Minutieux, manipulateur, obsédé sexuel : le visage du tueur de Nice
Contre-enquête. L’auteur de l’attentat de Nice, Mohamed Bouhlel, fut présenté comme un déséquilibré qui s’était radicalisé très rapidement. Il était en fait un djihadiste consciencieux, qui préparait son massacre depuis au moins un an.
On l’a décrit coureur de jupons, obsédé sexuel, mari violent. Mangeur de porc et buveur d’alcool. « Complètement taré ». Simplet, adepte des salles de sport. Tout, sauf le portrait-robot du djihadiste musulman en guerre contre la France, agissant consciemment et consciencieusement pour le compte de l’État islamique. Dans les heures qui suivent le massacre de la promenade des Anglais, le 14 juillet dernier à Nice, les éléments relatés par les témoins et les proches de Mohamed Lahouaiej Bouhlel dessinent le portrait trompeur d’un antiterroriste, un « déséquilibré » aux antécédents psychiatriques, dont la faiblesse d’esprit aurait facilité la radicalisation éclair.
Pendant son sommeil, il lui verse du vin dessus, urine dans la chambre
Or il n’en est rien, et c’est pour tenter d’expliquer cet aveuglement collectif que Vincent-Xavier Morvan, correspondant à Nice du Figaro et de l’AFP, publie une enquête sur le “tueur de la promenade”. L’image répandue au lendemain de l’attentat ne résiste pas à ce réexamen. Au fil des conférences de presse du procureur de la République de Paris, François Molins, ou du ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, un premier pan de la personnalité du conducteur du camion est mis en évidence. L’homme est violent, impulsif.
En mars 2016, il avait été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir frappé un automobiliste avec une palette de bois. Son dossier judiciaire fait état de violences conjugales. Mais Mohamed Bouhlel n’est pas un simple ivrogne pris de coups de sang ponctuels. Il inflige à sa femme, Hajer, qui est également sa cousine germaine, une torture psychologique et physique permanente. Pendant son sommeil, il lui verse du vin dessus, urine dans la chambre, terrorise leurs trois enfants en faisant mine de planter un couteau dans leurs poupées… Il la bat, mais ne laisse rien paraître en public, (presque) toujours en contrôle de ses nerfs.
« Il le disait clairement, il se tapait des chèvres ou des vaches quand il était au pays »
Les déclarations de son ancien patron, qui juge qu’il avait « un pois chiche dans la tête » et qu’il était « simplet et extrêmement malléable », lui donnent dans le discours ambiant l’image du benêt aisément séduit par la propagande de Dae’ch. « Il n’était pas con, il était pervers et manipulateur », indique au contraire une ancienne amie de lycée de son épouse. Capable de changer de récit ou de personnalité en fonction des contextes, Salmene, comme l’appellent ses proches, « fait le bête » pour arriver à ses fins, explique à certains qu’il « est Charlie », à d’autres qu’il visionne par plaisir des vidéos de décapitation.
Dans cette vie de tromperie, le Tunisien de 31 ans ne ment jamais sur un point : son besoin de satisfaire en permanence ses pulsions sexuelles. « Il le disait clairement, il se tapait des chèvres ou des vaches quand il était au pays, il s’en foutait », raconte au journaliste un ancien collègue chauffeur livreur du terroriste. Mohamed ne cache à personne qu’il se « tape des vieilles » rencontrées à la salle de sport, mais aussi des vieux, « pourquoi pas », s’il est « en manque ». Il se plaint de son salaire de 1 200 euros, dépensé en seulement deux jours « avec des putes ».
La minutieuse préparation du néodjihadiste
Cette personnalité plus que douteuse éloigne les enquêteurs des schémas habituels. « Il semble qu’il se soit radicalisé très rapidement », affirme alors Bernard Cazeneuve devant la presse. Sa vie dissolue n’évoque en rien celle d’un musulman rigoriste sur la route de la radicalisation. Mais en réalité, le raid meurtrier au volant de son 19 tonnes a été minutieusement préparé.
Le 14 juillet 2015, un an jour pour jour avant son attentat, Bouhlel se trouve sur la “Prom’”. Il prend des photos. Trois jours plus tard, il est également en repérage lors d’un concert donné au même endroit. Le 15 août suivant, il zoome avec son appareil sur la foule rassemblée le long de la baie des Anges, et réalise un selfie avec Christian Estrosi. Il archive un article de Nice-Matin, daté de janvier 2016 et intitulé « Il fonce volontairement sur la terrasse d’un restaurant ». Depuis déjà un an, il a donc choisi sa cible et son mode opératoire.
Mokhtar Belmokhtar, Rachid Kassim, Omar Diaby… Mohamed semble n’avoir jamais été en contact avec ces djihadistes, qui planifient des attentats sur le sol français. Mais pendant les mois qui précèdent son passage à l’action, il entretient des relations avec des mentors moins prestigieux. Comme Chokri Chafroud, ce Tunisien qui nie aujourd’hui toute implication, mais qui lui écrivait sur Facebook, le 4 avril 2016 : « Charge le camion, mets dedans 2 000 tonnes de fer et nique, coupe-lui les freins mon ami et moi je regarde. » Dans les semaines précédant son raid, il se laisse pousser la barbe et cesse de boire de l’alcool. À son beau-frère, il reproche d’écouter de la musique et de porter un bermuda trop court. Il écoute un enregistrement du Coran dans son camion lors de ses livraisons, et explique ne pas comprendre que l’État islamique ne puisse revendiquer légitimement un territoire. Le trentenaire égaré a trouvé un sens à sa vie.
Sur la route de la conclusion à l’attentat islamiste se dresse encore un obstacle, quasi systématique. Mohamed Bouhlel serait un “déséquilibré”. Sa famille brandit, pour qu’on la laisse tranquille, un certificat qui prouverait ses antécédents psychiatriques. « Nulle part dans le dossier ne figurent aujourd’hui d’éléments plaidant en faveur d’une altération de ses facultés mentales », écrit au contraire l’enquêteur niçois. L’application scrupuleuse avec laquelle le Tunisien a préparé son carnage ne ressemble pas au passage à l’acte d’un fou furieux. Dans la cabine de son camion, au moment de faucher le plus de monde possible, il n’était sous l’effet d’aucune substance. Ni un niais ni un dément. « Un djihadiste, hors norme peut-être, mais seulement l’un d’entre eux. »
Source :
http://www.valeursactuelles.com/societe/minutieux-manipulateur-obsede-sexuel-le-visage-du-tueur-de-nice-62252
Je connais des niçois qui »s’efforcent d’oublier » Je milite pour que l’on s’efforce de se souvenir, mais je n’étais pas à Nice ce jour là!