Tous les antisémites ne sont pas des fous
par Emmanuel Debono
À la suite d’un rapport d’expertise sur la personnalité de Kobili Traoré, assassin de Sarah Halimi, le parquet a fini par qualifier d’antisémite le crime ignominieux qui avait été commis le 4 avril 2017 dans le quartier de Belleville (Paris). Alors que tout semblait concourir, dès le début, à cette qualification, l’état dans lequel se trouvait le meurtrier au moment des faits – notamment sous emprise du cannabis et de « bouffées délirantes » – empêchait les magistrats de tenir ce crime pour ce qu’il était, provoquant en cela l’émotion et l’incompréhension d’une partie de l’opinion. L’expertise psychiatrique a donc conclu à une altération partielle du discernement de l’assassin et au fait que cette partialité ne lui avait pas ôté toutes formes de responsabilité.
La folie comme circonstance non atténuante
Dans sa chronique sur Europe 1 du 21 septembre 2017, Raphaël Enthoven a réagi à cette décision, en rappelant avec justesse que « la folie de l’assassin [était]parfaitement compatible avec l’antisémitisme de son geste. » Ainsi, quand bien même Traoré aurait été complètement fou, la circonstance aggravante de l’antisémitisme était recevable. Enthoven interroge : « En quoi l’abolition du discernement a-t-elle pu constituer une fraction de seconde un argument en la défaveur de l’antisémitisme ? » Avec malice, le philosophe laisse entendre que la folie pourrait se situer du côté de ceux qui peuvent envisager qu’une intention s’efface dès lors que la raison s’absente. Ainsi, faudrait-il que l’auteur d’un crime soit en complète possession de ses facultés mentales pour que, nonobstant sa personnalité, ses convictions et la nature de ses actes, le ciblage précis de sa victime entre en ligne de compte ?
Des errances symptomatiques
L’histoire de l’antisémitisme abonde en parias, marginaux, esprits dérangés, qui vivent dans la haine du Juif. Faiblesse d’esprit, influençabilité, état d’ébriété… les autorités policières ou judiciaires ont souvent eu le réflexe d’atténuer ou de relativiser, au moins dans les termes, la nature et la portée des délits, au regard des facultés présumées de leurs auteurs au moment des faits. La raison s’absenterait à un instant T, sous l’effet d’une illumination, d’une bouffée délirante, d’un excès d’alcool, ôtant toute valeur aux obsessions passées du criminel ou à la spécificité du choix de sa victime.
L’altération ou la disparition passagère de la raison est pourtant, en la matière, un argument fragile, qui interdit de nommer ce qui est. De tels atermoiements et hésitations invitent à s’interroger sur la connaissance même de l’antisémitisme de certaines élites, notamment sous ses formes idéologiques et passionnelles. Ils posent aussi la question du rapport individuel et collectif à un phénomène, dont les manifestations sont couramment relativisées ou niées. Ces errances desservent la lutte contre l’antisémitisme et, plus généralement, contre le racisme, en introduisant une rupture inappropriée entre les convictions, les attitudes courantes et le passage à l’acte, ce dernier n’ayant pour autant rien de fatal.
Des fous parmi les antisémites (et inversement)
En revanche, la conclusion de Raphaël Enthoven, par un curieux renversement de perspectives, pouvait surprendre : « Tous les antisémites sont des fous. » Qu’un demi fou ou un fou commettent un acte antisémite ne légitime pas, en effet, l’argument de la folie antisémite. Il n’existe pas de continuité entre la juste qualification des faits, qui ont conduit à la mort de Sarah Halimi, et l’affirmation selon laquelle ceux qui se montreraient méfiants, hostiles ou haineux à l’égard d’une catégorie de personnes, auraient une raison ou une conscience altérées.
Une telle affirmation peut soulager, par le bonheur de discréditer les auteurs de tels actes, comme il est de coutume de dénigrer un adversaire en s’attaquant à son intelligence ou à sa santé mentale. Or, l’histoire de l’antisémitisme, dans sa longévité et sa complexité, est aussi celle d’individus normalement constitués, en ce qui concerne leur conscience, leur intellect ou leurs activités quotidiennes. Au-delà de celles et ceux qui font un usage banal et ponctuel, dans leur vie courante, de poncifs antisémites, on pourrait se borner à l’évocation de la pensée antijuive de Charles Maurras (1868-1952), de ses émules et de ses continuateurs, qui défendirent pendant plusieurs décennies, en France, le principe de la mise en œuvre d’un antisémitisme d’État. La frénésie qui pouvait animer le leader royaliste ne s’apparentait ni au délire ni à la folie. En témoigne son influence intellectuelle en son temps, jusque dans les mesures de persécution prises par le régime de Vichy.
L’impasse de la pathologisation
Tenir « les antisémites » pour des fous est inexact et comporte le risque de dédouaner celles et ceux qui seraient tentés de se réfugier derrière l’argutie de la folie, fût-elle passagère, pour atténuer le poids de leurs responsabilités. La formule, érigée en titre de la chronique de Raphaël Enthoven, dessert l’analyse du phénomène, en définissant un profil antisémite type, alors que les traditions en la matière se caractérisent par leur variété.
L’antisémitisme peut certes emprunter des formes pathologiques, chez certains ou certaines, il ne peut pour autant être exclusivement défini, pas plus que l’ensemble des racismes d’ailleurs, comme une pathologie. On comprendrait mal, si c’était le cas, qu’un ambitieux plan de mobilisation sanitaire n’ait pas encore vu le jour en France.
Source :
http://antiracisme.blog.lemonde.fr/2017/09/22/tous-les-antisemites-ne-sont-pas-des-fous/
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