Révélations sur Aloïs Brunner, le nazi de Damas

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« Le Point » a retrouvé, aux Pays-Bas, l’ancien gardien d’Aloïs Brunner. L’officier SS a terminé sa vie sous la protection du régime syrien.
Par Guillaume Perrier et Daham Alasaad
l se nomme Mohammed mais il se fait appeler Abou al-Yaman. Ce Syrien de 56 ans à la silhouette trapue et à la longue barbe taillée est arrivé il y a deux ans aux Pays-Bas, après un long périple par la Jordanie et par la Biélorussie. Sa demande d’asile vient d’être acceptée. Sa femme et ses enfants ont pu le rejoindre. La fenêtre de la petite chambre qu’ils occupent dans le centre d’hébergement pour demandeurs d’asile, à Utrecht, donne sur un centre équestre. Sur les chevaux, Abou al-Yaman est intarissable. Tout l’après-midi, il les regarde trotter dans le manège, tout en faisant mijoter son café sur une plaque électrique. Longtemps, sa famille a élevé des pur-sang sur le plateau du Golan, jusqu’à ce que ce territoire syrien soit conquis par Israël, en 1967.
L’homme s’éclaircit la gorge, manifestant son impatience de recentrer le sujet. Il sait que l’on est venu le voir pour parler d’Aloïs Brunner et pas de chevaux. Brunner était, pendant la Seconde Guerre mondiale, le bras droit d’Adolf Eichmann au sein de la section IV B-4 de l’Office central de la sécurité du Reich, celle consacrée aux affaires juives.
Pour nous, le nom de Brunner évoque Drancy et Salonique. Pour Abou al-Yaman, c’est un vieil homme qu’il a côtoyé de près pendant deux ans et demi, entre 1989 et 1991, à Damas, sans connaître son histoire. « En 1989, on avait deux chaînes de télé en Syrie, sans aucune ouverture sur le monde. Nous ne savions même pas ce qu’étaient les nazis, il fallait être éduqué, confie-t-il. Ce n’est qu’après l’an 2000, lorsque nous avons eu accès à Internet, que j’ai commencé à découvrir ce qu’il avait fait. »
Aloïs Brunner, l’un des criminels nazis les plus recherchés
La seconde vie d’Aloïs Brunner, un Autrichien né en 1912 devenu l’un des criminels nazis les plus recherchés après la Seconde Guerre mondiale, est très peu documentée. Après avoir vécu en Allemagne sous un faux nom jusqu’en 1953, il a fui en Égypte, dont le régime militaire se montrait plutôt accueillant avec les anciens nazis. En 1960, à 48 ans, l’ex-officier SS s’installe en Syrie. Il y terminera ses jours, au début du XXIe siècle. De ses cinq décennies syriennes, on ne connaît rien ou presque.
En 1988, Abou al-Yaman a 20 ans. Le jeune Syrien est appelé sous les drapeaux pour son service militaire. « Après six mois de classes, j’ai été affecté à la branche 300 des services de renseignement syriens, celle qui est chargée du contre-espionnage et de la protection des personnalités. C’est la division la plus secrète », raconte le réfugié.
On l’envoie à Damas, dans le quartier chic de Sebki, celui des ambassades et des hauts dignitaires du régime baasiste. « Mon officier me conduit devant un immeuble. Il m’explique que c’est une mission sensible. Deux soldats gardent la porte, sur la rue. Deux autres patrouillent en civil. En entrant, je vois deux gardes qui se trouvent au premier étage. Deux sont postés sur le toit… Les huit tournent toutes les deux heures et quatre autres viennent en renfort en cas de tension. On travaille un jour sur deux. Je pensais que nous devions protéger un haut gradé de l’armée. »
D’une voix calme, il poursuit son récit : « Je reviens le lendemain. Dans l’appartement au premier étage, je vois un vieil homme, qui avait alors 77 ans, grand et maigre, une main abîmée, il avait des cicatrices sur le visage. J’ai demandé à Yasser, un autre garde, qui était cet homme. Les autres m’ont répondu : “On l’appelle Abou Hussein. Mais tu ne devrais pas poser ce genre de questions.” Notre équipe du contre-espionnage était elle-même surveillée par une autre branche des renseignements syriens. »
Du lait frais, de l’opéra et la BBC : le quotidien d’Aloïs Brunner
Qui est Abou Hussein ? Un ancien nazi, lui révèlent finalement les autres soldats. « Un collègue disait en plaisantant : “Peut-être que c’est Hitler que nous gardons ?” » Après quelques mois, le jeune garde apprend que l’homme sur lequel il veille se fait appeler Georg Fischer. Au gré des tours de garde, il observe la vie quotidienne de l’ancien chef du camp de Drancy.
À ses cerbères, l’ex-Hauptsturmführer SS, qui parle avec un fort accent étranger, réclame qu’on lui apporte chaque matin, au petit déjeuner, un litre de lait frais, acheté dans une boutique du centre-ville, ainsi que les journaux du jour. Il se lève à 6 heures et commence sa journée par une heure d’exercices physiques. Il écoute de vieux vinyles d’opéra, à fort volume, ou la BBC sur un poste de radio. Dans le petit salon attenant à sa chambre, il se consacre à la lecture, avec une passion inextinguible pour les ouvrages de botanique. Il mange de manière frugale, toujours sans sel. Après la sieste, il s’installe devant sa machine à écrire est-allemande et tape pendant des heures. « Pour écrire quoi ? On ne sait pas », raconte Abou al-Yaman dans un haussement d’épaules.

