Fritz Bauer, le chasseur de nazis
Avec deux films en moins d’un an, l’Allemagne redécouvre au cinéma son plus acharné chasseur de nazis, l’ancien procureur Fritz Bauer, célébré en héros après des décennies d’hostilité puis d’oubli.
Juif athée, social-démocrate déporté dès 1933 puis exilé jusqu’en 1949, Bauer fut « le juriste le plus détesté » de l’Allemagne d’après-guerre, perçu comme le « dénigreur » d’un pays en pleine reconstruction, raconte à l’AFP l’un de ses biographes, Ronen Steinke.
Sa consécration sur grand écran, avec le récit de deux de ses combats phare venant après plusieurs documentaires, « le ramène enfin où il doit être: dans la conscience collective », se réjouissait récemment le quotidien Süddeutsche Zeitung. Candidat allemand aux Oscars en février 2016, « Le Labyrinthe du silence », de Giulio Ricciarelli, voit un jeune procureur fictif incarner la réussite la plus connue de Bauer: avoir fait juger ensemble 22 anciens SS d’Auschwitz, livrant du même coup une leçon publique sur le fonctionnement du camp.
Avant ce procès, qui s’est déroulé de 1963 à 1965 à Francfort (ouest), « une part non négligeable d’Allemands voyait dans les photos des camps libérés de la propagande alliée », raconte dans Die Zeit le magistrat Erardo Cristoforo Rautenberg.
Rompre le silence
« Voulez-vous que chaque jeune dans ce pays se demande si son père était un meurtrier? », lance au parquetier l’un de ses collègues. « Oui, c’est exactement ce que je veux », réplique le héros.
Bauer « a voulu rompre le silence autour des crimes nazis » quand la société ouest-allemande, en plein miracle économique et largement ignorante des horreurs de la Shoah, « préférait tourner la page », rappelle Ronen Steinke.
Cible d’innombrables courriers haineux, coups de fil antisémites et d’une menace d’attentat à la bombe, le procureur général de la Hesse a aussi fait l’objet d’un « complot néo-nazi pour l’assassiner », poursuit son biographe.
Sorti à l’automne, prix du public au festival de Locarno, « Fritz Bauer, un héros allemand » de Lars Kraume, attendu en France en avril, raconte de son côté la traque de l’ex-dignitaire nazi Adolf Eichmann.
Le film rend à Bauer, alors quinquagénaire, sa silhouette trapue surmontée d’une crinière blanche, sa diction bourrue et son regard perçant, évoquant par ailleurs son homosexualité supposée que le magistrat n’a jamais vécue ouvertement.
Critiquée par certains commentateurs, qui ont déploré une incursion superflue en terrain privé, cette précision ajoute à la vulnérabilité du procureur, déjà cerné par les anciens nazis, à une époque où les relations entre hommes étaient passibles de prison.
« Dès que je sors de mon bureau, je pénètre en territoire ennemi », constatait Bauer, en butte au zèle inégal des magistrats de son ressort et à la présence massive d’ex-juristes du IIIe Reich, explique l’historien Werner Renz, auteur de « Fritz Bauer et l’échec de la justice ».
Triomphe posthume
En 1957, dans un geste délibéré de « haute trahison » qui aurait pu lui valoir la prison, le magistrat transmet aux services secrets israéliens les renseignements permettant de capturer Eichmann en Argentine, dans le dos des autorités allemandes.
Enlevé en 1960, l’ancien logisticien de la Shoah est jugé en 1961 en Israël puis pendu un an plus tard. Pour Bauer, l’issue est en demi-teinte: Eichmann n’a pas comparu en Allemagne, Berlin ayant refusé de demander son extradition.
Devant les tribunaux comme en dehors, l’influence de cet humaniste engagé sur tous les fronts, de la réhabilitation de la résistance allemande à la réforme des prisons, n’a cessé de croître après son décès.
Sa thèse présentant les camps d’extermination comme des « entreprises collectives de mort », dont chaque rouage peut être puni, n’a pas triomphé lors des procès de Francfort mais presque 50 ans plus tard, lors du verdict contre John Demjanjuk en 2011 puis lors du procès d’Oskar Gröning à l’été 2015.
Pédagogue passionné, qui plaçait en la jeunesse « toute sa confiance et tous ses espoirs », insiste l’historien Werner Renz, Fritz Bauer a été retrouvé mort dans sa baignoire en juillet 1968, dans des circonstances encore controversées.
« Une jeune génération s’apprêtait alors à exiger la démocratisation de la société et la rupture avec la tradition autoritaire de l’Allemagne », une évolution à laquelle le procureur défunt « avait contribué comme personne », souligne M. Rautenberg.
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Juif athée, social-démocrate déporté dès 1933 puis exilé jusqu’en 1949, Bauer fut « le juriste le plus détesté » de l’Allemagne d’après-guerre, perçu comme le « dénigreur » d’un pays en pleine reconstruction, raconte à l’AFP l’un de ses biographes, Ronen Steinke.
Sa consécration sur grand écran, avec le récit de deux de ses combats phare venant après plusieurs documentaires, « le ramène enfin où il doit être: dans la conscience collective », se réjouissait récemment le quotidien Süddeutsche Zeitung. Candidat allemand aux Oscars en février 2016, « Le Labyrinthe du silence », de Giulio Ricciarelli, voit un jeune procureur fictif incarner la réussite la plus connue de Bauer: avoir fait juger ensemble 22 anciens SS d’Auschwitz, livrant du même coup une leçon publique sur le fonctionnement du camp.
Avant ce procès, qui s’est déroulé de 1963 à 1965 à Francfort (ouest), « une part non négligeable d’Allemands voyait dans les photos des camps libérés de la propagande alliée », raconte dans Die Zeit le magistrat Erardo Cristoforo Rautenberg.
Rompre le silence
« Voulez-vous que chaque jeune dans ce pays se demande si son père était un meurtrier? », lance au parquetier l’un de ses collègues. « Oui, c’est exactement ce que je veux », réplique le héros.
Bauer « a voulu rompre le silence autour des crimes nazis » quand la société ouest-allemande, en plein miracle économique et largement ignorante des horreurs de la Shoah, « préférait tourner la page », rappelle Ronen Steinke.
Cible d’innombrables courriers haineux, coups de fil antisémites et d’une menace d’attentat à la bombe, le procureur général de la Hesse a aussi fait l’objet d’un « complot néo-nazi pour l’assassiner », poursuit son biographe.
Sorti à l’automne, prix du public au festival de Locarno, « Fritz Bauer, un héros allemand » de Lars Kraume, attendu en France en avril, raconte de son côté la traque de l’ex-dignitaire nazi Adolf Eichmann.
Le film rend à Bauer, alors quinquagénaire, sa silhouette trapue surmontée d’une crinière blanche, sa diction bourrue et son regard perçant, évoquant par ailleurs son homosexualité supposée que le magistrat n’a jamais vécue ouvertement.
Critiquée par certains commentateurs, qui ont déploré une incursion superflue en terrain privé, cette précision ajoute à la vulnérabilité du procureur, déjà cerné par les anciens nazis, à une époque où les relations entre hommes étaient passibles de prison.
« Dès que je sors de mon bureau, je pénètre en territoire ennemi », constatait Bauer, en butte au zèle inégal des magistrats de son ressort et à la présence massive d’ex-juristes du IIIe Reich, explique l’historien Werner Renz, auteur de « Fritz Bauer et l’échec de la justice ».
En 1957, dans un geste délibéré de « haute trahison » qui aurait pu lui valoir la prison, le magistrat transmet aux services secrets israéliens les renseignements permettant de capturer Eichmann en Argentine, dans le dos des autorités allemandes.
Enlevé en 1960, l’ancien logisticien de la Shoah est jugé en 1961 en Israël puis pendu un an plus tard. Pour Bauer, l’issue est en demi-teinte: Eichmann n’a pas comparu en Allemagne, Berlin ayant refusé de demander son extradition.
Devant les tribunaux comme en dehors, l’influence de cet humaniste engagé sur tous les fronts, de la réhabilitation de la résistance allemande à la réforme des prisons, n’a cessé de croître après son décès.
Sa thèse présentant les camps d’extermination comme des « entreprises collectives de mort », dont chaque rouage peut être puni, n’a pas triomphé lors des procès de Francfort mais presque 50 ans plus tard, lors du verdict contre John Demjanjuk en 2011 puis lors du procès d’Oskar Gröning à l’été 2015.
Pédagogue passionné, qui plaçait en la jeunesse « toute sa confiance et tous ses espoirs », insiste l’historien Werner Renz, Fritz Bauer a été retrouvé mort dans sa baignoire en juillet 1968, dans des circonstances encore controversées.
« Une jeune génération s’apprêtait alors à exiger la démocratisation de la société et la rupture avec la tradition autoritaire de l’Allemagne », une évolution à laquelle le procureur défunt « avait contribué comme personne », souligne M. Rautenberg.
Un grand homme – Rien à rajouter sauf qu’il a fait du bon boulot… Paix à son âme…