Joann Sfar:«Depuis le 7 octobre, tous les Juifs, en France ou ailleurs, ont peur de disparaître»
Par Claire Bommelaer et Olivier Delcroix
ENTRETIEN – Après les attaques du 7 octobre 2023, l’auteur du Chat du rabbin publie Nous vivrons. Avec ce roman graphique de 450 pages, puissant et intime, il mène l’enquête sur l’avenir des Juifs, en France et en Israël.
Dessinateur de bande dessinée reconnu (Le Chat du rabbin), cinéaste (Serge Gainsbourg, vie héroïque), romancier (L’Éternel) Joann Sfar, 53 ans, est un infatigable portraitiste de la condition humaine et de la condition juive. Alors qu’il milite depuis trente ans pour la paix au Moyen-Orient, les massacres du 7 octobre dernier perpétrés par le Hamas contre Israël, l’ont amené à mettre tous ses projets entre parenthèses, au profit de Nous vivrons (Les Arènes BD). Conçu dans l’urgence, cet album de 450 pages se veut autant une enquête sur les racines de l’antisémitisme qu’une galerie de portraits d’individus s’interrogeant sur leur identité juive.
LE FIGARO. – Quel a été le déclic qui vous a poussé à entreprendre Nous vivrons?
Joann SFAR. – Je dessine depuis trente ans. J’ai parallèlement développé une activité autobiographique sous forme de carnets. Les événements tragiques du 7 octobre ont provoqué chez moi une sorte de déflagration. Soudain, j’ai voulu me concentrer sur un seul sujet. Et j’ai commencé à dessiner, à noter ce que j’entendais. Au départ, je ne savais pas que cela donnerait un livre, et je publiais des dessins sur Instagram. Puis, pendant trois ou quatre mois, il n’y a rien eu d’autre dans ma vie. Moi qui fais partie de cette génération ayant rêvé des accords d’Oslo, j’ai eu envie de faire quelque chose d’utile.
Je me suis utilisé comme véhicule narratif, un peu comme un Tintin reporter, mais le sujet, ce n’était pas moi. J’ai voulu utiliser le matériau de la BD d’aventure, à la manière d’un Corto Maltese, pour rendre compte des conséquences de ce massacre, en France comme en Israël. J’ai mis en scène plus d’une cinquantaine de personnages. Le livre est devenu une sorte de polyphonie, racontant l’égarement de gens que l’on n’a pas l’habitude d’écouter.
Pendant la première moitié du livre, qui se déroule en France, j’ai pensé à Stefan Zweig et à sa désespérance dans les années 1930. Pour la seconde, je me suis davantage identifié à Joseph Kessel, grand écrivain et reporter de guerre qui partait à la rencontre du réel et êtres humains.
Tant à Paris qu’à Tel-Aviv ou à Jérusalem, j’ai pris le temps d’écouter, et de faire parler: ce sont les mots de mes personnages, pas les miens, qui sont publiés. C’est sans doute pour cela que le livre est rempli de propos et de choses auxquels je ne m’attendais pas.
Qu’avez-vous entendu?
À ma grande surprise, j’ai découvert qu’en Israël le débat public est beaucoup plus ouvert qu’en France. La manière dont les Israéliens se racontent, dans leur vie quotidienne, est remplie de paradoxes et d’incertitudes. Alors qu’au lendemain du 7 octobre, j’étais, comme la plupart des Français, rempli de certitudes. Le but de Nous vivrons, est d’aider à sortir des clichés, et d’une forme de certitude trompeuse. Le débat autour du conflit, notamment sur les réseaux sociaux, est totalement polarisé, et c’est à celui qui fera le plus de bruit.
À Paris, je suis frappé par les affirmations de certains. C’est moins le cas en Israël. Là-bas, les gens adorent leur pays, mais ils ne parlent pas par slogans. Être utile au débat, c’est trouver un moyen de dénouer des choses qui semblent insolubles. Accepter des moments de doutes, d’angoisse, accepter que le camp d’en face n’ait pas complètement tort.
