Le double jeu de l’imam Hassan Iquioussen
Entre discours haineux et appels à la paix, le prêcheur islamiste du Nord, devenu une vedette grâce à Internet, cultive ses ambiguïtés.
Le revoilà. Vendredi, une semaine, jour pour jour, après l’assassinat de Samuel Paty en région parisienne, l’imam le plus célèbre du Nord – le plus controversé, aussi – refait parler de lui. Pas pour des propos antisémites, cette fois ; il a déjà eu l’occasion de présenter ses excuses, par exemple, pour cette conférence de 2003 dans laquelle il affirmait que « les sionistes ont été de connivence avec Hitler. Il fallait pousser les Juifs d’Allemagne en France à quitter l’Europe pour la Palestine. Pour les obliger, il fallait leur faire du mal », etc. C’est du passé, n’en parlons plus. Pour ses harangues homophobes, alors ? Nullement : devant les fidèles réunis pour la prière du vendredi à la mosquée de Villeneuve-d’Ascq, à côté de Lille, Hassan Iquioussen, 56 ans, est venu appeler à l’apaisement.
« Nous devons montrer que nous ne sommes pas des imposteurs. Il faut combattre le communautarisme et le séparatisme. L’islam ne peut grandir que s’il vit avec les autres », a exhorté l’imam devant près de 300 croyants réunis pour cet hommage, qu’il présidait, au professeur d’histoire-géographie décapité pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves lors d’un cours sur la liberté d’expression. Des propos loin, bien loin, de ceux qu’il tient parfois à ses aficionados en vidéo : « Votre approche laïque de l’islam est criminelle. […] Islam et politique sont indissociables. »
Après un attentat, Hassan Iquioussen est là. En juillet 2016, déjà, il est appelé par la maire socialiste de Denain (une commune au sud de Valenciennes, 20 000 habitants), Anne-Lise Dufour-Tonini, à représenter la communauté musulmane lors d’une cérémonie organisée en hommage au père Jacques Hamel, ce prêtre de Normandie égorgé dans son église par deux islamistes. À cette occasion, le « prêcheur des cités » apparaît main dans la main (littéralement) avec l’édile socialiste, au tout premier rang. Ce qui défrise plus d’un habitant de la ville, musulmans compris : pourquoi lui, alors qu’il n’habite même pas la commune et qu’on trouve d’autres imams plus consensuels dans les deux mosquées de Denain ?
En février dernier, nous racontions l’étonnante success-story de la famille Iquioussen à Denain. Dans l’ancienne cité minière du Nord, ses membres ont su prospérer en mélangeant allègrement politique et bonnes affaires financières. Hassan, le père, est une figure importante de Musulmans de France (ex-Union des organisations islamiques de France, UOIF), considéré comme la branche française du mouvement international des Frères musulmans. Des intégristes qui prônent l’instauration de la charia – la loi islamique, régissant tous les aspects de la vie d’un individu – par des voies non violentes. Les militants sont invités, au contraire, à prendre le pouvoir sur le long terme, en investissant massivement la vie associative et politique.
Longs et subtils, les prêches d’Hassan Iquioussen ne contiennent aucun appel à prendre les armes. Strictement inchangée au fil des années, sa ligne est assez bien résumée dans une vidéo datée du 2 janvier 2014 et intitulée « L’islam et la politique »: « L’islam implique automatiquement un mode de vie. L’islam n’est pas seulement une spiritualité […] c’est aussi un ensemble de lois éthiques, morales, mais aussi des lois pour diriger la société. […] Si vous ne faites pas de politique […], vous ne pourrez pas obéir à Dieu et à son prophète parce que vous allez avoir des dirigeants injustes, intolérants, qui vous empêcheront de faire la prière et la zakat et d’obéir à Dieu et au prophète. Et ce sera de votre faute, parce que vous avez restreint la religion à la prière, à la barbe et au voile […] Votre devoir de citoyen est de protéger votre société contre toute dérive politique. »
Mon objectif, c’est de montrer aux hommes politiques qu’on existe ; que nous sommes devenus un lobby politique. On peut faire pression maintenant !
