Le patron de la DGSI au Figaro : «La volonté de Daech de nous attaquer est intacte»

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Par Jean Chichizola et Christophe Cornevin

EXCLUSIF – Laurent Nunez, nommé en juin 2017, livre son premier grand entretien. Il souligne que la propagande de l’État islamique fait toujours de la France un objectif majeur.
Le 13 novembre 2015, des commandos terroristes envoyés par l’État islamique tuaient 130 personnes et en blessaient des centaines d’autres, à Paris et à Saint-Denis. Ce lundi, le chef de l’État, Emmanuel Macron, se rend sur les lieux des attentats. Son prédécesseur, François Hollande, sera également présent. À l’heure où la France se souvient, le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), Laurent Nunez, nommé en juin 2017, livre son premier grand entretien en exclusivité pour Le Figaro. Chef de file de la lutte antiterroriste en France, il s’inquiète notamment d’une menace interne à l’Hexagone utilisant des moyens de plus en plus sophistiqués. Sans écarter le risque d’un commando aguerri projeté depuis la zone syro-irakienne.

LE FIGARO. – Au printemps 2016, votre prédécesseur, Patrick Calvar, avait considéré devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale que «la France est aujourd’hui, clairement, le pays le plus menacé». Est-ce toujours le cas aujourd’hui?
Laurent NUNEZ. – La menace visant la France reste en effet très forte, comme en témoigne la propagande de Daech. Le bruit de fond de cette menace est permanent. Ce qui nous préoccupe, ce sont toujours des projets d’attaques terroristes préparées par des équipes encore implantées dans les zones de combats, en Syrie et en Irak. Cette menace exogène, sur laquelle nous consacrons beaucoup de moyens, reste à nos yeux très sérieuse. Au cœur de nos préoccupations, elle se trouve liée à la capacité qu’a encore l’État islamique – mais aussi al-Qaida, qu’il ne s’agit pas d’oublier – de projeter un commando sur le territoire français pour commettre un attentat.
Nous savons que la volonté des djihadistes de passer à l’action est intacte. Toute la question est de savoir s’ils ont encore la capacité de le faire. Daech est en train de se déliter et nombre de ses combattants ont été tués sur zone, parmi lesquels figurent 281 Français répertoriés comme «présumés morts». Selon un dernier état des lieux, 686 hommes et femmes de nationalité française ou ayant résidé sur le territoire sont recensés sur zone, à laquelle il convient d’ajouter 500 enfants.
Plus récemment, le 18 octobre dernier, dans son discours sur la sécurité intérieure, Emmanuel Macron déclarait que le niveau de la menace terroriste est «durablement élevé», «de plus en plus endogène». Les attaques de type «low-cost» vont-elles continuer à se multiplier?
Le risque d’un passage à l’acte endogène est effectivement notre deuxième sujet de préoccupation. Il demeure élevé. Comme il n’y a quasiment plus de départs sur zone, la tentation est en effet forte chez certains qui adhèrent à l’idéologie de Daech, voire qui prêtent allégeance, de passer à l’acte avec des moyens rudimentaires, une arme blanche avec un effet très traumatisant comme à Marseille ou une voiture bélier pour faire le maximum de victimes, comme à Nice. La propagande de Daech est très active pour inciter ces individus à frapper là où ils vivent. Cette montée en puissance est constatée à travers toute l’Europe. Par rapport à 2015, nous assistons en outre à une certaine forme de professionnalisation de cette mouvance.
C’est-à-dire?
«Tout ce qui se passe sur les théâtres d’opérations est transposable sur notre territoire»
Laurent Nunez
Au cours de l’année écoulée, nous avons mis au jour des tentatives d’attentats avec du TATP (explosif très utilisé par les terroristes islamistes, NDLR). Ces méthodes ont été employées lors de l’attentat de Manchester en mai dernier ou lors des attaques de Barcelone, où les terroristes voulaient confectionner plusieurs centaines de kilos d’explosifs. À l’occasion des démantèlements de laboratoires à Marseille ou encore à Villejuif, nous avons par ailleurs découvert des tutoriels téléchargés sur des sites de l’État islamique.
Désormais, les engins découverts sont assez sophistiqués, à l’image de la bombe artisanale reliée à des téléphones portables et retrouvée au pied d’un immeuble de la rue Chanez, à Paris. À ce stade, l’hypothèse d’une attaque à la voiture piégée ou d’un attentat kamikaze ne peut être exclue, même si nous n’avons pas encore détecté de tels projets. Tout ce qui se passe sur les théâtres d’opérations est transposable sur notre territoire. Nous pouvons enfin craindre l’envoi de tutoriels très aboutis permettant à des «novices» de suivre une formation accélérée à la fabrication et l’usage d’explosif. Ce type de mode opératoire, exportable n’importe où, suscite toute notre attention.

