Au procès de l’assassinat de Samuel Paty, Chnina et Sefrioui, deux accusés aux antipodes

By  |  1 Comment

Le père de la collégienne par qui le drame est arrivé assure n’avoir « jamais voulu de mal » au professeur. Son coaccusé, un militant islamiste, se dit « victime d’une injustice ».
Par Valentine Arama
un est aussi prolixe que l’autre est apathique. Les quatrième et cinquième jours du procès de l’assassinat de Samuel Paty étaient en partie consacrés à l’examen des parcours de vie de Brahim Chnina, 52 ans – qui paraît cependant en faire au moins quinze de plus –, et d’Abdelhakim Sefrioui, 65 ans.

En l’absence de l’auteur des faits, neutralisé quelques minutes après l’attentat, c’est ce duo qui sera au cœur des débats. Le premier est le père de la collégienne qui a menti au sujet du cours dispensé par Samuel Paty. Le second est un militant islamiste, agitateur acquis aux thèses fréristes. Accusés d’avoir désigné l’enseignant « comme une cible » en diffusant des vidéos destinées à alimenter un « sentiment de haine » sur les réseaux sociaux, ils comparaissent tous deux pour « association de malfaiteurs terroriste » et encourent 30 ans de réclusion criminelle.
.
« Je ne reconnais pas les faits qu’on me reproche », a déclaré mercredi Brahim Chnina, tête baissée et air abattu, bien loin de l’état de fureur qui l’avait animé les jours suivants le prétendu cours polémique de Samuel Paty. Le quinquagénaire, sourd de l’oreille gauche, a vu sa santé considérablement se dégrader depuis son placement en détention provisoire il y a quatre ans. L’enquêtrice de personnalité qui a dressé son portrait à la barre garde le souvenir d’un homme « très affaibli moralement et physiquement », « qui avait du mal à tenir sur sa chaise », lors de l’entretien. « L’affaire me fait très mal, je n’ai pas grandi là-dedans, j’ai grandi dans l’amour », résume Brahim Chnina pour expliquer son état. Cet « amour », c’est celui qu’il porte à sa famille, la sienne et celle qu’il a fondée. « On constate qu’elle occupe une place centrale chez vous », dira le président de la cour d’assises spéciale de Paris.

Né en Algérie, ayant grandi au Maroc, Brahim Chnina arrive en France à l’âge de 10 ans. Il vit « une enfance heureuse », bien que marquée par la grave maladie de son frère Rachid et la séparation de ses parents. Cadet d’une fratrie de sept, aîné de cinq demi-frères et sœurs, il va vite endosser auprès d’eux le rôle d’un « père de substitution ». Lui qui aurait aimé devenir « pilote de ligne » est contraint d’interrompre ses études pour épauler ses parents. Manutentionnaire, cariste ou encore vendeur en grande surface, Brahim Chnina jongle entre les petits boulots et les périodes de chômage. En 1999, il retrouve son amour de collège. Elle a déjà un fils, qu’il élèvera comme le sien. Ensemble, ils auront six filles, dont Zohra*, l’adolescente par qui le drame est arrivé.
« Je n’ai jamais voulu du mal à M. Paty »
C’est après le décès de son frère, en 2012, qu’il crée l’association « Aide-moi », consacrée à l’assistance à la personne. Avant l’attentat, il occupait deux emplois, travaillait pour une entreprise de soins à domicile et une autre de transport de personnes à mobilité réduite. « C’est ce que mon petit frère Rachid m’a appris, aider les autres. C’est ce que j’aime le plus, l’aide aux personnes à mobilité réduite. J’ai toujours fait le bien. Je voulais quitter ce monde avec une belle fin. C’est raté… », lâche-t-il, le regard absent. Sa femme, avec qui il rencontre « des hauts et des bas », lui a souvent reproché de trop s’occuper des autres, pas assez d’elle et des enfants. « J’ai toujours voulu aider, j’ai toujours fait ce que j’ai pu dans ma vie […] l’agressivité, je ne sais pas ce que c’est », réagit Brahim Chnina. À l’enquêtrice de personnalité, son meilleur ami confiera qu’il n’est « pas agressif », mais qu’il peut avoir une « impulsivité affective » liée à son « dévouement familial ».
Au sujet de l’école, Brahim Chnina assure avoir toujours considéré qu’elle était un « ascenseur social », avoir grandi dans le respect de l’institution et donné raison aux professeurs devant ses enfants. Si ces derniers le décrivent comme un « papa poule », il ressort qu’il n’était en revanche pas très impliqué dans leur scolarité. « C’est ma femme qui gérait les choses avec l’école », reconnaît-il. L’accusé admet aussi qu’avant le 8 octobre 2020 – jour où il se rend au Bois d’Aulne avec Abdelhakim Sefrioui pour exiger la mise à pied de Samuel Paty –, il n’avait « jamais été » dans le collège. Voyant où se dirige l’interrogatoire, Brahim Chnina se voûte encore un peu plus : « Je n’ai jamais voulu du mal à M. Paty, je présente mes excuses à sa famille. » Me Leroy, avocate d’une partie d’entre elle, le coupe : « On n’a pas besoin de vos excuses ici, on a besoin de vos explications. »

