Dreyfus, toute une affaire?
Et si cet épisode emblématique n’avait pas coupé la France en deux, mais laissé en fait le pays profond indifférent? C’est la thèse iconoclaste de Bertrand Joly.
Bertrand Joly est le grand historien trop méconnu du nationalisme français. Depuis les années 1980, cet ancien élève de l’Ecole des chartes arpente les milliers de fonds d’archives qui ressuscitent le premier « âge des foules », cette fièvre populiste née dans le sillage du général Boulanger à la fin du XIXe siècle. Biographe de Paul Déroulède (Déroulède. L’Inventeur du nationalisme, Perrin, 1998), auteur d’un monumental Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français (Champion, 2005), Bertrand Joly publie aujourd’hui une passionnante Histoire politique de l’affaire Dreyfus. Chef-d’oeuvre d’érudition heureuse, cette somme bat en brèche toutes les idées reçues sur un épisode trop souvent caricaturé par les historiens. Passage en revue.
Les dreyfusards étaient de gauche, les antidreyfusards, de droite. Cette vision manichéenne ne résiste pas à l’analyse -n’en déplaise à Lionel Jospin, qui reprit cette thèse lors d’un malheureux discours à l’Assemblée en 1998. Les premiers dreyfusards sont surtout des républicains modérés.
Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat, incarne cette tradition prudemment conservatrice, soutenue par une poignée de catholiques libéraux. Un juridisme pointilleux doublé d’une commune aversion pour l’arbitraire les incite à dénoncer avant les autres l’erreur judiciaire de 1894.
Hormis la grande voix de Jaurès, les socialistes tardent à prendre parti. Champion du marxisme orthodoxe, Jules Guesde répugnera toujours à s’engager dans une affaire qui, selon lui, ne fait qu’opposer les fractions rivales du capitalisme -juifs et catholiques. Ce n’est qu’après l’orage, au début des années 1900, que socialistes et radicaux s’approprieront la geste du combat dreyfusard. Ils profiteront de l’occasion pour solder leurs comptes avec l’Eglise catholique.
Reste une minorité bruyante et en effet ancrée à l’ultradroite, celle des enragés de l’antisémitisme et autres partisans du coup de force. Cette tendance ne sera jamais représentative des forces profondes de l’antidreyfusisme, lui aussi modéré, légaliste et républicain.
L’affaire a conduit la France au bord de la guerre civile. Inventée par les deux camps après la bataille, cette image d’un pays coupé en deux contraste avec la placidité d’une population majoritairement indifférente à une querelle qui passionne surtout les Parisiens et l’intelligentsia. Pour la France rurale, l’affaire est un nonévénement. Une fine analyse des élections législatives de 1898 et de 1902 montre que le sujet est peu évoqué par les candidats, indice du faible intérêt de l’opinion publique.
http://www.encyclopedie.bseditions.fr/image/article/vignette/EU1900FRANCEPOLI003.jpg
La France de l’affaire Dreyfus était massivement anti-sémite. Si les préjugés anti-juifs ont la vie dure, la vision cauchemardesque d’une nation ivre de pogroms relève d’une pure reconstruction a posteriori. Archives à l’appui, Bertrand Joly montre que les manifestations antisémites de l’hiver 1898 ont été largement surestimées par les historiens. Repaire de mouchards, d’aigrefins et de maîtres chanteurs, les mouvements antijuifs sont tous emportés à l’issue de l’affaire.
L’affaire a entraîné une recomposition totale du jeu politique. Faux : elle ne fait qu’envenimer une crise antérieure et plus profonde, due aux blocages des institutions et aux divisions de la majorité républicaine. L’accent mis sur le contexte politique de l’affaire n’avait jamais été manié avec autant de maîtrise, de couleur et de discernement. Cette aisance contribue à faire du livre de Bertrand Joly une étude magistrale qui renouvelle en profondeur la compréhension des années 1890- 1900, époque charnière qui voit la France entrer dans la modernité.
Histoire politique de l’affaire Dreyfus, par Bertrand Joly. Fayard, 785p., 32€.
lire l’article de L’EXPRESS en cliquant sur le lien ci-après
http://www.lexpress.fr/culture/livre/dreyfus-toute-une-affaire_1621496.html
La vérité sur ce déchaînement de passions, est que se sont affrontés deux philosophies politiques, deux visions de la France, sur fond d’un débat entre justice individuelle et raison d’État, et qui a bouleversé la vie politique du pays. Le camp dreyfusard privilégiait les droits de l’individu, le camp anti-dreyfusard celui de l’intérêt collectif de la société, chacun tentant d’amener l’opinion publique à ses vues. Ce qui a pourri le débat était que l’on avait deux accusés: Dreyfus, et une certaine société française, ce qui a donné des relents de guerre civile à l’affaire. Bien sur, les anti-dreyfusards avaient dans la plupart des cas des arrières-pensées, notamment anticléricales, antimilitaristes, etc., ce dont s’indignera l’ardent dreyfusard Charles Péguy.
Notons au passage que l’affaire du scandale du canal de Panama avait déjà alimenté un antisémitisme populaire, de part le judéïté du baron de Reinach ou de Herz, mais aussi l’anti-parlementarisme, par la corruption de certains députés.
* Dreyfus avant Dreyfus :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1993_num_11_1_1084
quoiqu’il arrive, quand rien ne va, il faut un bouc émissaire et le bouc c’est qui ? c’est nous-
dès que ce pointe un problème hop, c’est la faute des juifs-
je me souviens que pendant l’affaire du sang contaminé, Fabius a été largement pris a partie et nommé juif à plusieurs reprises-
Il y a une hypothèse, rarement étudiée par les historiens, selon laquelle Le Capitaine Dreyfus, aurait servi de fusible, de leurre, pour cacher aux Allemands le fait que leur espion était identifié.
L’affaire Dreyfus est contemporaine de la mise au point, en grand secret, du célèbre canon de 75.
La technologie de ce canon était ultra-moderne pour l’époque et il y a eu de l’ intox envers les services d’espionnage allemands.
Je ne suis pas qualifié pour juger de la véracité de cette hypothèse.
J’ignore si le polytechnicien Alfred Dreyfus travaillait sur le projet du canon de 75.
Mais je considère qu’elle mérite d’être évoquée.
Dans le cas où cette hypothèse serait vraie le traitre (accusé à tord) serait un vrai héros anonyme.