Un colis piégé lui arrache 4 doigts en 1981
Par la porte entrebâillée, les éclats de voix quotidiens de Georg Fischer se répandent dans l’immeuble dont il est le seul occupant, au 7 de la rue Georges-Haddad. « Il était toujours en colère. Il nous criait dessus. Sauf quand il écoutait de la musique classique », se souvient Abou al-Yaman. Le jeune garde commence à nouer avec l’Autrichien des liens particuliers. « Il voulait me faire apprendre l’allemand », confesse-t-il.
Fischer ne sort quasiment jamais, sauf pour rencontrer des officiels du régime ou pour des rendez-vous médicaux. « Sur toute la durée de mon service, plus de deux ans, cela a dû arriver moins de cinq fois. » Sur le toit, il élève des lapins et une tortue. Une ligne téléphonique lui permet de communiquer avec l’extérieur. Il maintient ainsi le contact avec son ex-femme et sa fille, à Vienne. « Mais c’était comme une prison pour lui. Sa vie était extrêmement ennuyeuse. Alors qu’avant 1981 il pouvait circuler librement. Il voyageait dans le pays, il se rendait régulièrement dans la région de Tartous et se promenait dans Damas. »
La surveillance autour du Dr Georg Fischer s’est considérablement renforcée à partir de 1981. Cette année-là, il reçoit un colis piégé, posté depuis Vienne. L’engin explosif, autour duquel est enroulée une revue autrichienne d’herboristerie, lui arrache quatre doigts d’une main. « L’explosion avait déformé le plancher de sa chambre », souligne son ancien gardien. Le Mossad, les services de renseignement israéliens, est probablement derrière cette action, note aujourd’hui Serge Klarsfeld, le président de l’association Fils et filles de déportés juifs de France.
Les Klarsfeld ont traqué Aloïs Brunner sans relâche
À cette époque, Serge et Beate Klarsfeld, les célèbres chasseurs de nazis, traquent sans relâche Aloïs Brunner, entré au parti nazi en 1931 à l’âge de 19 ans et devenu après 1939 l’un des plus hauts responsables de la Solution finale, le génocide des juifs d’Europe. Accusé d’avoir organisé la déportation vers les camps d’extermination nazis de plus de 125 000 juifs, notamment de France, d’Autriche, de Grèce et de Slovaquie, il fut condamné à mort par contumace à Paris, en 1954. C’est Brunner qui supervisa la déportation vers Auschwitz de 1 800 juifs de la région niçoise, parmi lesquels Arno, le père de Serge Klarsfeld. Le jour de son arrestation, en 1943, Serge, alors âgé de 8 ans, était caché avec sa sœur et sa mère dans le double fond d’un placard. La voix de l’officier allemand venu ce jour-là est restée gravée dans sa mémoire.
Dans son vaste bureau du 8 e arrondissement parisien, Klarsfeld a refermé depuis longtemps les cinq gros classeurs du dossier Brunner. Année après année, il y a archivé documents judiciaires, coupures de presse et témoignages. Dès le début des années 1960, le criminel en fuite est localisé à Damas. En lien avec d’autres ex-officiers nazis, il officie pour une société de ventes d’armes (Sotraco) qui trafique avec le FLN algérien.
En 1961, un premier colis piégé lui est adressé, il y perd un œil. En 1977, les époux Klarsfeld se rendent à Vienne. « Je surveillais l’appartement de la femme de Brunner, je pensais qu’elle et sa fille étaient en contact avec lui. J’ai engagé deux détectives privés autrichiens, l’un d’eux est parvenu à entrer dans l’appartement et il y a trouvé le numéro de téléphone de Georg Fischer, en Syrie, raconte Serge Klarsfeld. Beate, qui parle allemand, lui a téléphoné. Elle s’est fait passer pour la secrétaire du fils d’une de ses connaissances et lui a conseillé de ne pas venir se faire soigner en Suisse où il risquait d’être arrêté. Il l’a remerciée, ils ont raccroché. Dès lors, nous étions certains que Fischer était Aloïs Brunner. »