S’il n’est pas question d’aborder la question religieuse – qui relève des faits et sera donc examinée plus tard au cours des débats –, l’enquêtrice de personnalité indique que Brahim Chnina a reçu une « éducation laïque » et religieuse « classique ». Pratiquant modéré, il sait lire le Coran et se rend occasionnellement à la mosquée. S’il pratique le ramadan et ne boit pas d’alcool, Brahim Chnina assure n’appartenir à une « aucune mouvance » ou avoir une quelconque pratique radicale. L’enquête n’a d’ailleurs pas relevé de signe de radicalisation chez lui.
« Un crime barbare que tout mon être rejette »
Il est encore tôt dans ce procès qui doit durer sept semaines, mais à mesure que Brahim Chnina ploie sous le poids du box vitré, grandit au-dessus de lui l’ombre de celui qui a pris place à ses côtés. Abdelhakim Sefrioui entame jeudi après-midi son interrogatoire de personnalité sur une tout autre tonalité que son coaccusé. S’il commence par présenter ses condoléances à la famille Paty « dont il partage la peine », le Franco-Marocain né à Fès dit avoir attendu le temps du procès avec « l’impatience d’un homme de presque soixante-six ans, victime d’une injustice implacable qui s’est abattue sur [lui]. Mais surtout et avant tout pour laver [son] honneur et [son] nom, lié à ce crime barbare que tout [son] être rejette ».
Chemise bleue et lunettes de vue posées sur le bout de son nez, Abdelhakim Sefrioui répond à toutes les questions de la cour, apparaît combatif, voire péremptoire, et rentre dans une telle myriade de détails que le président est parfois forcé de le couper d’un « tout cela n’est pas très clair ». Agrippé au micro, Abdelhakim Sefrioui revient sur son enfance « épanouie » au Maroc, les brillantes études et la réussite professionnelle de ses huit frères et sœurs, devenus docteur en biologie, professeur d’arabe, employé à la préfecture… Lui-même confie avoir été « un très bon élève ». Après une fac d’éco à Fès, il quitte le Maroc pour la France, direction Le Mans puis Lyon pour des études de gestion. Il raconte les treize années passées à enseigner en lycée pro et BTS, parle des librairies en littératures arabe et française qu’il a ouvertes ensuite à Paris. La cour ne relève pas quand il déclare que le 11 septembre 2001 a été « un virage » et a fait « chuter » le monde de l’édition.
« Ma vie, c’est le militantisme »
Il s’épanche moins sur sa fille Phidae, qui a transmis un certificat médical à la cour indiquant qu’elle ne serait pas en mesure de venir témoigner à la barre. Tout juste le président parvient à lui faire reconnaître qu’ils ont « coupé les liens ». En audition, la jeune femme avait déclaré ne pas être étonnée que son père ait été arrêté. « J’ai assisté à des discussions où il parlait de dommages collatéraux, et qu’il fallait accepter ce risque », avait-elle déclaré au sujet de ses activités militantes islamistes. De ce sujet, qui a façonné la vie de cet homme, il ne peut encore être question à ce stade. Nicolas Braconnay, avocat général, est obligé de le rappeler : impossible, pour l’heure, d’évoquer les questions relatives à l’engagement militant ou religieux. Et dans la mesure où Abdelhakim Sefrioui a refusé l’enquête de personnalité en détention, le portrait dressé jeudi de l’accusé ne peut être qu’incomplet. Car lui-même le dit : « ma vie, c’est le militantisme ».
L’avocat général l’interroge sur les raisons qui l’ont poussé à rester en France après ses études : « Ce que j’aimais, c’était la liberté d’expression et l’environnement démocratique, pouvoir vivre pleinement cette liberté. » La salle d’audience se raidit. Un avocat de parties civiles, Me Francis Szpiner, pose quant à lui des questions sur son expérience d’enseignant. « Vous qui avez enseigné, qu’auriez-vous fait si votre chef d’établissement ne vous avait pas défendu face à des parents ? » « Je serais allé voir le rectorat, mon employeur, car il ne peut y avoir de conflit. » Fastidieux, l’exercice d’interrogatoire de personnalité présente au moins un avantage, il fixe la tonalité des débats.
*Le prénom a été modifié
Source
Le Point

happywheels

1 Comment

  1. Poissonchat dit :

    On n’a pas envie de pleurer sur leurs miserables sorts respectifs,on veut qu’ils payent pour avoir été a l’origine de la decapitation du Monsieur professeur.On peut noter la victimisation d’un côté et le manque total d’honneur de l’autre,2 marqueurs recurrents chez ces islamistes degueulasses.

Publier un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *