« Ici, c’est le mufti ! » : comment l’élu LFI David Guiraud veut s’emparer de Roubaix

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REPORTAGE. Le député du Nord s’appuie sur le communautarisme pour conquérir cette ville désindustrialisée en 2026, fidèle à la stratégie d’implantation locale des mélenchonistes.
David Guiraud a la main sur Roubaix. Au sens propre. Dans ses locaux flambant neufs, où il nous reçoit longuement, une impressionnante maquette de la ville en 3 D trône sur une grande table. Tel un général en campagne, il la survole, d’un air sérieux mais confiant, pointant du doigt les quartiers qui pourraient lui permettre d’arracher cette mairie à la droite en 2026. Le Pile, les Trois Ponts, l’Alma…
Méticuleux, l’Insoumis, dont la raie est toujours impeccable, ne néglige aucun détail. Grâce à Nawri Khamallah, l’architecte qui a confectionné cette maquette pour lui, le député de 32 ans se familiarise avec la ville la plus pauvre de France – 46 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et plus de 30 % sont au chômage. Car Guiraud n’est pas d’ici. Il a grandi aux Lilas, en Seine-Saint-Denis. Ville dont le père, Daniel Guiraud – l’antithèse socialiste du fils –, a été maire pendant dix-neuf ans.
« Il a découvert Roubaix le jour où il y a mis les pieds », persifle l’un de ses détracteurs. L’ex-collaborateur parlementaire d’Éric Coquerel assume d’avoir été parachuté. « Mais l’atterrissage est réussi ! » claironne-t-il. L’intense campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2022, qui prétendait se faire « élire Premier ministre », a aidé.
Le visage du « Lider Maximo » est d’ailleurs placardé sur chaque mur, entre les plantes vertes et une discrète plaque « rue de la Nakba » – la « catastrophe » associée par une partie des Palestiniens à la création de l’État d’Israël, en 1948. On ne peut pas non plus rater l’imposant tableau peint à l’effigie du « deputey »(sic) Guiraud, inspiré du graphisme de la marque Obey du street artiste Shepard Fairey.
La diffusion, en janvier 2022, d’un reportage de Zone interdite sur « l’islam radical à Roubaix » a fait le reste. David Guiraud a sauté sur l’occasion, s’indignant de « l’islamophobie » dont auraient fait preuve nos confrères en pointant cette réalité. Il obtient ainsi le soutien d’une partie des Roubaisiens.
« Depuis, Guiraud, ici, c’est le mufti ! » raille une figure de l’opposition locale. « Il se sent investi d’une mission sacrée : défendre la oumma [la communauté musulmane, NDLR]. C’est un dingue qui est prêt à tout pour se faire élire. C’est un opportuniste comme j’en ai rarement vu », abonde un baron local. Président de la région, Xavier Bertrand suit lui aussi très attentivement ce qui se passe à Roubaix.
PROPOS CHOQUANTS
En août 2022, David Guiraud prend la défense de l’imam Hassan Iquioussen, qui fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Après le 7 Octobre, il n’hésite pas à faire référence sur son compte X aux « dragons célestes » – formule utilisée par des internautes antisémites pour désigner, sans les nommer, les Juifs – et déclare, lors d’une conférence à Tunis : « Le bébé dans le four, ça a été fait par Israël. »
Ses propos choquent mais ses vidéos sur Gaza cumulent des millions de vues sur les réseaux sociaux, lui conférant une notoriété nationale. « Même mon coiffeur, qui travaille dans une cité, me parle de lui ! » raconte, ébahi, un élu… de Marseille.
Il cultive ses réseaux et parle de lui, partout où il le peut. Dans une ville qui bat des records d’abstention – entre 50 et 70 %, à chaque élection –, cela pourrait suffire, pense-t-il. Mélenchon y a obtenu 52,5 % des voix au premier tour de la présidentielle, soit 30 points de plus que sa moyenne nationale, et c’est à Roubaix que le NFP réalise son meilleur score régional, avec plus de 74 % des suffrages.
« Il y a très peu d’inscrits sur les listes et personne ne vote ! Il suffit de convaincre des abstentionnistes, y compris des types sulfureux qui ont une interprétation rigoriste de l’islam, et c’est plié. S’il y a bien une grande ville où LFI peut l’emporter, c’est Roubaix », redoute un ponte socialiste.
