Comment les espions israéliens ont réussi à infiltrer le Hezbollah

By  |  0 Comments

La profondeur et la qualité des renseignements sur lesquels Israël a pu s’appuyer a profondément évolué au cours des deux derniers mois, à commencer par l’assassinat, le 30 juillet, de Fuad Shukr, l’un des bras droits de Nasrallah.
Atlantico : Vendredi 27 septembre, Israël a éliminé Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, lors d’une frappe à Beyrouth. Israël avait déjà tenté de l’éliminer à trois reprises en 2006, sans succès. Quel rôle ont joué les services secrets israéliens dans cette opération ?
Yvonnick Denoël : Il est encore difficile de connaître tous les détails exacts de cette opération, mais il est probable qu’elle soit principalement liée au renseignement militaire, c’est-à-dire à l’AMAN, plutôt qu’au Mossad. Cependant, les agences de renseignement israéliennes collaborent étroitement et il pourrait donc s’agir d’une opération conjointe. Si l’élimination a été facilitée par des interceptions d’écoutes, alors l’AMAN et l’unité 8200 sont certainement impliqués. Si les informations proviennent de sources humaines, le Mossad pourrait avoir joué un rôle plus important.
Suite à l’explosion des milliers de bipers, Israël pourrait avoir cherché à renforcer son initiative en éliminant Nasrallah. Allons-nous vers une opération terrestre ? Qui remplacera Nasrallah ? Quelle sera la prochaine étape ? De nombreuses questions restent en suspens.

Après 40 années de guerre entre Israël et le Hezbollah, dans quelle mesure la profondeur et la qualité des renseignements sur lesquels Israël a pu s’appuyer ont changé ces derniers mois ?
L’efficacité des services de renseignement israéliens a toujours fluctué au fil des ans, avec des périodes plus performantes que d’autres. Il est difficile de dire si cela découle d’une meilleure stratégie de commandement ou de la réussite d’opérations spécifiques sur le terrain. Par exemple, lorsque le Hezbollah a commencé à utiliser des bipers en masse, Israël a pu faire face à une baisse de ses interceptions téléphoniques, avant de s’adapter et de tirer profit de la situation. Il en va de même lorsqu’une source est éliminée : une nouvelle doit être trouvée, ce qui affecte forcément la qualité des renseignements.
Le 7 octobre a révélé un échec sécuritaire majeur. Cet échec n’est pas dû au Mossad mais à l’AMAN, au Shin Bet et à l’orientation politique donnée aux services de renseignement, car de nombreux responsables politiques israéliens pensaient que le Hamas n’avait ni la capacité ni la volonté de lancer une attaque. Cependant, après cet échec, il y a eu un électrochoc : le Hamas a été traité en priorité, mais avec la pleine conscience que l’attaque du 7 octobre n’aurait pas été possible sans le soutien financier, militaire et logistique du Hezbollah. Cela a été confirmé après coup. Les responsables israéliens savaient donc qu’ils devaient, tôt ou tard, s’occuper du Hezbollah. Maintenant que la majeure partie du travail contre le Hamas est accomplie, attaquer le Hezbollah présente un certain nombre d’avantages, plus tactiques que stratégiques par ailleurs.
Comment les espions israéliens ont-ils réussi à infiltrer le Hezbollah ?
Israël a mis en place plusieurs stratégies pour recueillir des renseignements sur le Hezbollah. Par exemple, ils ont vite compris que les enterrements offraient une opportunité unique. Lorsque des membres du Hezbollah, qu’ils soient hauts placés ou de rang inférieur, décèdent, leurs proches, collègues et familles se rassemblent. Ces événements sont une aubaine pour le renseignement israélien, qui peut observer à distance et identifier les participants grâce à diverses techniques. Les écoutes de conversation téléphoniques, les plaques d’immatriculation des voitures, les photos prises à distance ou même des drones permettent de collecter des informations cruciales, le tout à faible coût et sans grands risques. Le Hezbollah semble d’ailleurs embarrassé à l’idée d’organiser l’enterrement de Nasrallah dans ces conditions.
Bien que le Hezbollah interdise l’usage des téléphones portables pour ses missions et échanges internes, ses membres restent des individus avec une vie personnelle, ils continuent à utiliser leurs téléphones à titre privé. Lors d’un enterrement, par exemple, la détection de 50 à 100 téléphones portables dans une même zone constitue déjà une mine d’informations. En analysant ensuite les communications entre ces appareils, les services israéliens peuvent cartographier les réseaux d’interactions, malgré toutes les consignes de sécurité mises en place par le Hezbollah.

Un autre élément qui a facilité l’infiltration des renseignements israéliens est l’implication du Hezbollah aux côtés du régime de Bachar al-Assad en Syrie. Durant cette période, les membres du Hezbollah ont souvent voyagé, et il semble que les mesures de sécurité aient été moins strictes à l’étranger. Peut-être se sentaient-ils moins menacés en dehors du Liban. Ces multiples déplacements et missions en Syrie ont permis à Israël d’identifier un certain nombre de responsables du Hezbollah, profitant d’un relâchement des précautions.
Enfin, le contexte libanais, marqué par une profonde crise politique, économique et financière, offre un terrain fertile à la corruption, un phénomène endémique dans la région. Des responsables du Hezbollah, en particulier de niveau moyen ou inférieur, ont eux-mêmes parfois du mal à joindre les deux bouts. Ils peuvent par exemple se laisser convaincre d’acheter tel téléphone portable plutôt que tel autre, telle marque de biper plutôt qu’une autre. Et ce n’est pas forcément de la trahison consciente.
Le Hezbollah peut-il se remettre des coups portés par Israël ? Ses capacités peuvent-elles encore menacer l’État hébreu ?
À court terme, Israël gagne une certaine tranquillité. Actuellement, le Hezbollah subit des frappes sévères, et sa capacité à riposter reste relativement limitée, ce qui montre que le groupe est désorganisé. Cependant, il est peu probable que le Hezbollah soit éradiqué, tout comme le Hamas ne l’a pas été. Cela signifie que, pour Israël, il y aura sans doute une période de calme, qui pourrait durer plusieurs mois voire quelques années.
Toutefois, le Hezbollah, comme le Hamas, finira par se reconstituer. Ce cycle de confrontation et de reconstitution est inévitable et Israël en est bien conscient. C’est une stratégie que le pays utilise depuis longtemps : affaiblir l’ennemi pour acheter un temps de paix, en sachant que la menace réapparaîtra à terme. Le but immédiat est de frapper fort pour désorganiser l’adversaire et retarder les attaques futures. Néanmoins, ces actions ont des répercussions : en éliminant des membres du Hezbollah ou du Hamas, Israël crée aussi chez les familles des victimes, notamment civiles, un sentiment de haine, ce qui peut nourrir une nouvelle génération de combattants motivés par la vengeance.
Source
Atlantico

happywheels

Publier un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *