Jérôme Fourquet : « L’islam est désormais perçu comme une menace par une frange importante des chrétiens »
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Avec À la droite de Dieu, Jérôme Fourquet décrit le grand retour des catholiques à la politique. Manif Pour Tous, primaires de la droite, chrétiens d’Orient… le directeur du Département opinion et stratégies d’entreprise de l’IFOP nous plonge au cœur de la «cathosphère».
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Spécialiste de l’opinion mais aussi historien et politologue, Jérôme Fourquet analyse dans À la droite de Dieu (éd. du Cerf, janvier 2018) les nouveaux combats politiques menés par les catholiques.
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LEFIGAROVOX.- Dans votre livre, vous décrivez une «érosion démographique» des catholiques. Comment l’expliquer?
Les facteurs de ce déclin sont assez complexes, mais ce qui est sûr, c’est que les jeunes générations de catholiques évoluent actuellement dans un contexte très différent de celui qu’ont connu leurs aînés. L’IFOP a enregistré ce déclin au travers de ses enquêtes, puisque notre institut existe depuis près de quatre-vingts ans. Avant Vatican 2, concile qui s’est tenu de 1962 à 1965, un Français sur trois allait encore à la messe. Aujourd’hui, il n’y a plus que 6 % de la population qui s’y rend encore tous les dimanches. Un tel déclin en à peine cinquante ans est totalement inédit! Surtout, il touche toutes les catégories de la population. Les cathos d’aujourd’hui vivent dans une société très largement déchristianisée. Ce contexte défavorable n’est sans doute pas pour rien dans ce que j’appelle le «repli identitaire» que l’on mesure dans une partie de la France catholique.
Parlons-en, justement: parmi ceux qui ont voté au second tour, 4 catholiques sur 10 ont choisi Marine Le Pen. Est-ce le signe d’une droitisation des catholiques?
Avant même le second tour de la présidentielle, 46 % des catholiques avaient voté pour François Fillon au premier tour, 15 % pour Marine Le Pen et 4 % pour Nicolas Dupont-Aignan. Le centre de gravité de l’électorat catholique s’est donc nettement droitisé. Mais la configuration électorale du second tour était inédite: contrairement à 2002, le Front National n’était plus opposé à un candidat de droite, et de nombreux catholiques se retrouvaient orphelins de candidat pour le second tour. Pour autant, rien n’obligeait ces personnes à reporter leurs voix sur Marine Le Pen, et pourtant nombre d’entre eux l’ont fait. En 2002, au deuxième tour, seuls 17 % des catholiques avaient voté pour Jean-Marie Le Pen, tandis que sa fille a obtenu les voix de 38 % d’entre eux.
François Fillon a su maintenir la digue vis-à-vis du FN au sein de l’électorat catholique.
Pourtant, si l’on considère le premier tour, la candidate frontiste n’avait pas progressé dans cet électorat en 2017 par rapport à 2012. François Fillon a su maintenir la digue vis-à-vis du FN au sein de l’électorat catholique, en jouant sur de nombreux tableaux. Les catholiques «droitiers» ont notamment été séduits par son soutien clairement affiché aux chrétiens d’Orient, par son discours très offensif contre l’islamisme ou encore par sa fermeté sur des sujets sociétaux qui est allée jusqu’à reprendre dans son discours certains éléments de langage de La Manif Pour Tous.
Cette digue a tenu au premier tour et en dépit du Penelope Gate, Fillon fait le même score chez les catholiques pratiquants que Sarkozy en 2012, alors qu’il perdait 7 points dans l’ensemble de la population par rapport au niveau atteint par son prédécesseur cinq ans plus tôt. Cette stabilité du score de la droite parmi les «cathos» a masqué une radicalisation d’une partie de l’électorat catholique qui s’est exprimée de manière nette au second tour avec le score élevé de Marine Le Pen dans ce segment.
Et aujourd’hui, comment les catholiques se positionnent-ils face à Emmanuel Macron?
Les catholiques ne constituent pas un bloc homogène, loin s’en faut. Il est difficile de les ranger dans des compartiments étanches, et il faut prendre en compte d’autres variables sociologiques (comme les catégories socioprofessionnelles par exemple) qui nous interdisent de parler d’un «vote catholique», comme s’il y avait un consensus politique fort entre eux. Si le centre de gravité des catholiques penche à droite, des courants plus modérés existent encore parmi les catholiques.