De fait, la cité nordiste constitue un laboratoire idéal pour LFI, qui entend s’adresser en priorité aux quartiers populaires et à la jeunesse : sur l’ensemble du territoire, 80 % ont été placés en quartiers prioritaires de la ville et 50 % des habitants ont moins de 30 ans.
C’est aussi une ville qui compte une importante communauté musulmane. Or, pour rappel, 69 % des musulmans ont voté pour Mélenchon en 2022. Dans L’Archipel français (Seuil), Jérôme Fourquet analysait les 46 bureaux de vote de la ville et relevait que, en 2017, « plus de la moitié de ces bureaux affich[aient] plus de 35 % d’inscrits portant un prénom les reliant aux mondes arabo-musulmans ».
Rue de Lannoy, par exemple, l’église Sainte-Élisabeth est entourée de magasins de vêtements islamiques et de boucheries halal. Les librairies vendent des livres publiés par des maisons d’édition d’inspiration salafiste ou frériste. Dans l’une de celles-ci, un livre pour enfants sur les « héros de l’islam » présente une jeune fille voilée, sans visage – le libraire, qui nous filme avec son téléphone pour tenter de nous intimider, assume donc de promouvoir une interprétation rigoriste de l’islam selon laquelle « seul Allah peut représenter le visage humain ». Et, en marchant à peine 100 mètres, on tombe sur une rue commerçante où sont rassemblées des marques tendance, comme dans les beaux quartiers.
Roubaix, ville de contrastes… Des quartiers les plus pauvres, comme l’Alma, on aperçoit encore les cheminées, vestiges du temps où la ville était un fleuron mondial de l’industrie du textile. Des courées aux traditionnelles briques rouges jouxtent des maisons Art déco.
« On a le Bronx et la Ve Avenue », ironise un élu roubaisien, faisant référence au parc Barbieux, où les villas sont hautement sécurisées, au sud de la commune. À partir des années 1970, la désindustrialisation a ruiné ce territoire, modifiant profondément sa sociologie. « Roubaix est passé, en moins de trois décennies, du statut de zone économique sinistrée à celui de territoire de prédication islamiste solidement ancré », peut-on lire dans Les Territoires conquis de l’islamisme (sous la direction de Bernard Rougier, PUF).
Sûr de son fait, en octobre 2024, soit dix-sept mois avant le scrutin, David Guiraud se déclare officiellement candidat, brusquant ses partenaires de gauche, qui dénoncent un « coup de force » et estiment avoir été placés « devant le fait accompli ». Ils s’étaient rangés derrière lui sous la bannière de la Nupes en 2022, alors qu’il déclarait que la mairie ne l’intéressait pas.
« J’assume d’être candidat, répond-il auprès du Point. Je refuse qu’on passe un an à se regarder en chiens de faïence. » Alors que les négociations sont au point mort, il veut croire au rassemblement derrière lui. « J’ai un leadership mais je ne suis pas dans l’hégémonie. Je n’insulte pas l’avenir. »
Le député a même proposé un « pacte de non-agression » aux socialistes, lesquels auront certainement un candidat, sinon plusieurs. En 2014 et en 2020, pas moins de sept listes de gauche se sont présentées, pour le plus grand bonheur du maire, Guillaume Delbar (ex-UMP), qui a décroché il y a dix ans ce bastion historique de la gauche, à la surprise générale.
Le maire, qui profite des éternelles divisions de la gauche, se retrouve néanmoins affaibli : il a été condamné à six mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité pour escroquerie en bande organisée – il s’est pourvu en cassation – et est atteint d’une maladie neurodégénérative.
Beaucoup d’élus doutent, par conséquent, de sa capacité à se représenter. « Je reste convaincu que ce sera mon principal adversaire, maintient David Guiraud. Il fait campagne comme moi, ses soutiens collent des affiches et préparent le terrain à une nouvelle candidature. »
Pourtant, ses « amis » de gauche ne lui veulent pas que du bien et l’exemple de Villeneuve-Saint-Georges, où Louis Boyard vient d’être battu au second tour, montre les limites de la stratégie d’implantation locale des mélenchonistes. Une gauche désunie ne peut pas gagner. Ali Rahni, écologiste longtemps ostracisé car accusé d’être ambigu sur l’islamisme – il a défendu Tariq Ramadan et reçu à plusieurs reprises l’imam Iquioussen à l’émission Prophétie, qu’il animait sur Pastel FM, une radio locale –, a de la mémoire.

