Attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo : l’assaillant Zaheer Mahmood condamné à 30 ans de réclusion
Par Aude Bariéty de Lagarde
Le 25 septembre 2020, Zaheer Mahmood avait grièvement blessé deux jeunes gens à la feuille de boucher rue Nicolas Appert, dans le 11e arrondissement de Paris.
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Le 7 janvier 2015, les frères Chérif et Saïd Kouachi semaient la mort au 10 rue Nicolas Appert (11e arrondissement de Paris), assassinant onze personnes – dont huit membres de la rédaction de Charlie Hebdo – avant de tuer le policier Ahmed Merabet sur le boulevard Richard Lenoir. Cinq ans, huit mois et dix-huit jours plus tard, en plein procès des attentats de janvier 2015, Zaheer Mahmood surgit à son tour rue Nicolas Appert, déterminé à prendre pour cible l’hebdomadaire satirique qui vient de republier les caricatures de Mahomet.
Dans sa folie vengeresse, le Pakistanais de 25 ans ignore qu’après la tuerie du 7 janvier 2015, Charlie Hebdo a déménagé. C’est donc sur Paul* et Hélène*, deux salariés de l’agence de presse Premières Lignes en train de fumer une cigarette sous le porche du 6 rue Nicolas Appert, qu’il tombe en ce vendredi 25 septembre 2020. Il les entend rire. Sort une feuille de boucher de son sac. Et passe à l’attaque, blessant grièvement ses deux victimes. Un «acte terroriste», comme il l’a lui-même reconnu à son procès, qui lui a valu jeudi 23 janvier une peine de 30 ans de réclusion criminelle, une interdiction définitive du territoire français et une inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait). Il dispose désormais de dix jours pour interjeter appel.
«En 2020, ça a recommencé»
Hasard du calendrier, les premiers jours du procès de Zaheer Mahmood devant la cour d’assises des mineurs ont coïncidé avec la commémoration des dix ans de l’attentat de Charlie Hebdo . À l’audience, plusieurs témoins ayant enduré les deux attaques ont d’ailleurs raconté ce double traumatisme. «En 2015, on a subi l’attentat contre Charlie. Les tirs, l’évacuation… J’ai vécu avec ces moments-là pendant cinq ans. Et en 2020, ça a recommencé», se remémore Gilles, grand gaillard de 60 ans en larmes à la barre. «C’est comme si la foudre tombait deux fois au même endroit», souffle de son côté Martin, salarié de la même agence de presse que Paul et Hélène.
La deuxième attaque dans ce «lieu hanté par la barbarie», selon l’expression utilisée par le ministère public lors de son réquisitoire, trouve sa «matrice» au Pakistan, bien loin du 11e arrondissement, à en croire Me Albéric de Gayardon, le conseil de Zaheer Mahmood. Au Pakistan où l’accusé grandit «dans une famille très religieuse». Au Pakistan où une loi prévoit la peine de mort pour les blasphémateurs. Au Pakistan où, en septembre 2020, éclatent des manifestations antifrançaises après la republication des caricatures par Charlie Hebdo.
Zaheer Mahmood, arrivé en France deux ans plus tôt, vit dans «une bulle d’enfermement communautaire», toujours selon son avocat. «Il est en France physiquement, mais dans sa tête, il est toujours dans son pays où les blasphémateurs dans le meilleur des cas sont arrêtés, dans le pire sont lynchés.» Il est par ailleurs un grand amateur des prêches de l’imam Khadim Hussain Rizvi, qui dirige un parti islamiste radical pakistanais. Dans les semaines précédant son passage à l’acte, il fait des recherches concernant Charlie Hebdo sur Internet, et se rend à plusieurs reprises rue Nicolas Appert pour des repérages.
