Terrorisme islamiste et folie : la question du discernement au coeur du débat

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Avec Daniel Sibony
Les effets du terrorisme islamiste sur la société occidentale sont complexes et pour cause, il constitue la frontière la plus brûlante entre deux cultures. J’ai exploré cette frontière dans plusieurs ouvrages et je voudrais me centrer sur le rapport à la folie, notamment sur ce qui fait que des magistrats court-circuitent le procès de plusieurs tueurs islamistes, dont celui Sarah Halimi, en arguant qu’ils n’avaient pas, lors de l’acte, tout leur « discernement ».
Cela pose une grosse question à la fois théorique et dramatiquement concrète : beaucoup d’islamistes, pour mettre en acte la vindicte antijuive qu’ils puisent dans leur Texte sacré, feront passer l’exaltation que ça leur procure pour un état d’absence à soi et d’agitation « anormale », et il y aura assez de « frères » pour témoigner que ce jour-là, oui, « il n’avait pas l’air normal ». Mais, à supposer que le mot « normal », contesté de partout, doive être ici maintenu comme repère solide, peut-on être dans un état normal quand on tue des gens au nom de son Dieu ? Peut-on être sans aucun « trouble » quand on a ce programme en tête ?
Dans le cas de Traoré, le tueur de S. Halimi, l’homme était agité et assez désemparé en se préparant à agir. On le serait à moins, surtout quand on n’est un djihadiste aguerri mais qu’on sniffe de temps à autre des appels coraniques pointant les autres comme « maudits » par Allah, comme des figures de Satan. Mais voilà que ces symptômes d’agitation, plutôt normaux dans le contexte, vont être coupés de leur sens et brandis comme les signes d’une maladie. Or, même avec cet abus, on ne peut pas l’exonérer, car selon la loi, le malade qui tue n’est déchargé de son crime que si seule la maladie l’a poussé à le commettre. Ici, ce n’est pas le cas, on en viendrait même à conclure que l’agitation précédant l’acte rendrait l’homme, tout simplement, non-responsable de cet acte. Ce qui paraît un comble, mais on persiste dans cette logique bizarre puisqu’il est dit qu’il avait« beaucoup fumé », ce qui est encore normal pour se donner du courage et se « fixer » avant l’acte. Or le nombre de joints, c’est lui qui le dit et on le croit, dix, vingt ? Comment voulez-vous qu’avec vingt joints il ait tout son discernement ? On peut admettre que pendant l’acte et peu avant, il était dans un état pathologique, mais c’est lui qui l’a provoqué, et en toute sincérité : il avait besoin de courage pour être à la hauteur de son projet. Finalement, la préparation de l’acte peut vous dispenser d’en répondre. On est donc dans la caricature, et c’est presque un conseil pratique pour ces braves gens : préparez bien votre acte pieux, cela vous évitera le procès.
Et surtout, cela évitera à la justice de statuer sur le motif et le contenu de pareils actes. D’autant que ceux-ci ne sont pas toujours assumables par leurs auteurs, tous n’ont pas des nerfs d’acier, et souvent ils découvrent les appels qu’ils exécutent, ou bien ils découvrent, à des moments de ferveur un peu exaltée, que ces appels qu’ils connaissaient, doivent pouvoir être accomplis, après tout, puisque les victimes désignées circulent sous leurs yeux.
Mais le niveau plus profond du problème est l’écart entre les deux cultures. Un énoncé comme « les juifs sont des singes et les chrétiens des porcs » ou comme « il faut les combattre jusqu’au bout » sonne un peu délirant aux oreilles occidentales, mais il est très tenable et bien tenu dans l’espace islamique. Cela ne veut pas dire que ces sujets sont « antisémites » au sens occidental, ils peuvent être très conviviaux mais si, pour des raisons variables, l’appel sacré s’impose à eux, à un moment où ils veulent donner « plus de sens » à leur vie et la rapprocher du sacré, ils peuvent le mettre en acte. Un ami médecin me dit que son épicier marocain, très gentil comme ils le sont tous, lui a dit placidement : « Vous savez, il y a eu la Bible, puis l’Évangile, et le Coran les a coiffés, il les englobe, donc vous serez tous musulmans tôt ou tard ».
Ces sujets donc, dont l’exaltation est variable, peuvent aller jusqu’à crier leur invocation quotidienne (Allah est le plus grand) en plantant le couteau, acte par ailleurs très signifiant : ils pourraient faire plus de victimes avec des moyens plus modernes, mais ils préfèrent un acte dont la qualité religieuse est supérieure puisqu’il évoque le sacrifice, ils sacrifient à leur Dieu une victime insoumise donc impie. Cette attitude déjà est un peu délirante, décalée de la réalité. En somme, quand ils s’explosent, ils échappent au jugement par la mort, mais voilà qu’ils y échappent aussi s’ils se contentent de tuer au couteau en ponctuant leurs actes d’appels religieux contre la victime. Ils y échappent car le procès risque d’évoquer et de mettre en cause la vindicte envers leurs victimes, qui est écrite noir sur blanc dans le Texte fondateur .Le terrorisme se réclamant de cette religion échapperait donc par principe à la justice car si on le juge, on porterait un jugement sur cette religion.
