«Jean-Michel Aphatie, saviez-vous que la présence française en Algérie avait fait sortir les juifs de la dhimmitude ?»

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Par Alexandre Devecchio
«Cette comparaison hasardeuse ne permet pas de rendre compte, ni de la singularité de l’entreprise nazie ni de la singularité de la colonisation française, de ses crimes, de ses errements.»

Jean-Michel Aphatie a déclaré le 25 février sur le plateau de RTL que «les nazis se sont comportés comme [les Français] en Algérie». La colonisation française y a en réalité entraîné la fin d’oppressions séculaires, détaille l’essayiste Ferghane Azihari.
LE FIGARO – Sur le plateau de RTL, Jean-Michel Aphatie a expliqué que les nazis se sont comportés comme les Français en Algérie. Une comparaison que vous jugez hasardeuse et qui, selon vous, dilue la spécificité du nazisme comme de la colonisation. Pourquoi ?

Ferghane AZIHARI – Il serait absurde de minorer la violence de la conquête de l’Algérie, son lot de massacres et de spoliations. La conquête de l’Algérie avait d’ailleurs ses détracteurs en métropole dès son déroulement, à l’instar de l’homme politique libéral Henri Fonfrède qui dénonçait un «véritable parricide […], crime de lèse-nation et de lèse-humanité». Par où l’on voit que les controverses actuelles ne sont guère nouvelles ! Ce qui invite donc à relativiser la thèse du tabou : la France a produit une brillante et vaste littérature sur ses péchés depuis deux siècles.
Mais à nazifier toutes les atrocités, on dilue ce qui fait la singularité de ces épisodes tragiques. Cette comparaison hasardeuse ne permet pas de rendre compte, ni de la singularité de l’entreprise nazie ni de la singularité de la colonisation française, de ses crimes, de ses errements, des idéologies en jeu, et surtout, de l’impact qu’elle a eu sur les différents segments de la population algérienne sur le long terme. Il est tout à fait possible de disserter sur les mésaventures coloniales qui ont terni l’honneur de la France sans tomber dans l’anachronisme.
Vous rappelez notamment qu’aux yeux des juifs, la France a été une «puissance libératrice» . Quel était le statut des juifs avant l’arrivée des Français ?
La régence d’Alger était une société puissamment stratifiée à la tête de laquelle se trouvait une caste militaire turque, dominant des tribus arabo-berbères, avec, en bas de l’échelle sociale, les juifs et les esclaves noirs. Avant l’arrivée de la France, les Israélites étaient soumis au statut de la dhimma , qui institutionnalisait une multitude de discriminations économiques et sociales. Leur fiscalité était plus lourde, il leur était interdit de posséder une terre, de porter des armes, de monter à cheval, entre autres humiliations quotidiennes qui devaient, en permanence, marquer leur infériorité vis-à-vis des musulmans.

Dans le contexte algérien, on recense de multiples exactions contre les juifs avant l’arrivée des Français. Ils essuient plusieurs massacres en 1805 au terme d’une révolution manquée. Le grand rabbin d’Alger, Isaac Aboulker est décapité lors d’une émeute en 1815. On recense aussi en 1817 à Constantine l’enlèvement de filles juives destinées à être données au Dey d’Alger. L’arrivée des Français met fin à ces oppressions séculaires et explique que les juifs accueillent la France en libératrice, ce que la littérature arabo-nationaliste et islamiste ne leur pardonnera jamais sans juger utile de soumettre la société algérienne à un véritable examen critique.
Il n’y a jamais eu, en Algérie, l’équivalent local d’un Condorcet, de la Société française des amis des noirs, pas plus que le monde musulman n’a connu sa controverse de Valladolid.
Pour la première fois depuis les conquêtes arabes, juifs et musulmans sont momentanément sur un pied d’égalité, avant que les premiers n’accèdent à la citoyenneté française en raison de leur plus grande réceptivité aux idées républicaines, modernes et occidentales. Réceptivité qui s’illustre notamment par leur surreprésentation dans ces écoles françaises et occidentales que les musulmans vont bouder en vertu de leur attachement à leur superstition. En 130 ans de présence française en Algérie, la population juive va être multipliée par 7 ou 8. Je ne suis pas certain que le troisième Reich puisse se targuer d’un tel bilan.
La France a également aboli l’esclavage en Algérie. Celui-ci était-il au cœur de la société algérienne ?
L’esclavage était un système enraciné dans le monde arabo-musulman et au Maghreb, où les esclaves blancs, chrétiens et noirs ont transité par millions pendant plusieurs siècles. Aucune civilisation n’a le monopole de l’esclavage. Mais tandis que son abolition fut, en Occident, le fruit d’un processus interne, son reflux dans le monde arabo-musulman et en Algérie est exclusivement le produit des pressions impériales européennes : les sociétés musulmanes ont toujours refusé de penser l’abolition de ce système criminel avant l’intrusion de l’Europe.

