Comment les nazis ont photographié leurs crimes, Auschwitz 1944 au Mémorial de la Shoah dès le 23 janvier 2025

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Par Valérie Guédot
L’exposition de référence du 80e anniversaire de la découverte des camps. Un partenariat France Inter
A l’occasion du 80e anniversaire de la libération des camps de concentration, France Inter réaffirme son engagement envers le devoir de mémoire et la transmission de l’histoire et propose une programmation dédiée sur plusieurs jours avec de nombreux reportages, témoignages et invités.
►►► Lundi 27 janvier, dès 20h, France Inter vous invite à une grande soirée, animée par Philippe Collin, en public et en direct du Mémorial de la Shoah, pour donner la parole aux témoins. Pendant deux heures, Philippe Collin laissera à entendre d’anciens déportés, pour retracer leur parcours de l’arrestation aux terribles conditions de déportation.
« Les derniers témoins, 80e anniversaire de la libération des camps » en public et direct de l’auditorium du Mémorial de la Shoah
Réservation sur le site maisondelaradioetdelamusique dès jeudi 16 janvier à 9h.
►►► L’exposition Comment les nazis ont photographié leurs crimes, Auschwitz 1944 apporte de nouvelles clefs de lecture au principal ensemble photographique montrant le processus qui conduisit au massacre de masse à Auschwitz-Birkenau.
Cet album photographique, nommé couramment l’album d’Auschwitz, fut réalisé par les SS pour témoigner auprès des dignitaires nazis de la parfaite maîtrise des opérations d’extermination sur le site. Il contient des images parmi les plus emblématiques de la Shoah.

Connues depuis le début des années 1950, ces photographies ont servi de preuves lors des procès de certains des responsables de la « Solution finale ». Depuis la redécouverte de l’album complet dans les années 1980, et grâce aux travaux entrepris récemment par l’historien Tal Bruttmann, commissaire scientifique de l’exposition, une nouvelle lecture s’impose. Notre regard est appelé à détecter dans les photographies ce qui voulait y être caché par leurs auteurs et dont nous n’avions pas conscience jusque-là.
Dans la photographie ci-dessous, prise par Hofmann, la rampe et le convoi sont visibles à l’arrière-plan, de même qu’une cabane installée pour les travaux. Cependant — cela semble avoir échappé à Hofmann — une jeune femme au premier plan le défie, en le regardant directement et en lui tirant la langue Une autre femme, juste à côté d’elle met son mouchoir sur le nez pour se protéger des odeurs pestilentielles provenant de la crémation des corps.

80 ans après la découverte du camp par l’Armée rouge le 27 janvier 1945, l’album d’Auschwitz témoigne du fonctionnement du centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau à son apogée : l’été 1944 et la déportation des Juifs de Hongrie.
1944. La Hongrie abrite la dernière grande communauté juive à avoir échappé au processus de destruction. Malgré les persécutions mises en place par le régime de l’amiral Horty, ce sont plus de 700 000 Juifs qui vivent dans le pays. Mais en mars, la situation change radicalement : l’armée allemande occupe la Hongrie et favorise la mise en place d’un nouveau gouvernement.
L’« Opération Hongrie » se met en place planifiée par Adolf Eichmann, avec la collaboration des autorités hongroises et des administrations du pays ; l’ensemble des Juifs sont rassemblés dans une série de ghettos et de camps, qui sont en fait des points de concentration d’où seront organisées les déportations. L’ensemble de la Hongrie doit être débarrassé de ses Juifs en trois mois.
La déportation des Juifs de Hongrie est accompagnée d’une importante campagne de presse, orchestrée par le régime nazi, à travers toute l’Europe. Durant plusieurs semaines des articles se succèdent, dénonçant la « mainmise des Juifs » sur la Hongrie et annonçant leur déportation en guise de « solution ».