Or ce discours, écrit dans un Texte sacré, est lu et psalmodié quotidiennement dans tous les lieux où la religion est évoquée, ainsi que par les plus pieux en solitaire. Le fait que s’y ajoute une bonne dose de hash (n’oublions pas que c’est de là que vient le mot assassin : hashishin), lequel hash est de consommation courante dans ces milieux, ce fait et certains troubles qui s’y rattachent, cachent mal le discours mis en acte en réponse aux appels sacrés, lesquels s’adressent aux plus croyants, exigeant d’eux un « effort » personnel (effort = djihad).
Admettons que ce qui est délirant c’est de vouloir mettre en acte ces appels pieux et non les appels eux-mêmes qui relèveraient de la religion. Ce serait déjà problématique : la religion est respectable si elle est le bien de chacun et de chaque communauté ; si elle empiète sur les autres notamment sur la vie des autres au point de la leur ôter, il est normal que la justice si intéresse.
Au lieu de cela, elle semble plutôt leur dire : attention, si vous appliquez ces appels, surtout en état d’ivresse « hashashine », vous êtes irresponsables, on ne pourra ni vous juger ni vous punir, on ne pourra que vous soigner. S’ils sont déjà en traitement, c’est une aubaine, comme c’est le cas pour le tueur récent de Villejuif : il a tué et blessé au couteau plusieurs personnes, et il en a épargné une qui lui a cité le Coran, prouvant par-là qu’elle était musulmane. (J’avoue que la même chose m’est arrivée à Marrakech quand j’avais 10 ans, je le raconte dans le roman du même nom : j’ai failli être non pas tué mais violemment tabassé par une bande de jeunes que j’ai stoppée net en lançant des versets du Coran que je connaissais par cœur car j’habitais près d’une mosquée).
C’était en terre de dhimitude, et ici on est en France.
Il faut donc reconnaître que les victimes de ces tueurs sont sacrifiées à deux titres, au titre religieux classique, où l’on égorgeait les vaincus de la guerre sainte (l’exemple princeps étant la tribu juive de Médine dont tous les mâles furent égorgés), et au titre laïque rationaliste, qui veut que de tels actes, portés par ces propos, sont vraiment hors des limites de la raison et sont en fait dans le champ de la folie.
Naguère, le mot d’ordre était : ne surtout pas laisser dire que de tels actes ont un rapport avec l’islam. Le message est bien passé, tout le monde sait que ce rapport est étroit mais qu’il ne faut pas le dire. Et voilà qu’avec ces actes on passe au cran supérieur : vu que le rapport avec l’islam transparaît trop clairement, il ne faut pas laisser dire que le discours des tueurs, qui cite presque à la lettre le Texte sacré, est un discours religieux, il ne peut être que psychotique, sinon c’est toute une religion qui serait pointée comme un peu folle quand elle veut s’installer dans une culture qu’elle-même conteste sans avoir les moyens d’effacer cette culture.
Au prix de tels mensonges, que veut-t-on protéger ? C’est un fait que la pensée de l’islam fondamental sécrète à tout moment, à sa surface, des tueurs au nom de Dieu, par un effet d’ébullition (que le hash, la névrose, la difficulté de vivre peuvent activer) ; mais bien des personnes de bonne foi pensent que si l’on reconnaît ce fait, on condamne nos compatriotes musulmans. Je soutiens qu’au contraire, cela rendrait pleinement hommage à leur calme, leur dignité, leur bon sens, vu que leur immense majorité n’envisage pas de mettre en acte ces paroles, elle sait que cela compromettrait la quiétude et le quotidien communautaires. Cette honorable communauté souhaite donc implicitement que l’on juge les terroristes pour la folie de leur discours ou pour celle de le mettre en acte.
Le blocage du procès ne vient pas de la masse des musulmans mais de l’appareil d’État qui en a peur. Peut-être craint-il aussi qu’on ne questionne, dans cette affaire, la Police qui était présente, tout juste derrière la porte, et qui n’est pas intervenue ?
Source :

https://www.atlantico.fr/decryptage/3585943/terrorisme-islamiste-et-folie–la-question-du-discernement-au-coeur-du-debat-daniel-sibony-

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3 Commentaires

  1. Rosa SAHSAN dit :

    C’est surtout cela monsieur Sibony. C’est la crainte d’avoir à questionner la fameuse police. Vous savez, celle qui était planqué derrière la porte de cette pauvre madame Halimi.
    J’aurais bien aimé connaître leur nom de famille à ces salopards.
    ROSA

  2. Paul06 dit :

    La Juge a d’autres motivations et même pas l’excuse d’avoir fumé un joint ou davantage. Le ministère de la Justice et la présidence de l’état ont accepté ce déni de justice. Justice pour Sarah.

  3. MAGUID dit :

    Pour moi, quand on a peur des mots, on n’est pas crédible. C’est même amusant, quand on s’appelle « les précieuses ridicules ». Mais dire islamiste au lieu de islaMIQUE, c’est plus drôle du tout.

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