Il n’y a jamais eu, en Algérie, l’équivalent local d’un Condorcet, de la Société française des amis des noirs, ou de l’Anti-slavery society britannique, pas plus que le monde musulman n’a connu sa controverse de Valladolid. Les idées abolitionnistes qui germaient en Europe ont trouvé très peu d’écho en Algérie et dans le monde musulman.

L’esclavage des chrétiens avait subi plusieurs coups décisifs, notamment avec le bombardement d’Alger néerlando-britannique de 1816. Mais subsiste celui des noirs. Dès l’arrivée des Français en Algérie, on recense des esclaves noirs qui fuient leurs maîtres arabes et qui implorent la protection de la France. Des militaires français prennent parfois l’initiative de libérer des esclaves, au risque de mécontenter les notables qui reprochent à la France de violer son engagement à respecter les propriétés et la religion des indigènes, ce qui inclut le droit, pour la société algérienne, de posséder des milliers d’esclaves noirs.
L’Algérie en veut moins à la colonisation en tant que telle qu’au fait d’avoir été du mauvais côté de la canonnière.
Si la France a tardé à abolir cette infâme institution en Algérie, c’est en raison de la crainte qu’une abolition trop précipitée suscite la révolte des indigènes. Après le décret de 1848, on recense toutes sortes de manœuvres des indigènes pour perpétuer leurs trafics à l’abri de l’administration, en transférant leurs esclaves dans les zones tribales où la France est peu présente. Preuve de la difficulté pour l’administration coloniale à éradiquer cette institution, on recensait encore des propriétaires d’esclaves musulmans dans la région d’Alger au début du XXe siècle et dans certaines régions reculées du Sahara algérien après l’indépendance.
Jean-Michel Aphatie explique les tensions entre la France et l’Algérie par notre passé colonial. Vous réfutez cette thèse. Pourquoi ? Et pourquoi cette détestation de la France par le régime algérien ?
Monsieur Aphatie se fait ici le disciple de l’école de Benjamin Stora, qui veut nous faire avaler le mensonge que les tensions entre la France et l’Algérie découlent des crimes coloniaux. Bien des nations qui se sont entre-tuées ont pourtant réussi à se réconcilier. Les Européens ont passé des siècles à se massacrer. Ils se sont infligé au vingtième siècle toutes sortes d’horreurs qui n’ont rien à envier aux conflits coloniaux. Et pourtant, ils ne passent pas leur temps à s’envoyer à la figure les crimes de leurs ancêtres respectifs qui, par définition, ne peuvent être imputés aux nouvelles générations, comme l’admettait Frantz Fanon. Mieux encore, c’est sur le souvenir de ces atrocités que les Européens ont jeté les bases de leur intégration économique. Mais, à l’évidence, certaines sociétés ressentent le besoin de se forger un ennemi héréditaire et éternel.
Dans le cas de l’Algérie, l’efficacité de la rente mémorielle s’explique par le fait que cette nation ne déteste pas la France pour ce qu’elle a fait mais pour ce qu’elle est : une nation de mécréants qui a l’arrogance de bénéficier d’une prospérité que l’Algérie est incapable de bâtir à ce jour. Cet affront contrevient aux « enseignements » du Coran qui persuadent les musulmans de former « la meilleure communauté » (sourate 3 verset 110). La croyance de Mahomet contribue, par son arrogance et l’avilissement dans lequel elle plonge ses adeptes, à entretenir une sorte de blessure narcissique éternelle. C’est pourquoi toutes les protestations d’amitié envers les Algériens seront vaines tant qu’ils ne remettront pas en cause leur mentalité en admettant qu’ils ont beaucoup plus de travail à faire que les Français pour soigner leur rapport à l’altérité.
Si les Algériens détestaient la France pour ses crimes, ils seraient en effet tout aussi intransigeants envers leur propre passé esclavagiste, les décès liés au fondamentalisme musulman, en particulier pendant la décennie noire, l’état lamentable des libertés publiques dans le monde arabe, sans parler de cette corruption qui maintient l’Algérie dans l’arriération. Je remarque qu’il n’en est rien et que les dirigeants algériens s’accommodent de toutes ces tares.
En fait, l’Algérie en veut moins à la colonisation en tant que telle qu’au fait d’avoir été du mauvais côté de la canonnière. Montesquieu disait que c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Son raisonnement vaut sans doute pour les nations, hélas toujours tentées d’exploiter une éventuelle supériorité technologique pour commettre toutes sortes d’abus. De là à nous faire croire que le monde serait plus civilisé si la régence d’Alger avait initié la révolution industrielle, il y a un pas que seuls les écervelés franchissent.
Source
Le Figaro

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