Quand le Hezbollah parlait aux Français à la télévision française

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Pendant quatre ans, au début des années 2000, la chaîne Al-Manar TV a été diffusée sur les ondes nationales avant d’être interdite. Récit.
est l’histoire d’un aveuglement dont la France a le secret. Il y a tout juste vingt ans, la chaîne Al-Manar TV (« le phare » en arabe) diffusait en toute impunité ses programmes, principalement en arabe, sur l’ensemble du territoire français. À condition de posséder une antenne parabolique (orientée 53 degrés est) et un accès à l’opérateur Eutelsat, il était permis de se nourrir de la propagande du groupe terroriste chiite. Impossible cependant de mesurer l’audience de cette chaîne auprès des plus de 2,5 millions de Français équipés alors d’une parabole.
Voici donc le récit d’une aberration qui en dit long sur la naïveté politique et juridique de nos autorités. Nous sommes en 2004. Depuis quatre ans, l’opérateur satellitaire Eutelsat propose dans son offre Moyen-Orient la chaîne libanaise Al-Manar TV, regardée par 20 % de la population libanaise. Pour Paris, le Hezbollah n’est alors qu’un « mouvement politique et spirituel disposant de députés au Parlement libanais ».
Dans toute la France, les antennes paraboliques se multiplient sur les toits et les fenêtres des habitations. Depuis le début des années 1990, ces « paraboles » remplacent peu à peu les antennes râteaux et permettent à leurs propriétaires de capter des centaines de chaînes du monde entier, dont Al-Manar TV.
Alerté par des associations de la diffusion de programmes haineux sur cette chaîne, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, alors présidé par Dominique Baudis, demande à l’opérateur de suspendre les chaînes du bouquet n’ayant pas de convention. Eutelsat refuse, car rien ne l’y oblige.
« Comment faire quand les images “tombent du ciel”, transmises directement du satellite à la parabole ? déplore Dominique Baudis dans une tribune au Monde. Or c’est justement par ce moyen qu’arrivent en France et en Europe des programmes de télévision venus parfois de pays en guerre ; et, comme Al-Manar, certaines de ces chaînes diffusent des programmes ouvertement racistes, antisémites et faisant l’apologie de la violence. »
Le président du CSA fait référence à une série diffusée durant le ramadan 2003, intitulée Al Chatat (La Diaspora) et écrite par un Syrien, Fathallah Omar, professeur à l’université d’Alep. Présenté comme une fresque allant de 1812 à 1948, date de création de l’État d’Israël, ce feuilleton raconte de manière falsifiée l’histoire du sionisme, véhiculant la thèse d’un vaste complot juif pour diriger le monde.
Dans cette saga d’un mauvais goût esthétique autant qu’idéologique, il est imputé aux Juifs rien de moins que l’embrasement du conflit russo-japonais, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, le déclenchement des deux guerres mondiales, la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki, le massacre de 800 000 Juifs hongrois permettant la libération de 2 000 riches Juifs allemands…
Pour donner à cette production antisémite une « authenticité » historique, les réalisateurs affirment dans le générique que l’histoire « se fonde sur 250 sources, toutes juives, et nullement sur Les Protocoles des sages de Sion ». En 2002, déjà, alors que la situation empirait entre Palestiniens et Israéliens, des producteurs arabes avaient décidé de réaliser Le Cavalier sans monture, feuilleton tout aussi antijuif. À ceci près que le réalisateur égyptien, Mohamed Sobhi, prétendait apporter la preuve « historique et vérifiée » des Protocoles des sages de Sion…
En avril 2004, invité d’Al-Manar, cheikh Taha al-Sabounji, mufti de Tripoli, déclarait : « Les responsables des désordres sociaux ont toujours été les Juifs. Cela est mentionné dans les écrits de toutes les religions. » Tandis que chaque semaine, sur l’antenne, on loue la mémoire des « martyrs » qui font sauter leurs bombes au milieu de civils israéliens. Pour son journal francophone, qui s’adresse aussi au public libanais, Al-Manar TV a même recruté une Lyonnaise convertie à l’islam, Éline Briand, qui apparaît à l’écran vêtue d’un voile.