« Je tiens à rappeler qu’on perd en 2020 parce qu’à l’époque les Insoumis disent qu’ils ne voteront pas pour la “République des khoyas” [des frères] », s’insurge celui qui déclarait il y a quelques semaines être « candidat à la candidature ». Et ce militant associatif de pointer le parcours classique de David Guiraud : Sciences Po, collaborateur parlementaire puis député : « Son atterrissage est réussi mais quel est son ancrage ? Qu’est-ce qu’il a fait dans la vie ? »

Le quartier de l’Alma, à Roubaix, le 22 janvier 2025
© Sébastien Leban pour « Le Point »Le quartier de l’Alma, à Roubaix, le 22 janvier 2025© Sébastien Leban pour « Le Point »
D’autres candidats ou prétendants se feront un plaisir de jouer sur ce registre. « Qu’est-ce qu’il connaît de notre vie, Guiraud ? De quel droit parle-t-il en notre nom ? Il n’y a pas d’homme providentiel et on n’a pas besoin d’être sauvés. Merci, au revoir », cingle un élu d’opposition.
« Les musulmans n’ont pas besoin qu’on les plaigne ou qu’on les défende », appuie Mehdi Chalah, figure du PS local, qui vient de rappeler, lors de ses vœux, qu’il avait « très envie d’être candidat ». « Tout est possible à Roubaix. La ville, historiquement, s’est toujours gagnée au centre. Je suis dans le trou de souris », confie-t-il. « Il y a un an, on se disait que Roubaix pouvait tomber à LFI. Là, ça me paraît plus difficile, juge un cadre de la droite locale. L’effet de mode est clairement retombé. »
L’adversaire le plus sérieux de David Guiraud s’appelle sans doute Karim Amrouni. Inutile d’attaquer ce conseiller municipal (PS) de Roubaix, chef de file de l’opposition, sur le terrain de l’islamophobie : il est de confession musulmane. Il représente aussi une gauche populaire : la famille Amrouni, ce sont des parents illettrés, treize enfants boursiers devenus médecins, ingénieurs, avocats d’affaires ou juristes.
Karim Amrouni (à dr., PS) et Ali Rahni (à g., écologiste), deux Roubaisiens de gauche qui ne veulent pas laisser le parachuté LFI David Guiraud réussir son OPA sur la mairie en 2026.
© Sébastien Leban pour « Le Point »Karim Amrouni (à dr., PS) et Ali Rahni (à g., écologiste), deux Roubaisiens de gauche qui ne veulent pas laisser le parachuté LFI David Guiraud réussir son OPA sur la mairie en 2026.© Sébastien Leban pour « Le Point »
Karim Amrouni est orthodontiste à l’Alma, le quartier le plus pauvre de la ville la plus pauvre de France. « J’interdis à David Guiraud de me victimiser ! Quand je suis arrivé à Roubaix, il avait 8 ans, pique-t-il. Je m’en suis sorti car j’ai cru à l’idéal républicain. En faisant croire à un gamin qu’il est foutu parce qu’il est né à Roubaix, je ne vois pas comment on fait société. Non, le monde ne se résume pas à une opposition entre oppresseurs et opprimés. Je veux porter un message d’espoir et je dis à ces gamins que je reçois tous les jours dans mon cabinet qu’ils sont maîtres de leur destin. On a les pieds dans la glaise mais la tête dans les étoiles. »

Lui croit qu’il faut inlassablement « montrer qu’on peut s’appeler Karim et réussir ». Il refuse l’essentialisation, la victimisation, l’assignation à résidence. Deux discours qui s’entrechoquent… Deux gauches irréconciliables, à l’image du fossé qui sépare désormais Daniel et David Guiraud ?
L’enjeu est, sans doute, plus important encore pour David Guiraud que pour Karim Amrouni. « Il sait que LFI est une machine au service de Mélenchon et veut avoir son existence politique propre. C’est l’élection de sa vie », estime un ex-député LFI. Ramener la victoire tel un trophée au premier des Insoumis. « Survivront à LFI ceux qui ont travaillé le terrain, les autres disparaîtront avec le reflux », glissait fin 2023 Daniel Guiraud à Libération. Message transmis au fils ?

happywheels

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  1. David92 dit :

    Ce type me fait gerber….le collabo parfait et fier de lui .
    La roue tourne….

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