Avec les déboires que rencontre Daech dans les zones de combat, doit-on toujours craindre un retour de «revenants»?
«Actuellement, le scénario privilégié n’est pas celui d’un retour massif»
Laurent Nunez
À ce jour, 244 hommes et femmes sont revenus, ainsi que 58 enfants. Les adultes, pour la plupart placés sous main de justice, sont tous suivis par la Direction générale de la sécurité intérieure. Les mineurs sont pris en charge par un dispositif d’assistance éducative mis en place après bilan psychologique. Actuellement, le scénario privilégié n’est pas celui d’un retour massif. Le robinet s’est tari: depuis janvier, 9 cas de retour ont été répertoriés, dont les deux tiers sont des femmes accompagnées d’un ou plusieurs enfants. Nous sommes désormais face à des combattants assez déterminés à rester sur les zones de repli de l’État islamique, dans l’hypothèse d’être projetés en Malaisie, en Indonésie ou en Afghanistan.
Mais il faut pour autant échanger en permanence entre les services pour éviter tout angle mort. C’est tout l’intérêt de la cellule Allat, spécialisée dans la lutte antiterroriste, qui réunit à la DGSI l’ensemble des représentants des services du premier cercle (Direction générale de la sécurité extérieure, Direction du renseignement militaire, Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, Tracfin) mais aussi du deuxième cercle tel que le Renseignement territorial ou pénitentiaire. Chacun a accès à ses bases de données et les informations sont croisées en temps réel. Nous nous coordonnons aussi avec tous les services de renseignement intérieur des pays étrangers. La DGSI compte près de 160 liaisons qui permettent notamment de «tracer» les passages des «returnees» de chaque pays. Nous ciblons des Français et des étrangers pouvant être projetés chez nous.

Les femmes et les enfants, volontiers comparés à des «bombes humaines», représentent-ils une menace?
Un certain nombre de Françaises ont épousé l’idéologie de l’État islamique. Certaines femmes ont participé aux combats ou à des actions suicides sur zone. Une propagande assez récente de Daech invite les femmes à participer aux actions. Sur notre territoire, nous avons déjoué des attentats conçus, voire mis en œuvre par des jeunes femmes, comme aux abords de Notre-Dame de Paris en septembre 2016. Pour les mineurs, nous savons que des adolescents ont participé aux combats tandis que les plus jeunes présentent d’inquiétants traumatismes qu’il sera impératif de traiter pour éviter tout passage à l’acte ultérieur. Des dispositifs interministériels sont mis en place en ce sens.
«Le risque zéro n’existe pas. Si on ne pourra jamais écarter l’hypothèse d’un attentat, par exemple celle d’un individu isolé répondant à la propagande de Daech et passant à l’action avec des moyens rudimentaires, nous faisons tout pour réduire la menace»
Laurent Nunez

Les attentats du 13 novembre 2015 ont montré que les terroristes se jouaient des frontières européennes. Qu’est-ce qui a changé depuis?
Ce qui a changé, c’est une coopération très renforcée des services de renseignement intérieur dans un cadre intergouvernemental, bilatéral et multilatéral. Au sein du «groupe antiterroriste» (réunissant les services des pays de l’UE, la Suisse et la Norvège), nous échangeons des renseignements en permanence. Ce groupe dispose d’une plate-forme opérationnelle à La Haye depuis 2016 et il a une base de données avec tous les individus suspects. C’est informel et cela fonctionne très bien. C’est la même chose avec les autres grands partenaires étrangers. Il y a quinze jours, nous avons échangé avec un État du nord de l’Afrique des informations sur des objectifs communs, ce qui a permis d’interpeller des individus ayant des projets terroristes dans ce pays et dont l’un voulait venir en France pour commettre un attentat.

