CANAL+ : La Zone d’intérêt: silence, on tue

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Par Eric Neuhoff
Grand prix au dernier Festival de Cannes, le film de Jonathan Glazer restitue la vie de la famille du commandant d’Auschwitz avec une sérénité glaçante.
Juste à côté, c’est l’enfer. Derrière le mur du jardin, il y a le camp. Dans la maison de la famille Höss, la vie continue comme si de rien n’était. Monsieur, avec sa coupe médiévale aux tempes rasées, dirige Auschwitz. Madame taille ses rosiers grimpants. Quoi de plus normal? Cette brave ménagère sauve les apparences. Elle sait, pourtant. Sur l’extermination, le silence est de rigueur. À peine si, quand elle ne se surveille pas, elle menace une domestique de la réduire en cendres. Le couple, exemplaire, se partage les tâches. À lui les chambres à gaz ; la bonne marche du quotidien est pour elle. La caméra ne franchira jamais la frontière maudite. Il y a bien ces cris gutturaux, ces détonations, ces aboiements. Et puis ces étranges panaches de fumée qui montent des toits. C’est tout juste si les barbelés ne font pas semblant d’être là pour la décoration.
Il y a quelque chose d’enchanteur et de décalé. Les enfants, au nombre de cinq, se baignent en se chamaillant dans la piscine avec son toboggan en bois. Délicieux chenapans. Le père a droit à un superbe rameur en bois verni pour son anniversaire. Il y a du soleil. Tout cela a un air si terriblement tranquille. On dirait qu’ils sont en vacances, que ce pavillon de banlieue est une douce villégiature. La grand-mère rend visite à ses proches. La solution finale n’empêche pas de pique-niquer au bord du lac ou de nager dans la rivière qui charrie de curieux déchets. Les corps qui se voudraient insolents de santé sont d’une blancheur inquiétante. On peut être responsable de morts par milliers et lire le soir à sa fille des contes de fées pour l’aider à s’endormir. Rudolf Höss a le sommeil paisible, mais il verrouille minutieusement toutes les portes avant de monter dans sa chambre, comme pour éviter que les miasmes de l’extérieur ne se propagent dans son foyer.
Les SS défilent pour le féliciter. Les talons claquent. Le nom de Hitler résonne au-dessus des parterres de fleurs. Dans le salon, les invités prennent le café, le petit doigt levé. Dans la pièce voisine, un ingénieur dévoile les plans du nouveau four crématoire. La torture est un boulot comme un autre. Quelle est donc cette poussière qui recouvre le parquet du couloir? D’ailleurs, est-ce bien de la poussière? Les mots n’ont plus guère de sens. Du sang? Des cadavres? Vous n’y êtes pas. Il ne s’agit que de chiffres. Les statistiques ont les mains propres dans cette partie de la Pologne en 1943. Pas question pour le commandant d’être muté à Berlin. Il n’a pas démérité. Des bourreaux? Quels bourreaux? Ce sont des techniciens, des fonctionnaires, de petits-bourgeois cauteleux. Le mal est trop banal pour envahir leur intimité. Ils repoussent la vérité du bout du pied.
Cet univers est cloisonné. Dans les baraquements, le cauchemar est une réalité. Frau Höss essaie devant son miroir un manteau de fourrure dont on devine l’origine.
Séances chocs
Sandra Hüller, d’une blondeur pimpante, terrifiante d’impassibilité, a un brusque fou rire qui glace les veines. Au cours d’une réunion en haut lieu, son mari observe l’assistance, perché sur les marches d’un escalier, et se demande combien de temps il faudrait pour se débarrasser de tous ces dignitaires en uniforme. Excès de zèle. La tâche serait ardue: les plafonds sont trop hauts. Soudain, un haut-le-cœur le saisit. La nausée vient un peu tard. Elle ne dure pas. Jonathan Glazer, cinéaste rare dans tous les sens du terme (quatre longs-métrages en vingt-trois ans), filme un vertige immobile, avec la puissance d’un uppercut au ralenti, avec la sereine plénitude du génie. Les séances chocs ne manquent pas, ces bottes qu’on nettoie et qui dégoulinent d’un liquide rouge, cet engrais dont on préfère ne pas connaître la provenance, ce coup de téléphone en pleine nuit, cette prostituée qui a intérêt à rester muette.
Le réalisateur de La Zone d’intérêt s’est inspiré d’un roman de Martin Amis, en a gardé la substantifique moelle. L’adaptation transcende son modèle, ce qui n’est pas si fréquent. Le travail sur le son impressionne, ce qui produit deux films: celui qu’on voit et celui qu’on entend. Ils se contredisent tout en se complétant. Le mélange est sidérant. Le passé remonte à la gorge. Dans des vitrines aujourd’hui, des tonnes de valises vides, des montagnes de chaussures dépareillées nous regardent. L’horreur, mode d’emploi.
Source
Le Figaro

happywheels

1 Comment

  1. joseparis dit :

    Le réalisateur Jonathan Glazer n’a pas hésité à vomir sur Israël alors que son film parle justement du massacre des juifs pendant la shoah:
    https://www.courrierinternational.com/article/controverse-le-discours-de-jonathan-glazer-aux-oscars-continue-de-diviser-profondement
    Ces juifs sont incompréhensibles. Ils refusent de comprendre qu’Israël se bat pour sa survie, et celle de tous les juifs du monde entier face au nazislamisme.

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