Ersilia Soudais, la députée LFI que personne n’ose défendre

Chargée de lutter contre l’antisémitisme à l’Assemblée, l’élue se distingue par sa position controversée sur la Palestine. Jusqu’à quand ?
Par Bartolomé Simon
L’évocation de son nom provoque chez ses collègues parlementaires souvent un soupir, parfois un éclat de rire. Pourtant, depuis un mois, ses prises de position n’amusent personne. Ersilia Soudais a fait du conflit israélo-palestinien une obsession. Depuis le 7 octobre, elle flirte avec les limites, voire les franchit allègrement, en soutenant par exemple Ahed Tamimi, une militante qui avait appelé à « boire le sang » des colons Israéliens ou en refusant de reconnaître le Hamas comme un groupe terroriste.

À 35 ans, la députée LFI est devenue le porte-étendard de la position Insoumise sur le conflit : loin d’être désavouée par son parti, elle diffuse, en roue libre, une rhétorique antisioniste ambiguë, ignorant les récriminations de ses pairs. Au moins s’est-elle fait un nom… Car, il y a seulement un an, c’était une parfaite inconnue.
Ersilia Soudais est la fille de Michel Soudais, rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire altermondialiste Politis. Cette professeure de français s’est fait élire sur une liste municipale d’opposition à Lagny-sur-Marne, en Seine-et-Marne, en 2020. Dès son premier conseil municipal, qui, selon l’usage, consiste simplement à installer le maire et ses adjoints, la nouvelle élue se passionne pour un sujet : la féminisation des noms de rues. « Personne ne la connaissait, se souvient Pierre Tebaldini, directeur de cabinet de la mairie (centre droit) de Lagny-sur-Marne. Elle n’écoutait pas les habitants, ne connaissait aucune problématique du coin et n’évoquait jamais le fond des sujets. Au fond, le local, elle s’en foutait. »
Las, en 2022, Ersilia Soudais est investie par LFI dans la 7e circonscription de Seine-et-Marne. « Il y avait des gens bien plus méritants qu’elle à gauche dans la circonscription », estime Pierre Tebaldini. Après une défaite retentissante aux départementales de 2021, l’élection législative de 2022 lui réussit. Profitant, au premier tour, du très faible score de l’ex-député Renaissance Rodrigue Kokouendo, au second, Ersilia Soudais est élue de justesse (51 %) face au Rassemblement national. « Elle a gagné parce qu’elle était opposée au RN, avance Pierre Tebaldini. Mais je connais des gens de gauche qui l’ont vue à l’œuvre en mairie et ont voté blanc au second tour tellement ils n’en voulaient pas. »

La trentenaire accède ainsi à l’Assemblée. Elle démissionne de la mairie de Lagny-sur-Marne et promet de plaider ses marottes : pour le logement, pour les transports et contre les méthaniseurs. Mais, dans ses prises de parole, un autre thème reviendra beaucoup plus souvent : la cause palestinienne.
C’est ainsi qu’elle devient, le 7 février, vice-présidente du groupe d’études de l’Assemblée nationale consacré à l’antisémitisme. Ce jour-là, elle s’autodésigne en levant la main, en tant qu’unique membre de LFI à la table. « Cela lui donne un blanc-seing, elle se sert de sa prétendue fonction pour diffuser la haine des Juifs au nom de la haine d’Israël, on marche sur la tête », dénonce la députée (Renaissance) Caroline Yadan.

Cette autonomination interroge au vu de ses multiples prises de position antisionistes. Jean-Luc Godard ? « Il refusait qu’un drame en masque un autre, tel que la Shoah pour la Palestine », dit-elle, en lui rendant ce drôle d’hommage. Proche de l’association France Palestine Solidarité, elle fait partie, en décembre 2022, du comité d’accueil à l’aéroport de Roissy de Salah Hamouri, un militant associé au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation classée terroriste par l’Union européenne. Elle regrette ainsi sa « déportation orchestrée par Israël », utilisant un vocable très prisé de la sphère antisémite, qui consiste à traiter les Juifs de nazis pour légitimer le pire à leur encontre.
Dans son groupe d’étude, Ersilia Soudais est aussi la seule à qualifier la situation en Israël d’« apartheid ». Une position « aux antipodes de ce que doit être un groupe de lutte contre l’antisémitisme », estime Constance Le Grip, députée (Renaissance) et présidente du groupe. À la rentrée 2023, Ersilia Soudais commence doucement à se faire un nom. Pour de mauvaises raisons. À la Fête de l’Humanité, la députée s’affiche au stand du BDS, le Boycott, Désinvestissement, Sanctions, un mouvement qui réclame le boycott d’Israël. « Il y a de la radicalité et de la confusion chez elle, juge Annie Genevard, députée (LR) qui la côtoie dans le groupe d’amitié France-Japon. À l’image de LFI, elle a fait de la provocation un mode d’expression politique. »
Et depuis l’attaque du Hamas, le 7 octobre, la provocation est montée d’un cran. « La haine attire la haine », ose-t-elle tweeter le jour même, sans jamais condamner le Hamas. Le NPA qualifie l’acte du Hamas de « résistance » ? Ersilia Soudais le soutient. Cette députée, qui prétend lutter contre l’antisémitisme, n’a toujours pas eu de mot pour les victimes israéliennes. C’est encore à l’initiative d’Ersilia Soudais que Mariam Abu Daqqa, militante du controversé FPLP, a été invitée à l’Assemblée nationale, avant d’être interdite in extremis. Dans une manifestation pro-Gaza, le 3 novembre, Ersilia Soudais est encore aperçue, écharpe tricolore sur l’épaule, en train d’écouter attentivement le militant propalestinien Ramy Shaath déclarer que le Hamas a fait acte de « résistance »…
Le 6 novembre, elle prend la défense de la chaîne Al Jazeera, qui s’est largement alignée sur la propagande du Hamas. Toujours plus excessive, la députée LFI est allée jusqu’à afficher son soutien à Ahed Tamimi, une militante palestinienne qui a déclaré, à destination des colons : « Nous allons vous massacrer, et vous vous direz que ce que Hitler vous a fait n’était qu’une blague. Nous allons boire votre sang et manger vos crânes. »

Lorsque Ersilia Soudais revient du Japon le 24 octobre, une affichette a été collée sur la porte de son bureau à l’Assemblée nationale. La photo d’un bébé otage du Hamas. Face à cette violente attaque à l’autocollant, la députée LFI s’emporte contre ce « harcèlement de cinglé », de « va-t-en-guerre »…
Selon nos informations, l’utilisation des mots-dièse #Gaza et #Hamas dans ce tweet lui vaut une plainte pour « apologie du terrorisme », déposée le 6 novembre à Paris, au nom de l’Organisation juive européenne, par Me Oudy Charles Bloch et Me Muriel Ouaknine-Melki. « La stratégie d’Ersilia Soudais est insidieuse, car ses messages codés sont très bien compris par le public à qui ils s’adressent », estime Simone Rodan-Benzaquen, directrice de l’American Jewish Committee en France.
Toutes ces prises de position ne lui valent, bien évidemment, pas que des amis en Israël. Voire aucun. Lorsqu’elle doit se rendre en Israël avec Amélia Lakrafi, autre députée (Renaissance), le 27 juin, afin de rédiger un rapport pour la commission des Affaires étrangères, elle fait face à une levée de boucliers : la simple annonce de sa présence a fait fuir tous les officiels. Le voyage est annulé. En cause, selon Amélia Lakrafi sur Twitter, « les positions excessives de Mme Soudais ».
Ersilia Soudais a moins d’ennemis au Japon. Ce qui ne l’empêche pas d’être considérée comme un boulet par ses pairs. À tel point que la présidente du groupe d’amitié France-Japon, Annie Genevard, a interrogé les services de l’Assemblée nationale pour savoir si Ersilia Soudais pouvait être évincée du voyage. « Je ne voulais pas qu’on puisse me soupçonner de complaisance avec ses prises de position », explique la députée LR au Point. De son côté, Constance Le Grip a tenté d’éjecter Ersilia Soudais du groupe d’études contre l’antisémitisme. En vain : seule la présidence du groupe Insoumis a le pouvoir de le faire.

Ersilia Soudais au stand Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) d’Israël à la fête de l’Humanité 2023.© Facebook
Sollicités, les proches d’Ersilia Soudais n’ont pas trouvé le temps de la défendre. Elle-même n’a pas répondu à nos demandes, tout comme ses pairs Insoumis, qui sont pourtant peu nombreux à la soutenir : Eric Coquerel, Thomas Portes, Danièle Obono… Les assistants parlementaires de la députée ne se distinguent guère. L’un d’eux, Mathieu Garnier, envoie des messages incessants sur X (ex-Twitter) au journaliste Lucas Jakubowicz, lui reprochant d’être le fils de son père… qu’il croit être Alain Jakubowicz (ancien président de la Licra)… Aucun lien avec le père du journaliste, décédé depuis plusieurs années. « L’attitude de son assistant parlementaire ne pose pas de problème à la députée ? » s’interroge le journaliste, qui a pourtant protesté publiquement contre ces mauvaises manières.
« On m’impute notamment, et sans fondement, des actes, discours et positions prétendument antisémites », se défendait Ersilia Soudais sur Twitter, en juin. Elle n’est pas à une contradiction près : à la suite de l’attaque d’un camp rom dans le Val-d’Oise, elle a qualifié cette dernière de « pogrom » dans une vidéo du 8 avril. Elle n’a, en revanche, jamais qualifié – ni même évoqué – le massacre de plus de 1 200 Juifs en Israël. Une fois son mandat terminé, la députée retournera enseigner le français au collège. Tant qu’elle ne donne pas de cours d’histoire…
Source

https://www.lepoint.fr