En janvier 2004, le CSA décide donc de saisir le parquet de Paris. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin entend introduire dans un projet de loi en discussion un article permettant d’ordonner à Eutelsat d’interrompre « la diffusion d’une chaîne dont les programmes porteraient atteinte à la loi et à l’ordre public ». Ce pouvoir de suspension sera finalement confié non pas au CSA, mais au Conseil d’État, par une loi de juillet 2004.
Bien que déçu de voir cette prérogative lui échapper, Baudis saisit le Conseil. Une audience contradictoire a lieu : habiles, les dirigeants de la chaîne libanaise plaident la « faute », disent vouloir se soumettre à la loi française et, pour preuve de leur bonne foi, demandent un conventionnement du CSA. Stratégie d’entrisme ? Une prestation qui convainc les conseillers d’État du maintien de la chaîne sur le bouquet d’Eutelsat.
« Le Conseil d’État n’a pas suivi notre demande, regrette Baudis. Il considérait donc que les diffusions antérieures et illicites de la chaîne ne constituaient pas un motif suffisant pour en demander l’arrêt dès lors qu’Al-Manar prenait des engagements pour l’avenir. » Au Quai d’Orsay, le scénario satisfait les diplomates qui travaillent à la libération des journalistes français retenus en otages en Irak, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, et ne veulent pas voir la France mêlée à une polémique dans cette région du monde.
Conformément à la loi, le CSA se voit contraint d’instruire la demande de conventionnement d’Al-Manar, laquelle devait être déposée « dans un délai de deux mois » après l’audience. Dans le cadre de cet agrément, les membres du CSA imposent des conditions draconiennes à la chaîne libanaise, comme « ne pas inciter à des pratiques ou comportements pénalement sanctionnés en France ; ne pas inciter à la haine, à la violence ou à la discrimination pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité ».
La direction d’Al-Manar accepte les contraintes figurant dans cette convention valable un an – et non cinq, comme pour les autres chaînes. En outre, des observateurs arabophones assermentés sont recrutés pour scruter les programmes de la chaîne libanaise. Mais les fronts se multiplient pour Dominique Baudis : la chaîne iranienne arabophone Al-Alam, retransmise par Eutelsat, propose à son tour une série documentaire sur une supposée influence des Juifs à Hollywood. Une nouvelle fois, le procureur de la République est saisi.

Le 19 novembre 2004, après signature de la convention avec le CSA, Al-Manar peut diffuser ses programmes en France. « Neuf personnes, quelle que soit leur détermination et celle des services administratifs du Conseil, ne peuvent pas retenir l’avalanche planétaire des télévisions venues de pays belligérants », alerte Baudis. La classe politique – gauche comprise ! – s’indigne un peu tard de cette autorisation.
« Il n’y a pas de complaisance à avoir avec les propos qui appellent à la haine », déclare Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères. À une question du sénateur Ladislas Poniatowski, Jean-Pierre Raffarin répond : « Les programmes d’Al-Manar sont incompatibles avec nos valeurs. Il est clair qu’ils vont conduire à la résiliation de la convention entre le CSA et Al-Manar. Nous n’avons pas les moyens juridiques d’intervenir immédiatement. »
Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, demande de l’aide à la commissaire européenne chargée des Médias, Viviane Reding. Car, absurdité dans l’absurdité, le conventionnement du CSA permet à la chaîne d’être légalement diffusée en Europe… Dans une tribune au Monde, un prêtre catholique, Michel Lelong, défend le maintien d’Al-Manar : « Ceux qui connaissent bien cette chaîne libanaise savent qu’elle comporte des programmes de valeur et qu’elle peut aussi nous intéresser, nous, Européens », écrit-il, après avoir dit son refus de l’antisémitisme.
L’affaire prend désormais une tournure internationale. Au Liban, le responsable de l’audiovisuel, Abdel Hadi Mahfouz, menace les médias français qui émettent au pays du Cèdre de mesures similaires si Al-Manar TV est interdite en France. Le ministre libanais de l’Information rédige un courrier à la Ligue arabe pour se plaindre du traitement de l’affaire par les médias français, qui véhiculeraient « des propos qui s’apparentent au racisme antiarabe et à des appels à la haine ».
Face aux polémiques et, surtout, au non-respect constaté de la convention, le CSA ressaisit le Conseil d’État, onze jours après avoir autorisé la diffusion de la chaîne libanaise. Statuant en référé le 13 décembre, le Conseil d’État somme finalement l’opérateur de cesser « sous quarante-huit heures » la diffusion en France d’Al-Manar.
Tout en condamnant l’antisémitisme de la chaîne, Reporters sans frontières, dirigé par Robert Ménard, « regrette » la décision du Conseil d’État. « Al-Manar n’est pas prête à se départir de ses convictions, indiquent les dirigeants libanais. Elle est et restera une chaîne engagée qui défend les thèses arabes dans le conflit avec Israël. » Non sans le confessionnaliser…
Source
https://www.lepoint.fr/


Depuis 1997, l’actionnaire majoritaire d’Al-Manar est le Hezbollah, un groupe islamiste chiite considéré comme une organisation terroriste par plusieurs pays. Son financement est soutenu par la République Islamique d’Iran2.
Al-Manar est considérée comme un organe de propagande du Hezbollah3.
Al-Manar est placée sur la liste officielle des organisations terroristes des États-Unis4.

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