«Zaheer Mahmood est venu pour tuer»
Le vendredi 25 septembre 2020, à 8h02, Zaheer Mahmood tourne une vidéo dans laquelle il explique qu’il va aller «se révolter» contre «les caricatures sur notre pur et plus grand bien aimé prophète». Puis, quittant son domicile de Pantin (Seine-Saint-Denis), il passe entre 10h19 et 10h35 dans un bazar de Saint-Denis acheter une feuille de boucher, un couteau et des bouteilles de white-spirit. À 11h36, il sort de la station de métro Richard-Lenoir. Quelques dizaines de mètres plus loin, dans les locaux de Première Ligne, Hélène, arrivée en avance au travail, croise Paul qui descend fumer une cigarette. La jeune femme décide de l’accompagner.
Les deux jeunes gens se rendent non pas dans la cour intérieure, comme ils en ont l’habitude, mais sous le porche donnant sur la rue Nicolas Appert, en raison de la pluie qui tombe ce jour-là. Insouciants, ils rient à l’évocation de la soirée d’anniversaire d’Hélène, qui a eu lieu la veille dans un bar du quartier. Peu avant 11h40, la caméra de vidéosurveillance du 6 rue Nicolas Appert filme une scène d’une violence sidérante, retransmise à l’audience devant la cour d’assises des mineurs. La lame de sa feuille de boucher brandie au-dessus de la tête, Zaheer Mahmood assène cinq coups à Paul, quatre à Hélène, puis prend la fuite. Il est interpellé à la station Bastille à 12h35.
«Quand je suis arrivé sur place, je n’avais pas en tête que j’allais blesser ces gens-là. J’étais venu pour mettre le feu dans le bureau, raconte l’assaillant lors de son interrogatoire sur les faits. Quand je me suis approché, tout à coup, j’ai senti que quelqu’un rigolait. J’ai pensé que c’étaient des gens de Charlie Hebdo qui se moquaient de moi. J’ai posé mon sac, sorti une feuille de boucher, et j’ai attaqué.» Une version des faits que rejettent avocats de partie civile et avocats généraux. «Zaheer Mahmood est venu pour tuer», insiste Me Alexia Leveillé Nizerolle, le conseil de Paul. «En cohérence avec les convictions mortifères qui étaient les siennes, Zaheer Mahmood s’est rendu rue Nicolas Appert avec la ferme intention de décapiter des blasphémateurs», renchérit l’un des représentants du ministère public.
«Boîte crânienne fendue»
De leur côté, malgré la violence de l’attaque, Paul et Hélène réussissent à s’échapper. Le premier est retrouvé dans une rue adjacente par Gilles. «Je suis tombé sur Paul assis sur un muret, les pieds dans le sang. Il était gravement blessé à la tête et à la main. Il m’a dit ’Je me sens partir, je pars’», retrace le sexagénaire, qui, très ému, semble revivre la scène à la barre. La seconde est secourue par Olivier, qui travaille à proximité. «Hélène était touchée à la joue et à l’arrière de la tête. Je me suis efforcé de discuter avec elle pour qu’elle reste consciente. Elle était très courageuse. Quand les secours sont arrivés et qu’ils l’ont évacuée avec son collègue, j’avais les mains et le jean remplis de sang, comme dans les films.»
Plongé dans le coma par les secours, Paul est conduit à la Pitié-Salpêtrière, où il est opéré en urgence, son pronostic vital étant engagé. «Une boîte crânienne fendue, un cerveau atteint, un visage marqué ad vitam aeternam, une main gauche touchée», résume son avocate Me Leveillé Nizerolle. Le blessé reprend conscience le 12 octobre. Admis aux Invalides, il y reste – à temps complet ou en hospitalisation de jour – jusqu’en juillet 2021. «Aujourd’hui, j’ai atteint le maximum de ce que je pouvais faire sur la rééducation physique. Maintenant, l’enjeu ça va être de remonter la pente psychologiquement. Ça va être long», décrit le trentenaire à la barre.