« C’est un Druze, il faut exterminer toute sa famille »
Le couple d’avocats mène une intense campagne pour obtenir l’extradition du criminel nazi, aux États-Unis, à l’ONU, auprès d’Interpol… Une démarche est entamée en Allemagne de l’Ouest et plus tard en RDA, proche alliée de la Syrie. Des photos dans la presse confirment sa présence à Damas. Mais le régime, alors dirigé par Hafez el-Assad (le père du dictateur actuel Bachar el-Assad), nie obstinément la présence sur son sol d’Aloïs Brunner. Serge et Beate Klarsfeld font, à cinq reprises, le voyage de Damas pour y réclamer justice. Cinq tentatives qui se soldent par autant d’expulsions.
En 1981, Serge Klarsfeld est bloqué à l’aéroport. « Mais après ma venue, sa protection a été renforcée », se réjouit-il quarante ans plus tard, satisfait d’avoir, au moins, « un peu gâché la fin de sa vie ». En mars 1987, Beate est refoulée à son tour, arrêtée après avoir protesté devant le ministère de l’Intérieur. En janvier 1990, Serge obtient un visa d’affaires et un rendez-vous avec le vice-ministre syrien des Affaires étrangères. « Le rendez-vous a été annulé, j’ai donc décidé de réserver une salle de l’hôtel pour y organiser une conférence intitulée : “Les criminels nazis, de Klaus Barbie en Bolivie à Aloïs Brunner en Syrie”. Autant vous dire que le lendemain matin, j’avais plusieurs officiers syriens au chevet de mon lit pour me raccompagner à la porte de l’avion. »
À cette date, Abou al-Yaman est auprès de Brunner. Il confirme que la présence de Klarsfeld rendait les autorités syriennes nerveuses. « Ils avaient peur qu’il soit enlevé, que les forces américaines viennent le prendre ou bien qu’il se suicide. » Mais le jour du coup d’éclat de Klarsfeld à Damas, Fischer était furieux. « Il voulait même descendre en découdre avec lui, se souvient Abou al-Yaman. Moi, je savais qu’Assad mentait quand il disait à la télé qu’il n’avait rien à voir avec Brunner. On ne se rendait pas compte. J’aurais aimé connaître – comment s’appelle-t-il ? – Klarsfeld, et lui dire que je savais où se cachait Fischer. Que c’était moi qui le gardais ! »
L’une des colères les plus marquantes d’Aloïs Brunner éclate le 11 octobre 1989. Ce jour-là, Adel Bassem, un pilote syrien de 34 ans, profite d’une mission au-dessus du Golan pour fausser compagnie à son escadrille et se poser en Israël. La nouvelle de cette défection provoque la fureur du nazi. Il hurlait : « C’est un Druze, il faut exterminer toute sa famille, tout son village ! » Mais la plus spectaculaire survient en 1991, quand Hafez el-Assad a commencé à négocier en vue d’un accord de paix avec Israël. « Ça l’a rendu fou, se souvient Abou al-Yaman. Il m’a dit : “Hafez est un âne ! Pourquoi ne reprend-il pas le Golan ?” Ça nous faisait rire, c’était totalement interdit de parler de cette manière. Et il embrassait une photo de Saddam Hussein en disant : “Ça, c’est un vrai leader !” »
Un ancien SS au service du régime syrien et de son appareil répressif
Au fond de lui, comprend aujourd’hui le réfugié syrien, Brunner « haïssait les juifs ». Jusqu’à la fin de sa vie, l’ex-officier SS ne montra pas le moindre remords pour les crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien au contraire. À l’hebdomadaire allemand Bunte, qui le retrouve en octobre 1985, il dit ne pas regretter « d’avoir tué cette vermine ». Et au Chicago Sun-Times, qui le joint en 1987, il récidive : « Les juifs ont mérité de mourir parce qu’ils étaient les agents du démon. Si c’était à refaire, je le referais. »
C’est avec cette rage que Brunner s’était mis au service du régime syrien et de son appareil répressif. « Il a sans doute été actif jusqu’à la fin des années 1970 », estime Klarsfeld. Il était en contact direct avec Hafez el-Assad et les plus hauts gradés du parti Baas : Mustafa Tlass, Ali Mamlouk, Bahjat Suleiman…
Sa tâche première était, selon Abou al-Yaman, de « créer une école militaire du renseignement », une académie toujours active à Mayssaloun, à l’ouest de Damas. Il aurait aussi réorganisé plusieurs bâtiments militaires, dispensé ses conseils d’ancien SS à la police politique syrienne sur les méthodes de répression. « Avant Hafez el-Assad, le système de torture syrien n’était pas aussi développé, c’est l’un de ceux qui ont créé cette machine de mort », avance le Syrien.
Mort à petit feu
Les organisations syriennes qui, ces dernières années, ont lancé des poursuites contre des tortionnaires du régime devant des juridictions européennes, se sont intéressées au legs de l’ancien nazi à la dictature des Assad père et fils. Durant les audiences du procès d’Anouar Raslan, à Coblence, en 2021, certains ex-détenus ont décrit et dessiné le supplice de la « chaise allemande », une méthode de torture particulièrement cruelle, peut-être enseignée par Brunner et massivement utilisée dans les différentes branches de la sécurité d’État après la révolution syrienne en 2011. « Mayssaloun est à la fois un centre d’entraînement pour la sécurité militaire et un lieu de détention où l’on enferme les personnes importantes, notamment les détenus étrangers », précise l’avocat syrien et défenseur des droits de l’homme Anouar Al-Bounni. Le journaliste américain Austin Tice, disparu en 2012, y aurait été détenu, selon lui. « On y met ceux que l’on veut cacher, c’est un endroit très secret. »