Dans le cadre de la préparation de l’opération, deux premiers convois de déportation quittent la Hongrie les 29 et 30 avril, et atteignent Auschwitz le 2 mai. Le site doit faire face à la plus importante opération d’assassinat jamais organisée : plus de 600 000 personnes doivent être déportées en 3 mois. Il apparaît rapidement qu’Auschwitz n’est pas en mesure d’assurer sa mission. Des mesures doivent être prises : une partie du commandement du camp est remplacée par des proches de Höss, celui-ci étant missionné pour superviser l’opération à Auschwitz et hâter les préparatifs. l’« opération Hongrie » devient l’« opération Höss ».
Dès 1941 une gare devait desservir Birkenau, qui était alors prévue pour être un camp pour prisonniers de guerre soviétiques. Ce n’est pourtant que 2 ans plus tard, en septembre 1943, que le chantier débute. Désormais cette nouvelle gare, désignée par les SS comme la Bahnrampe (la rampe ferroviaire), sert un second objectif, outre la desserte du camp : amener les Juifs au plus près des chambres à gaz. D’un point de vue ferroviaire, la connexion prévue initialement depuis l’Est est inversée et se fera depuis l’Ouest, avec un embranchement depuis la gare de marchandises d’Auschwitz, là où se trouvait la Judenrampe, utilisée depuis le printemps 1942 pour les convois de la « solution finale ».
Le chantier est confié à plusieurs sociétés allemandes, la principale étant la société Reckmann, spécialisée dans les constructions ferroviaires. Dans le même temps, la dernière phase de la construction du mirador central est également mise en chantier. Le bâtiment doit tout à la fois servir d’entrée pour la gare et clore le périmètre de Birkenau, créant ainsi une continuité du camp. Plusieurs centaines de prisonniers, hommes et femmes, vont travailler à ce colossal chantier, désigné par les SS sous le nom de Bauwerk 27 (BW 27).

Les camps de concentration disposent de services photographiques. Á Auschwitz, il en existe deux. Le principal est l’Erkennungsdienst, le service Anthropométrique, dirigé par Bernhard Walter.
Outre l’enregistrement des détenus, le service remplit différentes missions, des plus variées : photographier les innombrables travaux ; les visites officielles ; les corps des prisonniers exécutés lors de tentatives d’évasion ou qui se sont suicidés ; de la « documentation » diverse, comme les tatouages ornant les corps de détenus…
L’autre service photographique existant à Auschwitz est celui de la Bauleitung, la direction de la construction. Son activité principale, voire unique, est de documenter les travaux entrepris.
C’est le service Anthropométrique qui en mai 1944 est chargé de réaliser des centaines de photos montrant comment se déroule l’ « opération Höss ». Une quinzaine d’albums auraient été réalisés à cette occasion, probablement destinés à accompagner un rapport écrit, comme le font régulièrement les SS.
Afin d’appeler le regard du visiteur à détecter dans les photographies ce qui voulait y être caché par leurs auteurs, l’exposition propose différents thèmes déclinés sur divers médias :
• Les bruits et les odeurs : Un appareil photo ne peut pas capter les bruits et les odeurs, qui pourtant peuvent être envisagées à partir d’informations présentes dans les photos.
• Reconstitution de séries d’images : L’album est constitué d’un ensemble d’une douzaine de séries de clichés, pris à des dates différentes, et mélangés afin de produire une narration décidée par les commanditaires et concepteurs. Les pellicules ne nous sont pas parvenues, mais divers éléments permettent de reconstituer ces séries.
• La mise en scène photographique : Toute image procède d’une mise en scène. Une grande partie de la mise en scène qui préside à la réalisation des photographies composant l’album échappe largement au regard.
• Les victimes devant les chambres à gaz : C’est ensemble que Walter et Hofmann photographièrent celles et ceux qui marchaient vers la mort : cela rend plus abjecte encore l’esthétisation, évidente, de ces prises de vues.
• La déportation : Les convois de déportation sont strictement organisés : wagons issus de plusieurs compagnies de chemins de fer européennes, déportés, chefs de wagons ou charges de pharmacies : tout est lisible.
• La « sélection » : Certaines images permettent d’évoquer la manière dont la sélection s’opère. Ces photographies qui se distinguent par leur composition et leur point de vue, témoignent du savoir-faire photographique de Walter.
• Esther Goldstein : Déportée à Auschwitz en mai 1944, Esther Goldstein figure parmi les personnes photographiées à leur arrivée sur la rampe d’Auschwitz. Quinze ans plus tard, Esther Goldstein sera témoin au procès d’Adolf Eichmann en 1961 à Jérusalem où l’on lui demande de commenter des photographies de l’album.
• Les rabbins : Dans l’album sont dispersées cinq photographies montrant des rabbins. S’inscrivant très largement dans la veine de la propagande photographique antisémite nazie, ces clichés ont été organisés par le photographe, comme une photo de classe.
• Le Kanada : «J’appartenais aux deux cents nouvelles du camp des femmes, qui avaient été affectées aux commandos du « Canada ». […] [Notre travail consistait à trier les biens des gens qui avaient été gazés et incinérés.» Témoignage de Kitty Hart extrait de Léon Poliakov, Auschwitz, René Julliard, Paris, 1964.
• La violence : L’un des objectifs de la mise en scène des photographies de l’album est de gommer la nécessité de recourir à la contrainte lors des opérations qui suivent l’arrivée des convois. Pourtant des éléments présents dans les clichés sont révélateurs.
• Au-delà de Birkenau : le camp d’Auschwitz n’est pas isolé et se trouve inséré dans un vaste ensemble civil.
• La résistance des victimes : Malgré la volonté des photographes, dont les clichés ont pour objectif de montrer des masses soumises et contrôlées par les SS, de nombreux gestes de défi et de résistance de la part des victimes figurent dans les images. Ces gestes viennent démentir la narration même que les SS entendaient donner des évènements, en montrant des victimes passives. Et, alors que les SS Walter et Hofmann réalisent des images sous-tendues par l’antisémitisme nazi, destinées à déshumaniser et à ridiculiser les sujets ainsi photographiés, l’immense majorité d’entre eux leur oppose leur dignité.
Cette plongée dans les images nous révèle le chantier gigantesque qui fut nécessaire à la mise en place de l’extermination des Juifs sur le site d’Auschwitz. Les indices nous permettent de comprendre l’organisation de la déportation et de la « sélection », y voir la violence et ses sons, le cynisme de ses organisateurs, mais aussi les failles dans le processus soi-disant secret de sa mise en œuvre et enfin la résistance des victimes, souvent niée.

