Avec la guerre en Ukraine, les juifs de Russie craignent une résurgence de l’antisémitisme
Repéré par Nina Iseni
Depuis le début de l’invasion en février dernier, il est estimé que près de 10.000 Russes de confession juive ont demandé et obtenu la nationalité israélienne, contre 800 les mois précédents.
Selon les statistiques publiées par la Berman Jewish Data Bank, près de 165.000 personnes de confession juive vivaient en Russie en 2019, soit «la sixième plus grande communauté juive en dehors d’Israël», souligne Politico. Mais depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février dernier, de nombreux juifs de Russie craignent de devenir les nouvelles cibles du Kremlin.
Si certains ont d’ores et déjà quitté le pays, d’autres restés sur place, «sont terrifiés à l’idée de critiquer directement la guerre» à l’image de nombreux Russes opposés à ce conflit. Car quiconque diffuse de «fausses informations sur l’emploi des forces armées russes», ou en d’autres termes, critique les décisions du Kremlin, prend le risque de passer jusqu’à quinze ans derrière les barreaux.
«Dans notre congrégation, nous n’abordons aucune question politique», explique au media américain un rabbin moscovite qui a souhaité ne pas être nommé. «Tout ce que nous disons publiquement sur la guerre peut être utilisé contre nous en tant que communauté juive.» Cette autocensure, influencée par les répressions du Kremlin concernant la liberté d’expression, est par ailleurs retranscrite au travers des statistiques de Vladimir Khanin, professeur à l’université d’Ariel en Israël et spécialiste de la diaspora juive. Selon lui, près d’un tiers des juifs de Russie sont opposés au conflit. «La plupart “ne sont pas contents” de la situation, mais ont trop peur de s’exprimer.»
Toujours selon ses estimations, seulement 10% à 15% des Russes de confession juive soutiennent la guerre en Ukraine. Ce pourcentage faible s’explique par le fait que près de 70% de cette communauté vit à Moscou et à Saint-Pétersbourg et qu’ils sont «plus libéraux, plus modernes et mieux éduqués que le Russe moyen».
Des figures importantes du judaïsme se sont même exprimées contre le conflit. Selon Politico, Berel Lazar, «le grand rabbin de Russie qui était auparavant connu pour être ami avec Vladimir Poutine», a ainsi appelé à la paix. De son côté, le grand rabbin de Moscou, Pinchas Goldschmidt, a dû fuir le pays après avoir refusé soutenir le conflit.
Retour vers les années 1990
«En raison de l’attitude négative constante à notre égard, de la haine, nous sommes habitués à nous taire, à nous adapter au gouvernement en place, et nous gardons toujours un passeport étranger à portée de main», confie une femme juive de 23 ans vivant à Derbent, dans le sud de la Russie. «Nous comprenons qu’aucun d’entre nous n’est vraiment protégé.»
Si en 2021, 45% des Russes ont déclaré, interrogés pour un sondage publié par le Levada Center, «avoir une attitude positive envers les personnes de confession juive» et que «les juifs étaient le groupe minoritaire avec qui ils se sentaient le plus à l’aise», seulement 11% estiment qu’ils sont prêts à avoir un ami juif, souligne Politico.
Comme l’explique Ilya Yablokov, maître de conférences en médias numériques à l’université de Sheffield, au Royaume-Uni, «dans les années 1980 et 1990, l’antisémitisme brutal des politiciens était une réaction à la polarisation sociale de la Russie. Puis, dans les années 2000, les choses se sont améliorées sur le plan économique et le niveau d’antisémitisme a baissé.» Mais selon lui, la guerre pourrait raviver cette hostilité et faire replonger le pays dans les années 1990, une période «où les théories de conspiration antisémite ont proliféré».
Face à cette situation tendue, de nombreux juifs de Russie ont ainsi décidé de quitter le pays pour Israël: il est estimé que près de 10.000 d’entre eux ont demandé et obtenu la nationalité israélienne depuis le 24 février dernier, date du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, contre 800 les mois précédents.
Source
http://www.slate.fr/story/230162/guerre-ukraine-juifs-russie-resurgence-antisemitisme-judaisme