NAZISME :Femmes bourreaux, de Barbara Necek: la mort était leur métier
Par Alice Develey
Les auxilliaires SS d’Auschwitz (avec le SS Karl Höcker) posent lors d’une excursion, en juillet 1944, à Solahütte, lieu de villégiature ¬ du personnel du camp polonais. United States Holocaust Memorial Museum
CRITIQUE – Une spécialiste de l’histoire du nazisme raconte comment des femmes ordinaires sont devenues gardiennes de camp.
Le matin, elles pouvaient piétiner des femmes à mort, envoyer des chiens sur elles, et le soir, quand elles avaient du temps libre, tricoter, jouer aux cartes comme si de rien n’était. À Ravensbrück, les gardiennes du camp de concentration considéraient leur travail comme «banal». Cette notion, Hannah Arendt l’a étudiée en 1963, lui trouvant une formule qui a fait date, «la banalité du mal», et l’a explicitée ainsi: «Il est plus facile d’être victime d’un diable à forme humaine que d’être la victime d’un principe métaphysique…» Elle est centrale dans le livre de Barbara Necek.
Elles s’appelaient Maria Mandl, Johanna Langefeld, Irma Grese, Hermine Braunsteiner, elles voulaient être infirmière, postière, star de cinéma, elles sont devenues les outils de la machine génocidaire nazie. Comme elles, 4000 gardiennes ont surveillé, torturé et participé aux envois de détenues dans les chambres à gaz. Cette histoire jamais encore écrite, Barbara Necek, spécialiste du nazisme, la raconte dans un ouvrage dérangeant et nécessaire. Femmes bourreaux retrace l’origine des surveillantes, leur quotidien, leur cruauté jusqu’à l’après-guerre, leur fuite, leur traque et leur procès. Aucun détail n’est omis ; on avertira donc le lecteur du caractère parfois insupportable de certaines scènes.
Dans l’imaginaire collectif, le parti national-socialiste est associé à un monde d’hommes. Or, très tôt, les femmes ont leur rôle à jouer: par la maternité, d’abord, mais aussi par la surveillance des ennemies du Reich – la loi du régime exigeant que les femmes soient gardées par les femmes. En 1933, Moringen, en Basse-Saxe, devient le premier camp de concentration pour femmes allemandes. Quatre ans plus tard, le flot de prisonnières est tel que le lugubre château de Lichtenburg est transformé en «laboratoire des nouvelles méthodes concentrationnaires». Mais le nombre de détenues augmente encore. En 1938, le camp de Ravensbrück s’érige alors comme «l’enfer des femmes». En six ans d’existence, près de 200.000 femmes y furent internées, 130.000 y périrent de mauvais traitements, maladies et pseudo-expériences.
Une «ascension sociale»
Le camp devient la plaque tournante de formation des gardiennes. Le plus souvent, elles sont recrutées par bouche-à-oreille, mais aussi par petites annonces, la mention «camp de concentration» étant à chaque fois omise. Une fois sur place, pouvaient-elles refuser de participer à l’horreur et partir? Oui, démontre l’auteur. Mais, ajoute-t-elle, ce travail permettait aussi une «ascension sociale»: «Un salaire alléchant, des logements décents et un uniforme: beaucoup de ces femmes issues de milieux défavorisés ont l’impression d’être devenues quelqu’un.»
Comment la normalité peut-elle côtoyer la cruauté? Si certaines gardiennes adhèrent à l’idéologie nazie, souvent, c’est «l’univers concentrationnaire et ses propres règles qui les transforment en tortionnaires impitoyables». La mort était juste leur métier. Beaucoup n’ont montré aucun regret, pas même durant leur procès – pour celles qui ont été rattrapées. Après 1945, la chasse aux nazis se tarit ; dans un contexte de guerre froide, l’ennemi de l’Occident devient l’URSS. Et puis, rappelle Necek, aux yeux de la société machiste, le «sexe faible» ne pouvait pas avoir endossé un tel rôle…
SOURCE
https://www.lefigaro.fr/livres/femmes-bourreaux-de-barbara-necek-la-mort-etait-leur-metier-20221207?fbclid=IwAR3EOTSOEazOvneNuUr1WqipcWa0e7OZ-ZsottFXMAx3J6tIk7Eeyngkl84
Exécution de gardiennes du camp de Stutthof en Pologne, à Biskupia Gorka le 4 juillet 1946