Tous les SS impliqués dans la « sélection » sont ainsi porteurs de cannes, qui leur permettent tout à la fois de diriger les déportés, les saisir au besoin ou les frapper
Autour de l’album d’Auschwitz l’exposition rassemble de nombreuses autres photographies, certaines très connues et d’autres moins, prises dans des circonstances très diverses mais toutes dans la seconde moitié de l’année 1944 à Auschwitz-Birkenau : ces images viennent en complément de celles de l’album et nous permettent d’en parachever la lecture. Ce sont soit des images allemandes soit des images de résistance.
Comme un prolongement de l’album d’Auschwitz, les prises de vues clandestines d’Alberto Ferrera membre du Sonderkommando qui au prix de sa vie photographia en août 1944 les fosses à ciel ouvert dans lesquelles de nombreux corps de déportés hongrois furent brûlés.
Lili Jacob Zelmanovic Meier nait le 16 janvier 1926 à Bilky en Hongrie. Elle est internée en avril 1944 au ghetto de Berehovo avec sa famille (ses parents, ses cinq frères, ses grands-parents maternels, ses tantes paternelles et maternelles et leurs enfants) et déportée en juin 1944 vers Auschwitz. Elle sera la seule survivante. En décembre 1944, elle est transférée d’Auschwitz à destination de Gross-Rosen, puis en mars 1945 à celui de Dora-Norhausen. Elle y attrape le typhus mais survit jusqu’à la libération du camp. C’est à ce moment-là qu’elle trouve l’album dans l’une des baraques des SS. En le parcourant, elle reconnait des membres de sa famille et de sa communauté. En 1946, à Prague, le Conseil juif lui paie des droits afin de reproduire des images de l’album. Lili n’a jamais caché l’existence de cet album. Mais avant Serge Klarsfeld, personne ne semble en avoir compris l’importance. Il convainc Lili Jacob d’en faire don à Yad Vashem, ce qui sera fait le 26 août 1980 à Jérusalem.

L’« album d’Auschwitz » est composé de 56 pages et est conservé au Mémorial de Yad Vashem depuis 1980 ; il comportait originellement 197 photographies qui documentent l’arrivée des Juifs de Hongrie à Birkenau. Ces clichés ont été pris à différentes dates allant de la fin du printemps à l’été 1944. Titré « Réimplantation des Juifs de Hongrie », l’album est organisé en six parties : « Arrivée d’un convoi », « Tri », « Après le tri », « Après l’épouillage », « Installation au camp de travail » et « Effets ». Les parties « Tri » et « Après le tri » sont subdivisées, la première en « hommes à l’arrivée » et « femmes à l’arrivée », la seconde en « Hommes encore aptes », « Femmes encore aptes », « Hommes plus aptes », « Femmes plus aptes et enfants ».