Néanmoins, une fois cette précaution prise, je constate par exemple que de nombreux catholiques de droite sont en désaccord avec leur président sur des sujets comme l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes: deux tiers des catholiques pratiquants sont contre. Mais l’actuel président a également des atouts pour séduire un certain nombre de catholiques!
Sur son projet réformiste et libéral, par exemple?
Je pense que les catholiques ne se retrouvent pas tous dans le discours que peut tenir Emmanuel Macron sur l’économie et la réussite personnelle. Quand le président souhaite publiquement que des jeunes Français «aient envie de devenir milliardaires», les catholiques peuvent s’irriter: la société des «premiers de cordée» n’est pas conforme à la relation qu’ont les catholiques avec l’argent, qui n’est pas leur alpha et leur oméga.
En revanche, Macron gagne des points chez les catholiques sur des thématiques comme le retour aux fondamentaux à l’école ou encore le contrôle aux frontières tout en sanctuarisant le droit d’asile auxquels ils sont attachés. Surtout, les catholiques sont nombreux à être sensibles à la politique de concorde nationale qu’ambitionne le président, ce fameux «à la fois de gauche et de droite» qui en fait le digne héritier de la démocratie chrétienne. D’ailleurs, ce courant politique était incarné par François Bayrou, qui a fait alliance avec Macron lors de la campagne présidentielle.
Dans l’hypothèse où Macron persiste à vouloir légiférer sur la PMA, Macron est-il à l’abri d’un mouvement social de grande ampleur comme l’a été La Manif Pour Tous en 2012-2013?
Voilà cinq ans, La Manif Pour Tous a surpris absolument tout le monde. Nul ne s’attendait à une mobilisation aussi longue et aussi importante. Il faut donc être prudent en matière de pronostics! Cependant, aujourd’hui, la donne n’est plus la même. Hollande avait cristallisé contre lui toutes les oppositions, en envoyant d’abord au front des ministres qui ont fait figure de repoussoir, mais aussi en rajoutant de l’huile sur le feu, tant dans le discours (en assimilant les anti-mariage pour tous à des réactionnaires homophobes) que dans la répression policière des manifestants, dont plusieurs d’entre eux ont même été incarcérés. Macron, lui, n’est pas un président de gauche: il gouverne avec une coalition qui rassemble aussi des personnalités de droite. Et certains de ses propos, notamment lorsqu’il a déclaré que les opposants au mariage homosexuel ont été «humiliés», laissent supposer qu’il ne prendra pas le risque d’être aussi abrupt à leur encontre que son prédécesseur.
Par ailleurs, en 2013, bien qu’une majorité de Français ait été favorable au mariage pour les personnes de même sexe, c’était plutôt 50/50 en ce qui concerne l’adoption. En retenant cet angle de mobilisation, La Manif Pour Tous a donc pu s’appuyer sur un soutien potentiellement assez important dans l’opinion, tandis qu’aujourd’hui les Français sont majoritairement favorables (autour de 60% selon différentes enquêtes) à la PMA pour toutes les femmes. Cela représente certes 40% d’opposants potentiels, ce qui n’est pas rien, mais la base est plus étroite qu’à l’époque. Le noyau dur des sympathisants semble toujours mobilisé mais les publics moins militants seront plus difficiles à faire redescendre dans la rue.
Vous estimez également qu’il y a eu un changement dans la perception qu’ont les catholiques de l’islam?
L’islam est désormais perçu non plus comme une religion concurrente mais comme une menace.
Même si on ne peut jamais dater précisément un tel changement, il semble que l’assassinat du Père Hamel dans son église de Saint-Etienne-du-Rouvray ait cristallisé cette évolution. On observait déjà un bruit de fond auparavant: les agressions sexuelles survenues à Cologne, les attentats terroristes ou encore les meurtres de populations chrétiennes commis par Daesh ont provoqué un raidissement des catholiques sur la question de l’islam. Puis dans un second temps, les catholiques ont progressivement pris conscience qu’ils étaient minoritaires dans leur propre pays. En face, une population musulmane cohabite désormais avec eux sur un territoire qui a de plus en plus de mal à revendiquer ses racines chrétiennes.
