Jeannette Bougrab : «Malgré l’attentat islamiste de Marseille, le déni continue»
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le modus operandi du terroriste présumé qui a tué deux jeunes femmes à Marseille est particulièrement inquiétant, juge l’essayiste*.
LE FIGARO. – Un attentat a eu lieu, dimanche, à la gare Saint-Charles à Marseille. Deux femmes ont été tuées…
Jeannette BOUGRAB. – L’horreur à l’état brut! Viser les femmes par égorgement et éventration, comme dans les montagnes de Blida, en Algérie, dans les années 1990, n’est pas anodin. Cela a une signification politique. Selon Ali Harb, un philosophe libanais, la violence dans l’islam est démultipliée parce que sa doxa religieuse se structure autour de deux notions: la pureté et la souillure. Dans l’islam, les femmes sont considérées comme impures. S’attaquer aux femmes, c’est répondre à une lecture littérale du Coran. Lorsque la communauté internationale s’est indignée des viols commis par l’État islamique, leurs dirigeants ont objecté qu’ils répondaient à une prescription: «Chacun doit se rappeler que réduire en esclavage les familles kuffars et prendre leurs femmes comme concubines est un aspect fermement établi par la charia. Et qu’en le niant ou le moquant, on nierait ou on moquerait les versets du Coran.» Même une femme musulmane n’existe pas seule. Mariée, on la soupçonne d’exciter les instincts masculins. Aussi doit-elle se cacher sous des voiles plus ou moins intégraux. Quant à l’égalité à laquelle le droit français nous a habitués, elle n’existe pas dans les pays musulmans. La femme est par nature inférieure. Le plus inouï, c’est qu’il y a des féministes françaises pour le justifier. Comment leur prose peut-elle être publiée dans des journaux qui hissent la cause des femmes comme étendard?
On mesure le degré de civilisation d’un pays à son respect des femmes. Or, on assiste en France à une escalade: des femmes sont chassées des rues et des cafés et désormais égorgées et éventrées. Ce qui me glace le sang au lendemain de cette boucherie de Marseille, c’est le tournant symbolique très important que cela amorce. On pensait que cette barbarie s’arrêterait aux frontières de l’Algérie, de l’Irak ou de la Syrie. Aujourd’hui, elle touche la France. Demain d’autres femmes se feront assassiner dans des conditions atroces. Il faudrait descendre dans la rue pour crier que meurtrir les femmes, c’est meurtrier le corps même de la France.
Depuis 2015, on ne compte plus ce type d’attentats. Assiste-t-on à une banalisation? Une résignation?
Il suffisait de regarder dimanche les chaînes d’information: cette barbarie inouïe était reléguée au second plan par rapport à la Catalogne. Plus que de la résignation ou de la banalisation, il faut parler de déni. On n’ose pas nommer le mal de peur d’être accusé de racisme ou d’«islamophobie». L’égorgement et l’éventration de ces femmes me rappelle le début des violences du FIS en Algérie à la fin des années 1980 et le discours de François Mitterrand qui expliquait ces violences par l’absence de processus démocratique dans ce pays. À l’époque, les élites françaises n’ont pas voulu voir la réalité dans sa monstruosité. Cela s’est soldé par 300.000 morts en 10 ans. De même, après les émeutes de banlieue en 2005, on expliquait qu’à Marseille, il y avait un modèle d’intégration qui fonctionnait, un vouloir vivre ensemble à travers l’identité marseillaise. Et on se rend compte aujourd’hui qu’aucune partie du territoire national n’est protégée de la barbarie islamiste.
Dans votre nouveau livre, vous faites un parallèle avec la guerre d’Algérie. Pourquoi?
