Les juifs de Normandie tentés par la Terre promise

Malaise. Les juifs de France se sentent mal et sont de plus en plus nombreux à partir pour Israël. Par idéalisme, à cause de l’antisémitisme ou de la crise économique ? Enquête en Normandie.
Ils venaient principalement d’Algérie, du Maroc et de Tunisie dans les années 1960. Puis d’Éthiopie dans les années 1980. Et des pays de l’Est la décennie suivante. Aujourd’hui, ce sont les juifs de France (qui viennent de fêter Yom Kippour, le jour du grand pardon) qui sont les plus nombreux à faire leur alya, la « montée vers la Terre promise » : Israël. D’après l’Agence juive, organisation paragouvernementale chargée (entre autres) de l’immigration, près de 6 000 seront « montés » sur les dix premiers mois de l’année. « C’est une révolution puisqu’ils étaient environ 2 000 en 2012 et 3 000 l’an dernier, rappelle Yonathan Arfi, vice-président du Conseil représentatif des institutions juives de France. Mais le phénomène reste marginal à l’échelle des juifs de France, qui sont près de 600 000. »
À Rouen, où environ 150 familles fréquentent la synagogue, « il n’y a pas d’exode de masse, insiste Mickaël Bitton, le jeune rabbin de 27 ans. Le nombre de départs est en augmentation, c’est vrai, mais ils ont toujours existé. Même quand ça se passe bien, les juifs sont mobiles. » D’après Chmouel Lubecki, rabbin du mouvement loubavitch (qui a pour but de rapprocher le judaïsme des fidèles), « une à deux familles partent chaque année de Rouen. Mais elles sont de plus en plus nombreuses à y réfléchir. » Autre phénomène : des familles quittent la région parisienne pour s’installer ailleurs en France. « Depuis le début de l’été, cinq ont franchi le pas, confie Samuel Lewin, rabbin à Deauville. Comme ce n’est pas évident de partir, qu’elles travaillent et paient leurs impôts en France, elles veulent aussi rester. »
La plupart sont des retraités et de jeunes actifs, parfois avec de jeunes enfants. « Il y a une accumulation de facteurs, souligne Mickaël Bitton. Ils partent surtout par idéalisme, pour vivre leur judaïsme pleinement. Il y a aussi la situation économique. Mais beaucoup fuient l’antisémitisme qui ne cesse de monter. Il y a un ras-le-bol. » Entre le 1er janvier et le 31 juillet 2014, 527 actes antisémites ont été répertoriés par le Service de protection de la communauté juive, qui travaille avec le ministère de l’Intérieur. Soit une augmentation de 91 % par rapport à 2013. « À Rouen, on n’a pas peur, assure Chmouel Lubecki. Les autorités locales font leur maximum. Mais il m’arrive de me faire insulter dans la rue. » Aucun des délégués du Défenseur des droitsde Haute et Basse-Normandie, chargés de défendre les droits des citoyens, n’ont toutefois été saisis pour de tels actes.
Si l’État hébreu fait tout pour faciliter le départ et l’installation des juifs français (lire ci-dessous), tous n’y trouvent pas leur bonheur. « Ce n’est pas tout rose, répète Marc Benhaïm, président de la communauté juive de Rouen. Marché du travail, sécurité sociale, langue, climat… La vie y est très différente et certains sont revenus. » D’autres, qui n’ont pas trouvé d’emploi, font l’aller-retour avec la France. Et de plus en plus de retraités n’y passent qu’une partie de l’année. « Il y a même des personnes qui sont nées ou qui vivent depuis longtemps en Israël qui décident de partir, dévoile Serge Sobczynski, ancien conseiller culturel à l’ambassade de France à Tel Aviv, qui fut secrétaire général adjoint en charge de la culture à la Ville de Rouen de 1995 à 2000. C’est le cas d’un couple d’amis. Ils ont deux filles et ne voient pas leur avenir dans un pays en guerre. »
Un contexte qui pourtant est loin de décourager les candidats français à l’émigration, de plus en plus nombreux.
DOSSIER RÉALISÉ PAR CHARLY LE GAL
ET PATRICIA LIONNET
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