L’autre mystère qui entoure encore Brunner, c’est la date précise de sa mort. En 1996 ? Ou bien en 2001, comme l’affirmait un autre de ses anciens gardes, interrogé par la revue XXI en 2017 ? Sur ce point, Abou al-Yaman est formel. Georg Fischer est mort en 2010, à la veille du soulèvement populaire contre Bachar el-Assad. Il avait 98 ans et avait réussi, jusqu’au bout, à échapper aux condamnations de la justice, la dernière en 2001 à Paris. Avec l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad, l’ancien chef du camp de Drancy, devenu encombrant, est gardé dans le sous-sol d’un bâtiment des services syriens, dans le quartier d’Al-Mouhajirin. Une quasi-cellule, une pièce qui sert normalement de dépôt d’armes, dans laquelle il s’éteint à petit feu, loin des regards. En 2004, l’un de ses geôliers, Ayhan, lui portait encore de la nourriture. Un autre l’a revu en 2007. Contacté, l’ancien chauffeur de la branche 300, Khaled Awad, affirme avoir lui-même enterré le corps, en 2010, dans le cimetière d’Al-Affif à Damas, où il repose toujours §
Source
Le Point

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1 Comment

  1. benjamin dit :

    il se dit aussi que le celebre espion d israel ELI COHEN a rencontrè cette ordure sur le plateau du golan ou il supervisait les defenses syriennes avant la guerre des six jours !moi a la place des israeliens j aurais butè a vienne sa femme et sa fille !c est ça la vraie justice devant les horreurs commises par cette saloperie contre les juifs et contre l etat juif !c est comme ça que ça marche !!

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