Sur la couverture de l’album, comme autour de votre cou, vous placez bien en évidence le symbole hébraïque, «Haï»…
C’est bien connu, les Juifs ne sont jamais d’accord sur rien entre eux. Ne dit-on pas: «Deux Juifs, trois synagogues?» Pourtant, depuis le 7 octobre, tous les Juifs, en France ou ailleurs, ont au moins en commun une chose: la peur de disparaître. Au lendemain du massacre, j’ai publié sur Instagram le mot «Haï», qui signifie la vie, en hébreu. En dessous, j’ai écrit «nous vivrons». Le «Haï» n’est ni sioniste ni religieux, c’est une sorte de porte-bonheur biblique.
Sur la couverture, le mot est inscrit sur l’unique banderole d’une manifestation, que l’on comprend se dérouler dans les rues de Paris. Nous avons tous des regards perdus, mais le Haï émerge au-dessus de nos têtes. Je raconte dans le livre que ma compagne m’en a offert un pour mon anniversaire, que je porte autour du cou. Moi qui n’ai jamais été très collectif et n’avais eu jusque-là aucune vie communautaire, je me suis rapproché de certaines associations qui s’investissent depuis dans la cohésion sociale. Leur travail est louable, pas seulement pour les Juifs, mais pour une France plurielle dans laquelle chacun peut parler.
Vous êtes l’un des rares artistes à prendre position, après le 7 octobre.Pourquoi ce silence assourdissant?
Il n’y a pas que les artistes qui se sont tus, toute la société civile s’est tue. Certains sont sortis du bois après l’attaque de Gaza, mais ils se sont disqualifiés par leur silence initial. Si on s’intéresse à un sujet, soit on en parle tout le temps, soit jamais. Je n’ai pas été très surpris par ce silence, car le Moyen-Orient est une question qui rend fou ; dès que l’on dit un mot, on subit des agressions. Les gens ont donc eu peur, pour leur carrière ou simplement, de dire des bêtises, car le sujet est complexe.
Des libraires, avec qui je travaille régulièrement, étaient hostiles à l’idée de devoir présenter mon livre en vitrine, à cause du caractère hébraïque qui figure en couverture. C’est incroyable, mais cela donne la mesure du problème que peuvent rencontrer les voix juives aujourd’hui. Je me suis d’ailleurs tourné vers les Éditions des Arènes qui publient aussi des livres traitant de sciences humaines.
Vous écrivez: «La peur des Juifs, c’est ma rage.» Est-ce que votre livre reflète cette colère?
J’essaie d’être le plus aimant et le plus humain possible. Mais quand je vois des mères juives pousser un landau avec de la peur dans leurs yeux, quand je vois que certains n’osent pas avoir une existence juive publique, ça me rend fou de rage. L’inquiétude que je perçois chez les Juifs dans les écoles ou à l’université, me fait bondir. Cette tension perpétuelle en France autour des Juifs et d’Israël interdit presque de penser le conflit. Quoi qu’on dise, on se fera insulter par les deux camps et aucune discussion n’est possible. J’ai toujours tenu un discours, paisible, mesuré et fraternel, ce qui n’empêche rien. Je reçois des messages haineux sur les réseaux sociaux, alors que cela fait trente ans que je dessine des Juifs avec des têtes d’Arabes!
Vous considérez-vous comme un intellectuel juif ou plutôt comme un philosophe?
Ni l’un ni l’autre. Je suis plutôt un portraitiste. Dans cet ouvrage, j’ai mis en scène plus d’une cinquantaine de personnages. D’ailleurs, tous ces gens, je les ai représentés dans les pages de garde de mon album, comme l’avait fait Hergé dans les fameuses pages de garde des aventures de Tintin.
Depuis la sortie du livre, vous courez les médias. Avez-vous conscience d’être devenu une sorte de porte-parole du malaise juif?