► Commissariat scientifique
Tal Bruttmann, historien, avec Christoph Kreutzmüller, historien
► Coordination générale
Sophie Nagiscarde, responsable du service des Activités culturelles,
Natacha Nisic, plasticienne
Avec Clara Lainé et Elise Arnaud, service des activités culturelles
► Conception
Textes de l’exposition : Tal Bruttmann avec Christoph Kreutzmüller,
Recherches iconographiques, audiovisuelles et documentaires : Tal Bruttmann, Christoph Kreutzmüller, Sophie Nagiscarde, Natacha Nisic
Scénographie et graphisme : RF STUDIO, Ramy Fischler, Nicolas Tsan
Création sonore : Studio invisible, Alexandre Babeanu
Cartographie : Fabrice Le Goff
Réalisation films : Frédéric Lernoud, Mariana Bouhsira
Voix : Gerard Cherqui
Réalisation interview : Walden, Aziz El Ghayyouri
Traduction : Glenn Naumovitz
Relecture : Elisabeth Boyer, Marie Goset
Installation audio et audiovisuels : Romain Augros
Catalogue de l’exposition : éditions du Seuil-Mémorial de la Shoah. Textes de Tal Bruttmann et Christoph Kreutzmüller.
Références visuelles
Visuel principal : À l’arrière-plan, on peut remarquer une fumée qui se déplace de droite à gauche c’est-à-dire d’est en ouest. Il s’agit d’un train qui vient de quitter la gare de la ville d’Auschwitz e traverse la gare de marchandise, là où se trouvait la Judenrampe qui fut utilisée du printemps 1942 jusqu’au 1 mai 1944. © Album d’Auschwitz. Yad Vashem.
Photo 1 : Ces photographies tiennent une place importante pour la réalisation de l’album : la photographie 3 figure à première page, à côté d’une autre montrant deux hommes de profil et réalisée au studio photo du camp d’Auschwitz Ces deux images illustrent le titre de l’album « Réimplantation des Juifs de Hongrie » et son particulièrement représentatives de la perspective nazi © Album d’Auschwitz. Yad Vashem.
Photo 2 : Cette photographie est prise par Hofmann. La rampe et le convoi sont visibles à l’arrière-plan, de même qu’une cabane installée pour les travaux. Cependant — cela semble avoir échappé à Hofmann — une jeune femme au premier plan le défie, en le regardant directement et en lui tirant la langue Une autre femme, juste à côté d’elle met son mouchoir sur le nez pour se protéger des odeurs pestilentielles provenant de la crémation des corps © Album d’Auschwitz. Yad Vashem.
Photo 3 : [Les Juifs en Hongrie] Oberschlesische Zeitung, le journal de Haute-Silésie, du 14 avril 1944, page 1. Après avoir commenté la présence juive dans le pays en augmentation depuis des siècles jusqu’à atteindre 740 000 personnes, l’article appelle à résoudre ce problèm dangereux pour la nation hongroise et pour l’Europe : de 100 000 à 500 000 Juifs doivent disparaitre.
Photo 4 : Femmes juives du ghetto de Técső déclarées aptes au travail. Birkenau, Reich/Pologne annexée, mai 1944. Yad Vashem, Jérusalem. Esther Goldstein se reconnait sur la photo (au milieu, avec un foulard blanc), numérotée 1335 au procès Eichamnn, ainsi que ses deux sœurs. © Album d’Auschwitz. Yad Vashem
Photo 5 : Tous les SS impliqués dans la « sélection » sont ainsi porteurs de cannes, qui leur permettent tout à la fois de diriger les déportés, les saisir au besoin ou les frapper. © Album d’Auschwitz. Yad Vashem.
Photo 6 : Plusieurs photographies de l’Album montrent des déportées portant un mouchoir sur le nez pour tenter de s’en protéger. © Photo 7 : Sur plusieurs clichés, pris au Kanada, diverses fumées sont visibles : celles des cuisines, mais aussi et surtout celles provenant des fosses d’incinération à ciel ouvert notamment derrière la chambre à gaz-crématoire KV. © Album d’Auschwitz. Yad Vashem.
Sources Mémorial de la Shoah
SOURCE
https://www.radiofrance.fr/

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