Notre critique de La Conférence, le jour où les nazis ont décidé d’éliminer 11 millions de juifs
Le réalisateur allemand Matti Geschonneck filme la conférence de Wannsee comme un huis clos glacial, en usant d’un dispositif cinématographique qui force le respect. JULIA TERJUNG/Condor DistributionPar Olivier DelcroixPublié il y a 3 heures , mis à jour à l’instantCopier le lienLien copié
CRITIQUE – Ce passionnant huis clos retrace de manière sobre et originale l’implacable déroulement de la conférence de Wannsee, restée tristement célèbre dans l’histoire du XXe siècle.
C’est un film qui fait froid dans le dos. Un drame historique qui raconte par le menu sans doute l’un des jours les plus funestes du XXe siècle. Le 20 janvier 1942, au matin, dans une villa cossue donnant sur le lac de Wannsee, non loin de Berlin, une quinzaine de dignitaires du IIIe Reich se réunissent pour mettre au point «la Solution finale».
Des berlines noires affichant le sigle SS sur leurs plaques minéralogiques déposent les uns après les autres des nazis aux allures de conspirateurs. Guindés dans leurs uniformes verts de gris, ils commencent par apprécier le chauffage central de cette ancienne villa ayant appartenu à un industriel juif.
Reinhard Heydrich, le chef de la Gestapo, affiche un air supérieur. Il est là pour convaincre chaque membre de l’assistance d’un ordre du jour sidérant : massacrer 11 millions de Juifs. Autour d’une grande table, face à un lac si tranquille, quinze dignitaires aux cheveux gominés, les tempes rasées, écoutent religieusement la planification de la Solution finale. «La question juive ne sera réglée qu’avec l’élimination biologique de tous les Juifs jusqu’à l’Oural, entame Heydrich. Voilà la tâche que le destin nous a confiée.»
Le réalisateur allemand Matti Geschonneck filme ce huis clos glacial avec un dispositif cinématographique qui force le respect. Il n’y avait vraisemblablement qu’un cinéaste Allemand pour oser documenter avec un tel réalisme l’ignominie d’une telle réunion.
Angles variés, jeu de regards, prise de notes, jalousie mal dissimulée, haussements d’épaules et mains croisées, la caméra ne s’arrête jamais de scruter ces ignobles dignitaires qui planifient le massacre de millions de Juifs, sans sourciller.
Entre une pause déjeuner roborative, un buffet garni qui en ferait baver plus d’un, et des rafraîchissements alcoolisés, cognac en tête, les participants font assaut de zèle pour faire valoir leur précarré, ou gagner les faveurs du Führer. Dehors, on fume des cigarettes en dissertant froidement sur la «lutte contre les Juifs comme relevant de l’effort de guerre.» Un haut gradé lâche entre deux bouffées : «Je vois cela comme un métier. On l’apprend et on le maîtrise. Certains sont meilleurs que d’autres…»
On pense -à juste titre- à Robert Merle et à son livre La Mort est mon métier, contant à la première personne la vie d’un monstre froid qui envoya des milliers d’êtres humains dans les chambres à gaz d’Auschwitz. Le film montre sans fard tous ces petits arrangements avec le pouvoir. Cette médiocrité administrative dissimulée sous les atours d’une croisade menée par Hitler.
En bon élève, calme et appliqué, le chef du Département des Affaires Juives de la Gestapo, Adolf Eichmann détaille sa planification. Tout juste s’il ne reçoit pas une salve d’applaudissements.
Le mal à l’état pur revêt l’apparence d’une banale réunion de hauts dignitaires, avec ses chamailleries, ses rivalités ou ses sourires entendus. Condor Distribution
Dehors les corbeaux croassent. La neige tombe. Le mal à l’état pur revêt l’apparence d’une banale réunion de hauts dignitaires, avec ses chamailleries, ses rivalités ou ses sourires entendus. À aucun moment, les membres de cette docte assemblée ne prononceront les mots massacres, génocides ou tueries. Le film reste un magistral tour de force, glaçant de sobriété.
source
https://www.lefigaro.fr/cinema/notre-critique-de-la-conference-l-affolante-autopsie-du-jour-ou-les-nazis-ont-decide-d-eliminer-11-millions-de-juifs-20230419
Matti Geschonneck est le fils de l’acteur Erwin Geschonneck (qui a prénommé son fils de son rôle de Matti dans Maître Puntila et son valet Matti). Il grandit à Berlin avec sa mère, l’actrice Hannelore Wüst, et son beau-père, le documentariste Gerhard Scheumann.
Il étudie la réalisation pendant quatre ans à l’Institut national de la cinématographie (WGIK) à Moscou. Il doit arrêter ses études et est rayé du SED parce qu’il ne s’est pas éloigné de Wolf Biermann après son expatriation. Il vit en Allemagne de l’Ouest depuis 1978.
Il travaille d’abord comme assistant réalisateur pour Thomas Langhoff, Eberhard Fechner et Diethard Klante. En 1991, il réalise son premier long métrage, Moebius, suivi de plusieurs épisodes de la série policière Tatort avec Günter Lamprecht. En 1995, la seule collaboration avec son père Erwin Geschonneck vient avec le film Matulla und Busch basé sur un scénario d’Ulrich Plenzdorf, qui dit adieu au cinéma avec cette comédie.
Après des années de travail exclusif à la télévision, son deuxième long métrage, Boxhagener Platz (de), est réalisé en 2009, d’après un roman de Torsten Schulz film qui connaît sa première mondiale à la Berlinale 2010 dans la série Spécial. À la Berlinale 2017, son long métrage In Zeiten des abnehmenden Lichts (de) , basé sur le roman d’Eugen Ruge et scénarisé par Wolfgang Kohlhaase, y a sa première mondiale.
Matti Geschonneck est membre de l’Académie du cinéma européen.
Il est marié à l’actrice et réalisatrice allemande Ina Weisse.