La «filière orléanaise» du djihad devant la justice
Parmi les neuf prévenus jugés pour avoir participé à une filière d’acheminement de djihadistes vers la Syrie, on retrouve des profils parfaitement intégrés, comme cet employé marié et père de famille.
«Je pourrais vous faire un petit coucou durant la semaine mais je ne vous promets rien.» Des mots inhabituels, adressés par lettre par un prévenu au tribunal correctionnel de Paris qui juge, depuis mercredi et jusqu’au 30 novembre, neuf personnes, toutes détenues, accusées d’avoir participé à une filière d’acheminement de volontaires pour le djihad syrien. Ils encourent dix ans de prison pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Mercredi, huit étaient donc présents, le neuvième ayant refusé de venir «faire coucou» au tribunal. Le pittoresque mis à part, le procès de la «filière d’Orléans», ville des prévenus, plonge l’observateur dans la préhistoire de l’engagement des partisans de l’islam radical en Syrie, avant l’État islamique. La filière se développe dès 2012. Un groupe de jeunes – la plupart ont une vingtaine d’années à l’époque – se réunit autour d’une mosquée d’Orléans. Ils sont français, certains sont binationaux (Algérie, Maroc…), d’autres, convertis parfois, ont des origines familiales d’Afrique noire. Un prédicateur les endoctrine, tient des réunions en soirée où il est question de djihad, de résistance au régime honni de Bachar el-Assad. Le prédicateur ne figure pas au banc des prévenus. Étranger, il a été expulsé du territoire français. Les premiers «volontaires» partent au cours de cette même année 2012, ces Orléanais comptant parmi les premiers djihadistes français à faire le voyage.
Des profils parfaitement intégrés
Un mouvement les accueille à bras ouverts: Jaish Muhammad, l’Armée de Mahomet, aussi connu comme la Katiba Jaish Muhammad, la Brigade de l’armée de Mahomet (BAM), est, selon l’accusation, proche de Jabhat al-Nosra, lui-même affilié à l’époque à al-Qaida. Le groupe a été fondé par un Égyptien, vétéran du djihad en Afghanistan dans les années 1980 – il a aussi combattu en Libye et en Birmanie. L’homme a passé 12 ans dans les geôles égyptiennes. Le BAM est actif dans le nord-ouest de la Syrie et regroupe 150 à 200 combattants, venus d’Égypte, du Maghreb et bientôt de France. Un des Orléanais devient en effet le bras droit de l’émir fondateur de Jaish Muhammad. Au total, une vingtaine de jeunes de la région d’Orléans a fait le voyage. Outre les neuf suspects jugés depuis mercredi, plusieurs autres ont déjà été jugés en France. Un bilan encore plus inquiétant quand on considère que certains de ces djihadistes, venus d’un Val de Loire peu connu comme un fief de la radicalisation, présentent des profils parfaitement intégrés. Comme c’est le cas de celui qui a été interrogé en premier, mercredi, par le tribunal. Employé à la caisse primaire d’Assurance-maladie, marié civilement, père d’un enfant, il passait en moyenne vingt-cinq minutes par jour avec son ami d’enfance devenu bras droit de l’émir du BAM. Dans leurs échanges, selon un code grossier, il était notamment question de matchs (combats), de crampons (armes) ou d’entraîneur (l’émir). Grand absent du procès, cet ami d’enfance serait encore dans la zone syro-irakienne. Au total, dix djihadistes orléanais ne seraient pas rentrés, laissant planer une ombre sur le sort de ces «revenants» en puissance.
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