SUR CINÉ + CLASSIC. MERCREDI 2 MARS Robert Le Vigan, la cavale d’une racaille antisémite du cinéma français d’avant guerre
Ce mercredi 2 mars, la Chaine Ciné + Classic consacre une soirée au comédien Robert Le Vigan. A travers deux classiques de Renoir et Duvivier et un documentaire, retour sur un damné du cinéma français.
Mais qui était Robert Le Vigan ? Quelques plans du « Quai des brumes » ou de « Goupi Mains Rouges » nous offrent une première définition : l’un des plus grands acteurs de l’histoire du cinéma français. Né en 1900 à Paris, formé au Conservatoire, Le Vigan a compté parmi les seconds rôles les plus prolifiques des années 1930. Rarement au premier plan, il passait dans les films comme une chouette dans la nuit, illuminant l’écran de son grand regard inquiet et de sa voix glaciale. Il a tourné pour Duvivier, Pagnol, Carné, Christian-Jaque, Abel Gance… Ciné + Classic diffuse ce mercredi 2 mars « Les bas-fonds » (1936) de Jean Renoir, adaptation de Gorki où Le Vigan livre une prestation hallucinée d’acteur alcoolique et « La Bandera » de Julien Duvivier où il campe un indic inquiétant.
Son talent et sa filmographie cachent mal son destin ravagé. Le Vigan serait une figure d’un livre de Patrick Modiano s’il n’avait pas été lui-même un personnage de Louis Ferdinand Céline dans « D’un château à l’autre ». Diffusé avec « Les bas-fonds », le documentaire de Bertrand Tessier « La cavale d’un maudit » retrace ce parcours tortueux. Pendant l’occupation, Le Vigan anime sur Radio-Paris des émissions antisémites odieuses. Il fréquente à la fois les plateaux de cinéma, la butte Montmartre et les salons de la Collaboration. Alors que les troupes américaines se préparent à libérer l’Europe, il adhère au Parti populaire français. On le retrouve avec Céline à Sigmaringen en 1944 où il vivote dans les braises du régime nazi.
Après la chute du Reich, de retour à Paris, il est jugé pour ses activités pétainistes. Des stars de cinéma défilent à la barre et plaident pour lui la folie. Le Vigan est condamné. Après quelques années, mis en liberté surveillée, il fuit clandestinement en Argentine, dans un exil dont il ne reviendra jamais. La guerre s’éloigne. On oublie, on pardonne. Jean-Louis Barrault et d’autres lui proposent de revenir. Il hésite et à chaque fois se rétracte. Il finit ses jours en élevant des poules et en donnant des cours de français. En 1972, il meurt à Tandil. Il se trouve à 300 kilomètres de Buenos Aires, 11.000 kilomètres du Sacré-Coeur… et à des années lumières du cinéma.
Le film de Bertrand Tessier est conçu autour d’images étonnantes de l’acteur à la fin de sa vie, isolé au bout du monde, perdu dans les méandres de son passé et de sa paranoïa. Le documentariste interroge des historiens et des témoins ainsi que le comédien et biographe de Céline, Christophe Malavoy. Le montage dresse le portrait équilibré d’un profond déséquilibré. Il retrace le trajet unique d’un comédien prodigieux, dévoré par son art et ses démons, devenu lui-même le personnage d’un film à la fois grotesque, poisseux et inquiétant. Le film de sa vie.
SOIRÉE ROBERT LE VIGAN SUR CINÉ + CLASSIC. MERCREDI 2 MARS
Télévision
20 h 50 « Les bas-fonds » de Jean Renoir. 1 h 29.
22 h 19 « Robert Le Vigan, la cavale d’un maudit ». 53 minutes.
23 h 12 « La bandera » de Julien Duvivier. 1 h 38.
Et également en replay.
En 1939, c’est la drôle de guerre ; mobilisé comme conducteur dans une unité de transmissions, il profite de quelques permissions pour retrouver ses amis comédiens à Nice.
L’armistice signé, il remonte à Paris. Durant l’Occupation, il participe sur Radio-Paris – contrôlée par les Allemands – à une émission-revue Au rythme du temps dirigée par le collaborationniste Georges Oltramare dit « Charles Dieudonné » dans laquelle Le Vigan, avec des comédiens comme Maurice Rémy et des journalistes, joue des saynètes basées sur les actualités2. Cette émission lui donne l’occasion de manifester avec bruit sa fougue antisémite, ce qui lui vaut par la suite d’être en tête de la liste noire des comités d’épuration.
Collaborateur notoire, il envoie des lettres de délation à la Gestapo concernant le milieu artistique. Il tourne L’Assassinat du père Noël (1941), film de Christian-Jaque, et rédige une lettre dans laquelle il mentionne sa grande joie d’avoir collaboré à cette réalisation, produite par Alfred Greven pour la Continental (compagnie à capitaux allemands), ce qui lui sera reproché lors de son procès. Il tourne aussi dans Romance de Paris et interprète « Goupi Tonkin » dans Goupi Mains Rouges.
En 1943, il divorce d’Alphonsine Lassauce et adhère au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot. Il rejoint Louis-Ferdinand Céline à Sigmaringen en 1944. Cette fuite en Allemagne en compagnie de l’écrivain, pour échapper à l’épuration, a été décrite en détail par Céline dans D’un château l’autre (1957), Nord (1960) et Rigodon (1969), romans autobiographiques dont Le Vigan est un des protagonistes aux côtés de Lili et du chat Bébert. Il devient speaker au poste « Ici la France », recevant 1 100 marks par mois, jusqu’au 7 janvier 1945, date à laquelle il cherche à passer en Suisse3.
À son retour en France, l’acteur est incarcéré à la prison de Fresnes et condamné par la Cour de justice de la Seine, en novembre 1946, à la dégradation nationale et à dix ans de travaux forcés, pour faits de collaboration. Lors de son procès, le réalisateur Julien Duvivier, ainsi que les acteurs Louis Jouvet, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault tentent de le sauver en le décrivant irresponsable. Duvivier déclare ainsi : « Je ne puis dire que je le considère comme un homme parfaitement normal. Il est susceptible de subir des entraînements que rien de sensé ne peut justifier ». C’est ce que plaide aussi son avocat, Me Pierre Charpentier, s’appuyant sur le rapport d’un médecin aliéniste.