L’Étrange Victoire : le testament de Crémieux-Brilhac
Dans cet ouvrage posthume, le grand historien évoque son parcours et le « problème juif » au sein de la France libre.
Disparu il y a un an, presque centenaire, Jean-Louis Crémieux-Brilhac restera à la fois un grand historien des sombres années 1930-1940 et un témoin de premier plan de cette période.
L’œuvre de cet homme, aussi discret que déterminé et courageux, a été justement saluée. Publiés au moment de sa retraite, alors qu’il venait de quitter la Documentation française (dont il fut l’artisan principal) et le Conseil d’État, ses deux volumes, Les Français de l’an 40, constituent un panorama inégalé de l’époque finalement mal connue durant laquelle le pays roula vers l’abîme dans l’inconscience de la plupart de ses élites et l’apathie d’une population traumatisée par la guerre de 14-18.
La France libre, paru il y a vingt ans, demeure la rétrospective la plus fiable de l’aventure commencée le 18 juin 1940 où l’on ne sait ce qu’il faut le plus admirer, de l’art du portraitiste ou de l’inflexible honnêteté du chercheur.
Après ces deux sommes, Jean-Louis Crémieux-Brilhac s’était fixé pour but en son grand âge de livrer un témoignage plus personnel évoquant son itinéraire, singulièrement au cours du second conflit mondial, et le rôle important qu’il joua à partir de 1942 au sein de la France combattante.
Ce livre (qui paraît aujourd’hui sous le titre de L’Étrange Victoire), il n’eut pas le temps de le terminer mais son éditeur et ami Pierre Nora a eu l’heureuse idée d’en rendre publics les premiers chapitres, complétés par divers documents, en particulier un article de la revue Le Débat relatif à la perception du génocide juif par les hommes qui entouraient de Gaulle à Londres, et un parallèle entre de Gaulle et Mendès France, ses deux grandes admirations.
Il n’hésite pas à avouer que, très longtemps, alors même qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne, il ne put imaginer l’inimaginable
Né dans une famille juive très anciennement installée dans le Comtat Venaissin, ardemment républicaine, Crémieux-Brilhac n’échappa pas complètement au pacifisme ambiant nourri par l’horreur de la tuerie de 14-18. Un séjour en Allemagne au seuil des années trente devait cependant lui ouvrir les yeux sur la réalité nationale socialiste. Alors que tant de contemporains s’obstinaient à voir en Hitler le simple successeur de Guillaume II, il perçut dès cet instant la terrifiante réalité du IIIe Reich.
De là à imaginer ce qui se passait vraiment outre-Rhin où l’on commençait à persécuter les Juifs, il y avait un pas et Crémieux-Brilhac n’hésite pas à avouer que, très longtemps, alors même qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne, il ne put imaginer l’inimaginable. À telle enseigne que, comme beaucoup de ses camarades de captivité, il s’obstina à croire à la complémentarité entre Pétain et de Gaulle.
Évadé de son stalag, tombé peu après entre les mains de geôliers soviétiques, alors alliés des nazis, il lui fallut attendre sa libération, consécutive à l’opération «Barbarossa» et son arrivée en Angleterre pour constater, effaré, que les mesures prises par Vichy, sous pression de l’occupant, facilitaient les plans de ce dernier.
Au-delà du récit de cette extraordinaire odyssée, c’est l’examen scrupuleux de ce qu’il appelle le «problème juif» au sein de la France libre qui donne toute sa valeur à cet ouvrage posthume. Quelles ont été, en 1940, les réactions du général de Gaulle et de ses partisans lors de l’instauration par Vichy du statut des Juifs? Quelle connaissance précise de ce qui se passait dans les camps nazis avaient ces mêmes responsables? Aurait-on pu faire plus, protester avec davantage d’énergie? À toutes ces questions, Jean-Louis Crémieux-Brilhac s’efforce de répondre avec une probité exemplaire. Il met ainsi en évidence la force avec laquelle l’homme du 18 juin dénonça, dès l’été 1940, les persécutions. Mais il ne dissimule pas non plus que, assez longtemps, au moins jusqu’en 1942, la présence au sein du mouvement gaulliste d’éléments liés à une droite radicale et le souci de ne pas paraître lié à une catégorie ont freiné l’ardeur de ceux qui souhaitaient frapper plus fort, hurler la vérité. Étant entendu qu’à peu près personne ne parvenait à concevoir ce qui se passait dans les camps de concentration.
Se retournant sur son parcours, Jean-Louis Crémieux-Brilhac ne prétendait pas avoir été plus lucide que d’autres. Il restait en revanche convaincu que les valeurs dans lesquelles il avait été élevé lui avaient servi de boussole dans le chaos des événements. Son témoignage nous en persuade.
«L’Étrange victoire», de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Gallimard, coll. «Témoins», 245 p. 19,90 €.
SOURCE :
Merci pour cette information. Je vais me procurer cet ouvrage.
Un livre qui manque dans ma bibliothèque…
Ce homme a fait tellement pour la France, sa disparition ,à quelques exceptions pres, a été totalement ignorée par la presse française , j’ai posté à ce propos un comment sur VA qui ne l’a pas publié . Figurez vous que la France profonde, ces français qui se disent de souche , même avec des patronymes on ne peut plus hors France, alors que nous quoique nous fassions et d’où que nous venions, nous serons toujours désignés comme JUIFS et c’est tout , donc les français de souche auto proclamé le considèrent comme un traitre , un déserteur pensez il a quitté la France avec De Gaulle !