Le rôle d’un artiste n’est pas d’être apaisé quand tout va mal, mais de transcrire des sentiments et de les dire de manière intelligible. Je sais bien que même si Nous vivrons est un best-seller, il ne pèsera rien face aux post antisémites du rappeur Kanye West, lequel a des dizaines de millions de followers. Le rêve serait de dire que l’espace imaginaire de la BD nous préservera de tout. Face au massacre, on a vu que cela n’avait pas pesé.
Mais Nous vivrons peut servir sur la représentation de l’avenir. Avec Le Chat du rabbin , j’ai voulu être une voix du judaïsme français, en essayant d’enchanter les lecteurs et de célébrer la fraternité avec le Maghreb. Cette fois-ci, Nous vivrons est sans doute le plus français de mes livres. Il dit que nous, les Juifs, voulons avant tout être des Français comme les autres et avoir notre place autour de la table.
En quittant Tel-Aviv, l’autre jour, je me suis demandé pourquoi je me sentais tellement malheureux de rentrer à Paris. La réponse est simple, Israël n’est pas mon pays, je n’y suis qu’un observateur. En France, cela fait trente ans que je plaide pour la paix, et je me sens désormais coresponsable de ce qui ne va pas. Une chose me paraît évidente: les Juifs se demandent où ils vont vivre à l’avenir, et depuis le 7 octobre, on les fait se sentir un peu moins français que les autres. Il faut affirmer le droit à un citoyen, fût-il juif, de vivre où il veut, y compris en France. Le judaïsme fait partie de la polyphonie européenne, c’est une voix qui a droit au chapitre, une voix amoureuse de la République française et de son pilier, la laïcité.
«Nous vivrons», de Joann Sfar, Les Arènes BD, 456 p., 35 €.
SOURCE
LE FIGARO
happywheels
Joann Sfar:«Depuis le 7 octobre, tous les Juifs, en France ou ailleurs, ont peur de disparaître»
MAIS VOUS NE DISPARAÎTREZ PAS,DIEU Y VEILLE!!!!🙏✝✡💪
Par contre il faut faire cesser ces agressiopns,harcellement par tout les moyens 🤬!!!
Nous ne sommes peut-être peu nombreux nous les personnes non-juive athés,chrétiens ou autres,mais nous sommes lá!Que faisons nous face aux tarés antisémite,ou anti-sioniste comme ils se font appeler aujourd´hui?Moi á mon niveau je discute beaucoup avec des personnes que je rencontre venant du M.O-P.O,avec des personnes au cours de manifs….Aprés que cela porte ses fruits,je n´en sais trop rien,pas grave,je continue,il en restera toujours quelque chose 😁!
J’aime bien Joann Sfar , mais je ne sais pas pourquoi il pense que les Juifs ont peur de disparaître ? Nous sommes la depuis 3500 ans , nous avons un État Juif très puissant, le 7 Octobre a fait prendre conscience que nous avons beaucoup d’ennemis qui rêvent de nous détruire. Ce n’est pas nouveau, les Juifs sont devenus plus fort après la Shoa .
les juifs n ont nulle peur de disparaitre !nulle part !ni ici ni surtout pas en israel!au contraire !le peuple juif sortira plus fort et plus uni qu avant la tragedie du 7 !et puis franchement l etat d israel est en train de faire payer tres tres cher ces ignobles vermines hamas !ma foi les bilans ne sont pas mauvais !!il faut encore les amèliorer !quitte a faire attrapper un infarctus a melenchon !!!!
Effectivement notre communauté est en grand danger, mais notre histoire a connu bien de vicissitudes, mais nous nous sommes toujours relevé et encore plus fort.
Mais en ce moment notre communauté n’a jamais été aussi en danger, nous devrons compter que sur nous même comme d’hab ^^
Joann Sfar l’ idéaliste a le droit de s’ exprimer. Une vision cependant un peu trop optimiste, totalement à côté de la plaque sur le vivre ensemble. La paix n’ est pas possible avec celui qui veut t’ exterminer. Que JS réfléchisse un peu plus sur le 7 octobre.