Dans une vidéo adressée aux nombreux fidèles qui le suivent (42 000 sur Facebook, 155 000 sur sa chaîne YouTube, pour plus de 28 millions de vues toutes vidéos confondues), Hassan Iquioussen, surnommé « le gourou » dans sa propre communauté, revient sur la savante recette qu’il a contribué à mettre au point : d’abord, il faut inciter tous les fidèles d’une mosquée à aller s’inscrire ensemble sur les listes électorales d’une commune. Quand c’est fait, il n’y a plus qu’à prendre rendez-vous avec la mairie sans tarder : « On s’est assis avec le maire et on a discuté avec lui, s’enorgueillit-il de raconter à son audience. Monsieur le Maire, je suis ici pour faire du business. Oui, du business. Tu viens avec une liste, et tu lui dis : Je veux ça, ça, ça. Vous voulez votre poste ? Je vous le garantis. […] Mon objectif, c’est de montrer aux hommes politiques qu’on existe, que nous sommes devenus un lobby politique […], un vote communautaire. […] On peut faire pression maintenant ! »
Parmi eux, Hassan Iquioussen, prédicateur de la mouvance frériste le plus suivi de l’islamosphère française (cf. rapport “la fabrique de l’islamisme” (2018) pour l’institut Montaigne) , affiche également son soutien au CCIF. #Stopislamistes 20/n pic.twitter.com/OZ6rv7eANw
— On vous voit (@Onvousvoit2020) October 23, 2020
Cette recette, à Denain, lui et les siens l’ont déjà éprouvée : l’un des fils de l’imam frériste, Soufiane, officiellement simple salarié du centre communal d’action sociale (CCAS), est devenu le directeur de campagne officieux de la maire PS de Denain pendant les municipales 2020 – ce qui a été révélé dans plusieurs enquêtes. Celle-ci a été réélue dès le premier tour de l’élection, en mars 2020, avec 57,10 % des voix.
L’influence d’Hassan Iquioussen s’étend cependant bien au-delà des frontières de Denain : vendredi dernier, il est donc appelé pour diriger un appel au calme à la mosquée de Villeneuve-d’Ascq, située à une bonne cinquantaine de kilomètres au nord de son domicile. N’y a-t-il donc pas d’imam dans cette mosquée ? Non, depuis qu’Ahmed Miktar, celui qui y officiait depuis sa création (sans jamais cacher ses liens de proximité avec la confrérie des Frères musulmans), a tout bonnement…disparu. Envolé depuis le printemps, sans laisser d’adresse. Pour des « raisons familiales », officiellement. « Il aurait été écarté par la direction pour avoir abusé sexuellement de converties en perte de repères, dénonce une source bien informée. La ligue islamique du Nord aurait négocié son départ, et acheté le silence de ces femmes. »
Aucun autre imam plus modéré à l’horizon ? Il faut croire que non, pour que le prédicateur denaisien soit appelé en renfort lors d’une cérémonie aux faux airs de pied de nez. Contacté, celui-ci explique qu’il n’a « pas de mosquée attitrée » et qu’il « répond aux sollicitations en fonction de [s]es disponibilités ». Quant à la charia, observe-t-il, « je l’applique déjà autant que cela se peut dans ma vie privée et dans la sphère publique en respectant la loi de la République ». « Hassan Iquioussen et ses Frères musulmans en France tentent une opération pour s’autoblanchir, prévient le Roubaisien Mohamed Louizi, qui a lui-même milité dans cette mouvance pendant une quinzaine d’années. Ils multiplient les communiqués et les prises de parole pour montrer patte blanche. Le stratège, Iquioussen-père, inscrit son action sur le temps long pour changer le rapport de force. Sa présence à Villeneuve-d’Ascq s’inscrit dans ce cadre : faire profil bas, en attendant. » « Patience, appelle Hassan Iquioussen dans une vidéo publiée sur sa chaîne en janvier 2015, intitulée Quelle attitude adopter face au blasphème ? Il faut savoir patienter, il faut savoir encaisser. »
Source :
https://www.lepoint.fr/societe/le-double-jeu-de-l-imam-hassan-iquioussen-01-11-2020-2398964_23.php
En 2003, Hassan Iquioussen donne une conférence publique enregistrée et diffusée sous forme de cassette audio sous le titre « La Palestine, histoire d’une injustice ». En janvier 2004, le journal L’Humanité révèle la teneur des propos tenus lors de cette conférence2. Iquioussen y qualifiait les juifs d’« avares et usuriers ». Il les accusait d’être « le top de la trahison et de la félonie », de « comploter contre l’islam et les musulmans » ou encore de « [ne pas vouloir] se mélanger aux autres qu’ils considèrent comme des esclaves ». Il attribuait le schisme qui a divisé l’islam « à un juif yéménite converti pour détruire l’islam de l’intérieur » (Abdullah ibn Saba) et présentait Mustafa Kemal Atatürk comme « un converti hypocritement à l’islam » pour la même raison. Il accusait les sionistes d’avoir poussé « Hitler à faire du mal aux Juifs allemands pour les forcer à partir » et présentait le président égyptien Anouar el-Sadate comme un « agent américain » tandis que Yasser Arafat et ses hommes étaient accusés de dépravation. Il y faisait également l’éloge d’Hassan El-Banna, le fondateur des Frères musulmans.