La guerre d’Algérie a représenté un tournant car la terreur a été semée délibérément dans la population civile. Les combattants du FLN s’attaquaient aussi bien aux soldats qu’aux enfants et même aux femmes enceintes. Le terrorisme contemporain puise pour partie ses origines dans la guerre d’Algérie, plus précisément dans la dimension religieuse de la lutte pour l’indépendance – dimension longtemps occultée au profit de la seule dimension nationaliste à laquelle elle ne se réduisait pourtant pas. En 2016, dans un livre courageux, Jean Birnbaum, homme de gauche, a critiqué sa propre famille politique pour ce qu’il appelle son «silence religieux». À ses yeux, la gauche refuse d’admettre le fondement religieux des attentats frappant la France de peur de susciter un amalgame entre islam et terrorisme qui pourrait faire le jeu du Front national. Selon lui, ce réflexe quasi pavlovien trouve son explication dans les non-dits de la guerre d’Algérie dont, en particulier, l’occultation de la nature réelle du FLN, à savoir l’enracinement de ce mouvement dans la foi islamique. «La révolution algérienne est fondée et bâtie sur le respect des principes de l’islam», proclamait à l’époque le FLN. Ce mouvement imposait à ses combattants un rigorisme religieux: interdiction du tabac, de l’alcool, des jeux d’argent et nez coupé à ceux qui étaient surpris en train de fumer pendant le ramadan! De crainte de disqualifier ce mouvement politico-militaire indépendantiste, la gauche a préféré taire la dimension religieuse du nationalisme algérien. Pourtant une violence qui s’exerce au nom de Dieu n’est pas n’importe quelle violence. Elle est loin d’être anodine. Nous sommes les héritiers de ce non-dit.
Que faire alors pour éviter que l’histoire ne se répète?
Il y a des choses très concrètes à faire au-delà des incantations. Comment se fait-il qu’un jeune délinquant, qui a tenté à plusieurs reprises d’aller en Syrie, soit remis en liberté avec un bracelet électronique et qu’il puisse, sans être inquiété, aller égorger le père Hamel dans une église? Que faisait sur le territoire le Tunisien qui a assassiné ces deux jeunes femmes à Marseille? Non seulement il était en situation irrégulière, mais également connu des services de police! Ce genre de cas ne devrait pas exister. Il faut, au nom du principe de précaution, pouvoir priver de liberté toute personne liée de près ou de loin à une organisation terroriste. Nous devons réduire le pouvoir d’appréciation des juges qui sont susceptibles de remettre en liberté des individus radicalisés. Cela demande un changement de mentalité de la part des magistrats. Par ailleurs, comme le juge Trévidic lui-même le dit très bien, les textes juridiques ne sont plus adaptés à la situation. Et ce qui est dramatique en France, c’est qu’il y a toujours une explication pour justifier et dédouaner les auteurs d’attentats ou les islamistes qui nourrissent le terrorisme. Lorsque Danièle Obono, députée de Paris (Les Insoumis), explique qu’un chauffeur RATP qui refuse de conduire un bus après une femme n’est pas nécessairement radicalisé, mais peut être simplement «sexiste», elle se fait l’idiote utile, pour ne pas dire la complice, des islamistes. De même que les dix-neuf intellectuels supposés qui, dans Le Monde, ont mené la charge contre Kamel Daoud, coupable d’avoir dénoncé la misère sexuelle du monde musulman – intellectuels qui excusaient les auteurs des agressions sexuelles de Cologne. Depuis Sartre, cette «complicité» est propre à l’intellectuel de gauche de Saint-Germain-des-Prés ou d’ailleurs. Jadis, Alain Badiou a salué l’arrivée des Khmers rouges à Phnom Penh, qui ont causé la mort de deux millions de personnes. Aujourd’hui, les intellectuels français devraient s’instruire auprès des intellectuels de culture musulmane qui ont subi l’horreur de la guerre civile en Algérie: Kamel Daoud, mais aussi Boualem Sansal, qui malgré les menaces sur sa vie ne se laisse impressionner ni par les imams qui appellent au meurtre, ni par les meneurs d’une certaine gauche française qui a corrompu le mouvement antiraciste pour en faire un outil d’oppression.
* Vient de publier «Lettre d’exil: la barbarie et nous» (Editions du Cerf, 2017, 224 p., 18 €).
Il y a 10 ans le vivre ensemble était faux
L antisémitisme musulman existait déjà