Le choc des images est important: on voit d’un côté des églises fréquentées par des personnes de plus en plus âgées, et qui ne sont plus remplies, tandis que de l’autre côté la population musulmane est plus jeune, et surtout, elle est confinée dans des salles de prière qui ne suffisent plus à contenir toute la communauté. Cette concurrence visible inquiète de plus en plus une partie des catholiques. Quand le Père Hamel meurt assassiné en juillet 2016, l’islam est désormais perçu non plus comme une religion concurrente mais comme une menace par une frange importante des chrétiens. Cette menace physique potentielle se rappelle régulièrement à eux: les catholiques peinent à accepter de devoir se rendre à la messe de Noël sous la vigilance de soldats en armes. Symboliquement, le message qu’ils ressentent est très fort.
Dans ce contexte, est-ce que Laurent Wauquiez peut devenir le candidat des catholiques situés «à la droite de Dieu»?
C’est précisément l’enjeu de la période politique actuelle, et cette question dépasse de loin le seul vote des catholiques! Nous vivons aujourd’hui une recomposition sans précédent de l’espace politique, toutes les cartes ont été rebattues. À droite, une génération a été sortie du jeu. Au Front National, Marine Le Pen ne s’est pas remise de son échec personnel, qui s’est concrétisé dans sa prestation ratée lors du débat de l’entre-deux tours. Outre ces faits, un vaste bloc central s’est constitué, qui s’étend, pour grossir le trait, de Valls à Juppé. De chaque côté du bloc macroniste, deux autres blocs contestataires existent: la France insoumise à gauche et le FN à droite. La gauche et la droite de gouvernement (PS et Républicains) sont prises en étau et se voient chacun assigner un couloir étroit.
Pour sortir de ce couloir, Laurent Wauquiez doit conquérir un espace supplémentaire. Pour cela, il dispose de deux options. Soit se tourner vers le centre-droit en essayant de faire revenir au bercail ceux parmi ses troupes qui ont rallié la majorité présidentielle, ce qui, à mon avis, ne s’annonce pas facile ; soit au contraire il tente de reconquérir l’électorat de droite qui s’est laissé séduire par le FN.
Les deux électorats de droite pourraient se rapprocher et constituer à terme un espace politique commun.
Au sein de ce tableau général, la question particulière des catholiques «à la droite de Dieu» donne lieu à une véritable course de vitesse. Pour Wauquiez, une fenêtre s’est ouverte à présent que Marine Le Pen est contestée dans son propre camp par des troupes qui doutent qu’elle puisse avoir un jour l’étoffe d’un chef d’État. Wauquiez peut donc tenter de rejouer ce qu’avait fait Nicolas Sarkozy entre 2004 et 2007: gagner une partie de l’électorat frontiste en profitant de la défaite de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, et de la perte de crédibilité consécutive du chef du FN. Mais toute la donne est modifiée si Wauquiez se retrouve face à Marion-Maréchal Le Pen, plutôt que sa tante! Wauquiez ou Marion-Maréchal Le Pen, chacun des deux pourrait lancer des ponts entre ces deux électorats car avec le départ des centristes des Républicains et de la tendance Philippot au FN, ces deux électorats en partie reconfigurés pourraient se rapprocher et constituer à terme un espace politique commun. Toute la question est de savoir qui sera le pôle dominant et autour de qui cet espace pourra se structurer à terme.
Source :
http://www.lefigaro.fr/vox/religion/2018/01/12/31004-20180112ARTFIG00220-jerome-fourquet-les-cathos-ont-pris-conscience-qu-ils-sont-minoritaires.php
Il serait temps qu’ils se réveillent après avoir soutenu sans réserve, voire aidé cette invasion complice, leur chef à Rome étant le parfait exemple de l’appel d’air !!!!
Les Catholiques, ok, mais qu’en est-il des autres : Athées, Protestants, Bouddhistes…?
Une enquête auprès de ces communautés qui forment le groupe le plus important serait intéressante aussi !