En juillet dernier, la DGSI suivait environ 2000 suspects liés au contentieux syrien. Le nombre et la nature des «cibles» ont-ils depuis lors évolué?
Il s’agit des «velléitaires», qui voulaient ou veulent partir, et des individus présents dans la zone syro-irakienne. Les 4 000 objectifs que nous suivons et qui sont intégrés dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, incluent bien sûr ceux-là. Quant aux profils, ils vont de l’enfant de 13 ans voulant commettre un attentat à des quinquagénaires, «vétérans» déjà condamnés par la justice française…

Treize attentats ont été déjoués depuis janvier, certains avec beaucoup de chance. Peut-on garantir une sanctuarisation du pays?
Le risque zéro n’existe pas. Si on ne pourra jamais écarter l’hypothèse d’un attentat, par exemple celle d’un individu isolé répondant à la propagande de Daech et passant à l’action avec des moyens rudimentaires, nous faisons tout pour réduire la menace.

Quel est le bilan opérationnel de la DGSI?
Depuis le début des filières syro-irakiennes, en 2013, 46 attentats ont été déjoués, 17 ont échoué et 10 ont eu lieu. La DGSI a procédé à 798 gardes à vue dans 581 dossiers judiciaires. 357 personnes ont été écrouées et 115 placées sous contrôle judiciaire.
Comment relever les défis technologiques, en particulier ceux du chiffrement et du big data?
«La sécurité des Français ne supportera aucune guerre d’ego»
Laurent Nunez
Le premier défi, pensé par mon prédécesseur Patrick Calvar et que je reprends à mon compte, est de créer un outil d’exploitation unique des données au sein de la DGSI, qui nous permettra de les croiser totalement et beaucoup plus rapidement. Savoir, par exemple, très vite; à partir d’un numéro de téléphone, dans quel dossier il apparaît et le relationnel de son possesseur. Deuxième défi: maintenir une capacité pour aller chercher le renseignement, développer nos techniques autorisées par la loi de juillet 2015 (la sonorisation, la captation de données informatiques, les Imsi-catchers…). Nous y travaillons avec les autres services français sous l’égide de la coordination nationale du renseignement.
Le président de la République a voulu cette coordination totale et confiante entre nous tous. C’est aujourd’hui une réalité. Au-delà des contacts quotidiens avec le ministre de l’Intérieur et son cabinet, je m’entretiens plusieurs fois par jour avec le directeur de la DGSE, Bernard Émié, ou avec le coordonnateur national, Pierre de Bousquet de Florian. Ils sont devenus des partenaires quotidiens et, au-delà, des amis. La sécurité des Français ne supportera aucune guerre d’ego. Le troisième défi, c’est l’action impulsée par le chef de l’État et le gouvernement auprès des grands opérateurs pour obtenir leur totale coopération, dans des conditions juridiques bien précises et dans un cadre judiciaire. Il nous faut mieux travailler avec les opérateurs.

Êtes-vous inquiet de la radicalisation des extrémistes de gauche et de droite?
Dans le contexte de montée en puissance de l’islam radical, des groupuscules d’extrême droite peuvent se structurer pour constituer des milices, passer à l’action, notamment contre des musulmans. Un groupe récemment démantelé dans le Sud-Est ciblait des mosquées ou des lieux festifs. Ces mouvances sont divisées et éclatées, mais il faut les suivre et se garder de «loups solitaires» comme le Norvégien Breivik. Pour l’ultragauche, on constate une montée en puissance s’appuyant sur les mouvements de rue.
Diverses mouvances – anarcho-autonomes, antifas… – se sont structurées et commettent des exactions, s’en prennent aux policiers de manière systématique et théorisée (rejet des institutions, volonté d’en découdre avec l’État). Il y a aussi des incendies de véhicules, de gendarmeries, ou visant de grands groupes publics et parapublics. Sans oublier les connexions avec des groupes étrangers, comme on l’a vu pendant le G20 à Hambourg, où des Français ont été interpellés lors des attaques de Black Blocs. Comme sur tous les autres sujets, mes collaborateurs veillent. Je veux saluer leur engagement, leur dévouement sans faille pour la sécurité de nos concitoyens qui fait ma fierté d’être leur chef.
SOURCE :
http://premium.lefigaro.fr/actualite-france/2017/11/12/01016-20171112ARTFIG00145-le-patron-de-la-dgsi-au-figaro-la-volonte-de-daech-de-nous-attaquer-est-intacte.php

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