble de bon aloi dans des milieux académiques et universitaires enclins à défendre la cause palestinienne tandis qu’est oublié le passé de la France coloniale.
Au nom de l’universalisme républicain, peu d’universitaires s’aventurent à parler d’une vague antisémite, alors que la France a connu trois événements tragiques ces deux dernières années. Que ce soit l’assassinat sauvage d’Ilan Halimi, la tuerie de l’école Ozar Hatorah de Toulouse par Mohamed Merah ou plus récemment celle du musée juif de Bruxelles, ce sont des juifs qui sont tués, parce que juifs. À cela s’ajoute une atmosphère délétère qui plombe la vie de milliers de juifs pratiquants qui osent à peine s’afficher comme tels dans la rue, au risque de se faire attaquer sauvagement.
Devant la prolifération de cas, qui ne sont plus isolés, mais finissent par constituer une tendance lourde, des milliers de juifs ont choisi de quitter la France pour aller s’établir en Israël. Leur Alyah, évaluée à 4000 personnes en 2013 et à 3200 depuis janvier 2014, se poursuit à un rythme soutenu cette année et n’est pas anodine. Ceux qui ont choisi de partir ne croient plus qu’ils ont encore leur place en France; prendre la parole et dénoncer ne suffit plus. Leur départ, fruit de décisions individuelles, s’ancre dans une appréciation commune de la situation des juifs en France. Alors qu’elle est la plus importante et la plus dynamique d’Europe, la communauté juive est la cible d’un antisionisme de gauche combiné à un antisémitisme de droite qui ont tous deux repris le haut du pavé et permis en quelque sorte cette banalisation de l’acte antisémite.
Or peu d’analystes, que ce soit dans les médias ou dans les universités et encore moins dans les cercles politiques, prennent acte de cet état de choses. Les sanctions judiciaires pour ceux qui commettent ces actes sont faibles et les motifs ne sont pas clairement identifiés comme antisémites. Tout se passe comme si on cherchait à apaiser l’opinion publique en euphémisant des actes dont on dit qu’ils relèvent soit de la folie individuelle soit du terrorisme, mais pas d’un regain d’antisémitisme. Le politique semble avoir perdu le contrôle d’une société civile qui sécrète ses propres règles. Alors que les lois garantissent l’égalité de tous devant la loi, on assiste à une espèce de dévoiement de l’esprit des lois dans la pratique: l’insécurité règne dans les rues qui échappent à l’ordre républicain.
À la fin du XIXe siècle, l’Affaire Dreyfus avait en son temps divisé la France en deux camps opposés, les dreyfusards et antidreyfusards; mais devant l’incurie de la Troisième République à appliquer ses propres lois à un capitaine français, soupçonné de trahison, car il était juif, seul un intellectuel comme Zola suivi plusieurs années après par un politique comme Jaurès s’étaient élevés pour dénoncer la machination dont celui-ci était victime. Toutefois l’antisémitisme ne faisait déjà pas partie de leur vocabulaire et c’est comme citoyen que Dreyfus fut défendu par cette partie de la gauche qui s’en est finalement préoccupé (le parti ouvrier de Jules Guesde ne voulant pas s’immiscer dans un débat qui opposait la banque juive aux autres capitalistes !!). Alors que Drumont et consorts clamaient haut et fort leur haine des juifs, les républicains et les socialistes, quand ils étaient dreyfusards défendaient l’homme, pas le juif!
Cette haine des juifs proférée par des nationalistes européens à cette époque, combinée à l’aveuglement de la gauche socialiste fut le terreau dans lequel l’idéal sioniste a germé chez un Théodore Herzl en particulier. Si l’Histoire ne se répète que rarement, elle permet de tracer une généalogie à des faisceaux événements qui prennent alors tout leur sens. L’antisémitisme a été et est bien présent en France; il doit être combattu pour ce qu’il est. Et bien que ce soit aussi un véritable révélateur d’une crise économique majeure, la banalisation contemporaine de l’antisémitisme ne fait qu’aggraver la crise morale que traverse la France. Elle traduit aussi une très étrange et déplorable vacance du politique.
lire l’article du HUFFINGTONPOST en cliquant sur le lien ci-après
http://www.huffingtonpost.fr/yolande-cohen/antisemitisme-en-france_b_5514110.html
happywheels
De nos jours et à 99% l’antisémitisme en France, meurtres, agressions, insultes provient de ceux que les médias nous présentent comme des chances pour la France, c’est à dire la racaille islamisée!
Pour en revenir à l’Affaire, elle a illustré un principe que les services de renseignement et de manipulation connaissent bien. Utiliser la faiblesse de l’ennemi, et ses idées reçus, ses superstitions.
Ainsi, un agent du Kaiser était dans une mauvaise passe, sur le point d’être découvert, suite à une négligeance. Il avait omis de détruire un mot et un Français-femme de ménage- l’avait trouvé.
Alors contre toute vraissemblance, le service Prussien avait fait porter les soupçons sur un militaire français. Et ça a marché, malgré la différence d’écriture, la grossiereté du stratagème!
la guerre de 14 se profilait à l’horison.
l’occasion de semer la discorde chez l’ennemi d’affaiblir son armée en utilisant ses failles(anti sémitisme) était très belle!
Merci Richard, c’est vraiment pertinent et enrichissant