Hélène est quant à elle prise en charge à l’hôpital Georges-Pompidou pendant une semaine. Ses blessures au crâne, au visage, à l’œil sont soignées. Mais petit à petit, «dans [sa] tête, quelque chose de vicieux s’installe». «Pendant deux ans, j’ai essayé de refaire une vie comme j’avais avant, mais je n’y arrivais pas. Aujourd’hui, j’ai 32 ans, l’âge où mes amis s’épanouissent dans leur travail, commencent à fonder une famille. Moi, je suis restée bloquée rue Nicolas Appert », confie, en larmes, celle qui, pendant toute l’audience, n’a cessé de «dessiner des carrés sur un carnet pour fixer ses pensées», comme l’a expliqué son avocate Me Maud Sobel.
30 ans de réclusion requis contre l’assaillant
Quatre ans et demi après l’attaque s’ouvre le procès de Zaheer Mahmood et de cinq de ses compatriotes, accusés d’avoir «motivé et soutenu» l’assaillant. L’audience se tient devant la cour d’assises des mineurs, certains des mis en cause étant âgés de moins de 18 ans à l’époque des faits. Pendant deux semaines et demi, dans la salle dite «des grands procès» qui a notamment servi pour les procès des attentats du 13 novembre 2015 et de l’assassinat de Samuel Paty, Paul et Hélène, entourés de leurs proches, font à nouveau face à leur agresseur.
Mardi 21 janvier, à l’issue d’un réquisitoire long de trois heures, le ministère public requiert 30 années de réclusion criminelle, assorties d’une période de sûreté des deux tiers, ainsi qu’une interdiction de détenir une arme pendant 15 ans et une interdiction définitive du territoire français à l’encontre de Zaheer Mahmood. Ce dernier «doit être sanctionné le plus sévèrement, à la hauteur de l’immense gravité des crimes qu’il a commis, usant d’une violence inouïe contre ses victimes, leur occasionnant des séquelles physiques et psychologiques immenses», déclare l’un des avocats généraux. «À cet acte abject, il a associé ses amis, tant sur le plan idéologique que sur le plan logistique», ajoute le magistrat, qui réclame des peines allant de 3 à 13 ans de réclusion à l’encontre des cinq autres accusés.
«Je demande pardon à la France»
Jeudi 23 janvier, à l’occasion de leurs derniers mots, ces cinq hommes présentent tous leurs excuses aux victimes. En jean et chemise blanche, cheveux et barbe coupés court, Zaheer Mahmood, prenant la parole en dernier, affirme par le truchement d’une interprète en langue ourdoue avoir «beaucoup changé». «Il y a une chose que j’ai bien comprise : cette manière de réfléchir dans laquelle il y a de la haine, de la vengeance, de la colère ne sert à personne. Cela ne fait que du mal», déclare-t-il avant de présenter à son tour ses excuses aux victimes et à leurs familles, puis de «demander pardon à la France, car la France est le pays qui [l’]a toujours soutenu».
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Assurant «parfaitement comprendre» la perspective d’être «condamné à une peine lourde», le Pakistanais demande à la cour de lui «laisser un espoir de retrouver un semblant de vie à la sortie de prison». Il réserve ses ultimes paroles à Paul et Hélène, leur souhaitant «énormément de bonheur dans leur vie». «J’espère qu’ils arriveront à trouver le courage de me pardonner un jour», conclut-il. À 9h56, les six magistrates se retirent pour délibérer. Et reviennent neuf heures plus tard pour prononcer des peines allant de 3 à 12 années de réclusion pour cinq des accusés, qui en encouraient 15 à 30. Zaheer Mahmood, qui encourait quant à lui la réclusion criminelle à perpétuité, est condamné à 30 ans de réclusion criminelle. L’assaillant ainsi que trois de ses coaccusés écopent également d’une interdiction définitive du territoire français.
«Je ne sais pas si l’arrêt [de la cour, NDLR] permettra aux victimes de sortir de la rue Nicolas Appert», soulignait dans son réquisitoire un des avocats généraux, faisant référence à une déclaration d’Hélène. «Le chemin de la coexistence avec ce drame absolu est long. Mais en reconnaissant la culpabilité des accusés, en les condamnant à des peines fortes mais proportionnées, [cette] décision aura pour vertu de dire qu’ici, la justice a été rendue.»
*Les prénoms ont été modifiés
Source
Le Figaro