RECIT. L’attentat déjoué du Thalys de 15h17 pour Paris
Le 21 août 2015, trois touristes américains déjouent, au péril de leur vie, un attentat à bord d’un train Amsterdam-Paris. Dans le livre Le 15h17 pour Paris, ils racontent ce voyage qui débouche sur un acte de bravoure. En voici quelques extraits exclusifs.
Les Américains Alek Skarlatos, Spencer Stone et Anthony Sadler empêchent le terroriste Ayoub El Khazzani de commettre un attentat dans le train reliant Amsterdam à Paris, le 21 août 2015. Ces extraits de leur livre Le 15h17 pour Paris retracent le récit de leur exploit.
Une virée en Europe
Son projet de visiter l’Europe avec son meilleur pote tenait plus du fantasme que du plan défini ; toujours est-il que Spencer avait commencé à tracer un itinéraire. Dans deux mois, il aurait assez économisé pour envisager un voyage de trois semaines, le premier de sa vie. Alek, de son côté, aurait de l’argent et du temps. Son opex (opération extérieure, NDLR) prendrait fin juste avant le congé de Spencer. Tout était donc parfaitement coordonné. Ils partiraient visiter tous les sites dont ils avaient entendu parler, au collège, pendant les cours d’histoire. (…)
21 août 2015 : le train va partir
A bord du 15h17, par la fenêtre de son wagon de première, Alek regarde s’enfuir les derniers paysages de Hollande avec une pointe d’ennui et de nervosité. Il est impatient de profiter des derniers jours de leur voyage car, depuis qu’il est rentré d’Afghanistan, le meilleur chapitre de sa vie s’est refermé. Or il était moins passionnant qu’il n’aurait cru. Son périple en Europe n’aura duré que quelques semaines. Dans dix ou quinze jours, il sera de retour dans l’Oregon et reprendra son travail chez Costco. Il suivra des cours du soir à l’université et s’acheminera sans même y penser, tel un somnambule, vers un diplôme auquel il ne tient pas tant que ça. A sa droite, casque anti-bruits sur le crâne, Spencer dort, reclus dans son monde. De l’autre côté de l’allée, Anthony dort également. (…)
Un terroriste à bord
Ayoub ôte sa chemise. Dispose le sac à dos et le fusil Draco contre sa poitrine nue. Puis, lorsqu’il est enfin prêt, il ouvre la porte et sort des toilettes. Aussitôt, il rencontre un obstacle imprévu : un homme aux cheveux bouclés qui semble attendre son tour. Ayoub sent peser quelque chose sur ses épaules. Un deuxième homme l’a attrapé par-derrière. Et voilà que le type aux cheveux bouclés cherche à lui arracher son fusil, qu’il secoue en tous sens. Ayoub sent que l’arme lui échappe. Il préfère l’abandonner, empoigne son pistolet et pose le doigt sur la détente. L’écho d’une détonation se propage dans le wagon. Du verre vole en éclats. L’homme aux cheveux bouclés laisse tomber le fusil-mitrailleur et s’effondre. Une balle vient de lui traverser l’omoplate, de traverser un poumon et de finir sa course contre la clavicule. Il parvient à capter le regard de sa femme entre les fauteuils. – Je suis touché. C’est fini…
Ayoub ramasse le fusil mitrailleur. La voie est libre. (…)
Quelqu’un doit arrêter ce type !
Une silhouette traverse son champ de vision à toute vitesse. Spencer comprend qu’il ne dort plus, comme s’il venait de chuter, tête la première, dans un film d’action qui se joue sous ses yeux. Il arrache son casque. A l’autre bout du couloir, contact visuel avec Anthony, l’air complètement ahuri.
Le voilà tout à fait réveillé, accroupi entre les sièges. Une vanne s’est ouverte dans son cerveau, libérant une puissante vague d’adrénaline. Ses muscles se tendent, le temps commence à décélérer. Il voit coulisser une porte en verre et apparaître un homme maigre, l’air enragé, un sac à dos sanglé sur le ventre. Intuitivement, Spencer comprend que ce sac est rempli de munitions et que l’homme le porte devant lui pour recharger son arme à plaisir. Il entend ses pas aussi distinctement que si l’individu frappait le sol de ses pieds. L’homme s’avance, se penche et ramasse un pistolet-mitrailleur qui, Dieu sait pourquoi, se trouvait là. Puis il le brandit, et Spencer entend le bruit sec de l’arme que l’on charge – tchak-tchak. Quelqu’un doit arrêter ce type. (…)
Combat à mains nues
Les yeux de Spencer ne voient plus. Il court à l’aveugle. Ses sens sont hors-service, comme confinés dans une gaine étanche. Le monde se réduit pour lui aux dimensions d’un couloir de train exposé aux tirs, alors que tous les autres se cachent. Il se rue tout droit sur un homme armé dont il sait qu’il est là mais qu’il ne voit pas, parce qu’il ne voit plus rien (…)
Une giclée de lumière et de douleur en pleine figure. Un goût de poivre et de métal explose dans sa bouche – un goût de poudre. Une balle lui a-t-elle traversé la bouche ? Une chaleur intense rugit dans son front. Il comprend qu’il vient d’être salement touché, sans savoir où ni comment. Atteint par une balle ? Il n’en sait rien. Mais il est toujours sur ses jambes, il peut se mouvoir. Alors il se bat. Cherche à immobiliser l’inconnu. L’homme n’est pas épais, mais il semble habité d’une puissance surhumaine. (…) Ils se jettent au sol. Spencer essaie de frapper son adversaire, mais ils sont trop proches. Alors il l’empoigne à bras-le-corps. Ils se redressent. Spencer parvient à se placer dans son dos. Étranglement sanguin arrière : un des fondamentaux du ju-jitsu. (…)
Des miraculés
Alek comprend soudain pourquoi son ami n’est pas mort. Le terroriste a visé Spencer et appuyé sur la détente. (…) Le percuteur a frappé l’amorce, mais la réaction chimique censée faire exploser la charge ne s’est pas produite. L’explosif n’a pas pris feu. La petite rondelle de cuivre a refusé de jouer son rôle, sauvant ainsi la vie de Spencer. Et celle de tous les passagers par la même occasion. (…)
22 août 2015 : un appel d’Obama
Un des agents du FBI apparut dans le bureau où Alek et Anthony étaient toujours assis.
– Les gars, préparez-vous à recevoir un appel.
– Ah bon ? – Un appel du président. On les conduisit dans une autre pièce où ils prirent place derrière une table de conférence, près d’une énorme pile de packs d’eau. Un des agents mit un iPhone sur haut-parleur et le posa au centre de la table. Alek s’efforçait de ne pas sourire. Est-ce que c’est une blague ? Anthony, plus nerveux, triturait le poussoir d’un stylo. En attendant, ils s’échangeaient des vannes à voix basse, un blanc, une autre vanne, et soudain cette terrible appréhension : Et si le président était en train de nous écouter ? Il doit se dire : ma parole, qu’ils sont bêtes… Soudain, on entendit une voix dans le haut-parleur. – Je vous passe le président Obama. – Salut les gars !
Nom de Dieu ! Comment s’adresse-t-on au président des Etats-Unis ? Est-ce que je laisse Anthony répondre le premier ? Ou moi d’abord ? Après un bref silence, Alek finit par dire : « Bonjour, monsieur », tandis qu’Anthony, au même instant, répondait : « Bonjour, monsieur le président. » Résultat : une bouillie incompréhensible. Et merde. Ça commence bien. Un silence, puis le président reprit : – Ecoutez… Je viens d’avoir Spencer en ligne. Et je lui ai dit la chose suivante : moi, quand je me retrouve dans une réunion d’anciens élèves, le plus souvent, on boit des bières. C’est plus rare qu’on s’amuse à… tacler des terroristes, si vous voyez ce que je veux dire.
Anthony ne put s’empêcher de rire. Alek lui laissa la parole. Malheureusement, le président et lui parlaient en même temps, perturbés par le léger décalage de la liaison téléphonique. Leurs réponses se chevauchaient.
– Non, ce n’était pas une réunion ordinaire, acquiesça Anthony au moment précis où Barack Obama reprenait. – En tout cas, on peut dire que vous savez vous amuser. (…)
24 août 2015 : légion d’honneur remise par François Hollande
L’appariteur fixa un écouteur sur l’oreille d’Anthony, afin qu’il suive la cérémonie en traduction simultanée ; mais lorsque le président Hollande prit la parole, l’interprète fut d’emblée distancée, de sorte qu’Anthony ne savait pas s’il devait sourire ou non. (…) « Qu’il suffise de dire qu’Ayoub El Khazzani était en possession de trois cents munitions pour comprendre à quelle tragédie, à quel massacre nous avons échappé de justesse, susurre une voix féminine dans son oreillette. Depuis vendredi, le monde admire votre courage, votre sang-froid, cette responsabilité qui vous a permis, à mains nues, de maîtriser un individu surarmé. Votre héroïsme doit être un exemple pour beaucoup. Face au mal, il y a une humanité que vous incarnez. » Anthony observe la foule. Beaucoup de gens importants. Mais toujours pas son père. Son avion a-t-il eu du retard ? A-t-il seulement pu embarquer à Sacramento ? « Face au terrorisme, nous ne sommes forts que si nous sommes unis… »
Anthony s’efforce de rester de marbre, mais le président Hollande semble soudain regarder dans sa direction. Ultime morceau d’éloquence : « Quand quelque chose arrive, poursuit la voix dans son oreille, l’important est de réagir. De faire quelque chose. » Ces mots paraissent bien peu officiels… Anthony n’aurait pas mieux dit. (…)
Le 15 h 17 pour Paris, d’Anthony Sadler, Alek Skarlatos et Spencer Stone. L’Archipel, 260 p., 20,99 €. En librairie le 31 janvier.
Clint Eastwood a adapté ce livre au cinéma. Son film sort le 7 février.
Source :