Mediapart et Tariq Ramadan : les angles morts de l’investigation impartiale
Mediapart, en enquêtant longuement sur Tariq Ramadan, avait été informé de la « vie bien remplie » de ce pourfendeur de femmes adultères. Mais ce détail était passé à l’as au nom du respect de « la vie privée ».
Pour quiconque suit un peu le travail de Caroline Fourest, pour ne citer qu’elle, Tariq Ramadan a toujours été un type dont il convenait de se méfier. Mais il s’agissait d’une méfiance de laïque modèle 1905 non-customisé à l’égard d’un prédicateur intégriste bataillant pour des piscines non-mixtes, pas spécialement du sentiment qu’on avait affaire à un prédateur sexuel en série.
Maintenant que les langues se délient, que les témoins d’immoralité se bousculent au portillon (et je parle juste du libertinage appuyé à la Donatien Alphonse, pas des viols qui devront être confirmés par la justice et pour lesquels il reste présumé innocent) le personnage prend une toute autre envergure…
Tiens, vous êtes peut-être d’ailleurs déjà tombé sur cette citation proprement « étonnifiante » de Bernard Godard, l’ancien « monsieur Islam » des trois ou quatre derniers gouvernements, via laquelle nous découvrons ce qu’avaient effectivement repéré les proches de notre télévangéliste préféré :
« Qu’il avait beaucoup de maîtresses, qu’il consultait des sites, que des filles étaient amenées à l’hôtel à la fin de ses conférences, qu’il en invitait à se déshabiller, que certaines résistaient et qu’il pouvait devenir violent et agressif, ça oui. Mais je n’ai jamais entendu parler de viols. J’en suis abasourdi. »
Argh, mon vieux Bernard, on ne te le fait pas dire ! Abasourdi est précisément le mot qui convient. Alors comme ça, tu connaissais un mec qui pouvait « devenir violent et agressif » avec des nanas pour coucher avec mais qu’on puisse l’accuser de viol te laisse carrément sur le postérieur…
Bah. OK. Pourquoi pas après tout. Un spécialiste de l’islam, ça n’est pas un journaliste d’investigation. Son boulot à lui, c’est de réfléchir au fait religieux dans l’espace républicain, pas de faire tomber le masque des pharisiens…
Cogner sur la « croisée » Caroline Fourest
Mais d’ailleurs, les vrais journalistes d’investigation, ceux dont c’est le taf, mais aussi le sacerdoce, d’aller traquer les tartuffes de Bercy qui fraudent le fisc, ils fichaient quoi ? Je veux dire, ils fichaient quoi à part cogner sur la « croisée » Caroline Fourest ?
Me souvenant justement d’avoir lu, l’an dernier, une grosse enquête tous azimuts sur Ramadan chez Médiapart et de l’avoir trouvée plutôt pas trop complaisante, en dépit de la proximité entre le prédicateur et le boss du site Edwy Plenel, je me suis dit qu’il serait judicieux de me la retaper (sic).
Las, à Atlantico, on n’est plus abonné à Mediapart et j’ai d’abord dû ressortir ma CB pour y accéder, à la fameuse enquête, mais il y avait une promo à un euro et je me suis lâché (je ferai une note de frais). Comme dans mon souvenir, et en dépit du grand nombre d’interlocuteurs et de sujets abordés, pas un mot sur les affaires de cul… Rien, nibe, queud…
N’écoutant que mon instinct de reporter chevronné, j’ai contacté l’auteur du dossier sur Twitter, parce que c’est pratique ce truc là, vu que je ne le connais pas et qu’il habite New York désormais :
– Bonjour, j’ai relu l’enquête sur Ramadan et rien sur son rapport aux femmes. Ça n’a jamais été évoqué par vos interlocuteurs ?
– Non. Entendu parler d’un comportement peu adéquat avec le rigorisme prêché, oui. Mais pas d’agressions ou viols.
– Mais « peu » adéquat comment ? Rien qui ne vaille de tirer sur le fil face à un père la morale professionnel ? Vous êtes comme Bernard Godard ?
– J’avais entendu parler de relations extra-conjugales, d’une vie sexuelle disons remplie. Pas de violences, d’agressions ou de viols.
– Ça ne semblait pas un angle important pour un prédicateur rigoriste accusé de duplicité par ses détracteurs ? Vous en avez parlé à la rédac?
– Non les infos que j’avais, ça ne dépassait pas le cadre de la vie privée.
Il y a le bon adultère et le mauvais adultère
J’ai continué de le harceler (re-sic) encore un poil, mais il s’est mis aux abonnés absents et j’ai décidé d’aller investiguer auprès de ses chefs par acquis de conscience. A la rédaction, je suis tombé sur une nana sympa mais qui transmettait seulement les messages et j’ai reposé mes petites questions sournoises :
« Bon voilà, vous avez publié une super enquête sur Ramadan il y a quelques mois. Ça parle de tout, « des fantasmes qui entourent l’islamologue » etc. , sauf des affaires que l’on découvre aujourd’hui. Son auteur m’explique pourtant qu’il était au courant « de la vie bien remplie » du bonhomme, mais qu’il n’a pas trouvé judicieux d’écrire que cet homme marié se tapait des groupies malgré son intérêt pour la lapidation des femmes adultères. Il dit que ça relevait « de sa vie privée ».
Il me dit aussi qu’il aurait décidé lui-même de faire l’impasse là-dessus, qu’il n’aurait pas ressenti le besoin d’en parler à la rédac et je voulais qu’on me le confirme parce que ça me semble bizarre. Surtout compte tenu des bonnes relations entre monsieur Plenel et notre sympathique prédicateur. Donc, voilà, si quelqu’un pouvait me rappeler pour me dire quoi, façon Dany Boon ».
Mais bon, j’ai eu beau insister auprès de la nana sympa mais qui pouvait juste prendre les messages, personne ne m’a recontacté pour me dire que je débloquais totalement. Que non, quelle idée, on n’avait pas décidé sciemment, à Médiapart, de taire l’aspect le plus remarquable de la personnalité de Ramadan au prétexte qu’il était proche du chef et que ses agissements relevaient de la petite manie anodine.
Bref, je suis resté tout seul avec mes questions. Le journalisme d’investigation, un coup ça marche, un coup ça marche pas.
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EDIT : Cette chronique a été rédigée avant l’intervention d’Edwy Plenel d’hier sur BFM TV, dans laquelle il assure qu’à Mediapart et au moment de leur enquête, « personne ne savait ». Je lui recommande donc de communiquer davantage avec ses propres équipes. La communication, c’est le ciment des couples (et des salles de rédaction).
happywheels
« Bernard Godard, l’ancien « monsieur Islam » des trois ou quatre derniers gouvernements, via laquelle nous découvrons ce qu’avaient effectivement repéré les proches de notre télévangéliste préféré :
« Qu’il avait beaucoup de maîtresses, qu’il consultait des sites, que des filles étaient amenées à l’hôtel à la fin de ses conférences, qu’il en invitait à se déshabiller, que certaines résistaient et qu’il pouvait devenir violent et agressif, ça oui. Mais je n’ai jamais entendu parler de viols. J’en suis abasourdi. »