SUISSE :L’UDC se désolidarise d’un dessinateur antisémite
Suspendu par son école et visé par une plainte pénale pour les dessins qu’il publiait sur les réseaux sociaux, l’illustrateur qui se fait appeler «Artiste Mal Pensant» entretient des relations avec de nombreux élus de l’UDC du Valais romand
Quand Londres élit un maire musulman, le 5 mai dernier, il voit «une connivence d’intérêts de toutes les minorités sur le dos de l’Homme Blanc, l’Européen originel à qui l’on dénie la légitimité de son propre espace-vital». C’est le dernier message public d’Artiste Mal Pensant, un illustrateur nationaliste, qui se décrit «antisioniste». Il diffusait régulièrement ses dessins politiques à un public de plus de 5000 suiveurs sur le réseau social Facebook.
Ses croquis de juifs, de migrants, de «gauchistes» ou d’homosexuels étaient relayés par de nombreux membres de l’UDC, et plusieurs sites pamphlétaires de droite, parmi lesquels lesobservateurs.ch. Signalée par de nombreux utilisateurs, la page Facebook n’existe désormais plus que dans les archives cachées du web. Le jeune homme est visé par une plainte pénale, et ses connexions embarrassent l’UDC du Valais romand.
Obsédé par le complot juif
La Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) suivait le dossier depuis près d’une année. Le 24 mai dernier, sitôt qu’elle a appris l’identité de l’illustrateur qui se cachait sous le pseudonyme, elle a dénoncé une violation de la norme pénale contre la discrimination raciale. Ironiquement, Artiste Mal Pensant écrivait un mois plus tôt que «l’article 261 bis du code pénal, à lui seul, peut rendre vain des siècles d’efforts et de sacrifices à la construction de notre civilisation». Il ajoutait: «Lorsque le vent tournera, les délateurs seront châtiés.»
Secrétaire général de la CICAD, Johanne Gurfinkel décrit la caricature d’un juif au nez crochu qui injecte l’immigration clandestine en Europe à l’aide d’une seringue. Pour lui, il ne s’agit pas d’un simple dérapage: «En entretenant l’obsession récurrente d’un complot juif diabolique, Artiste Mal Pensant a réussi à se placer en pôle position des dessinateurs complotistes du pays». Son association se tient désormais à disposition de l‘école où le jeune homme étudiait, pour sensibiliser les élèves aux discriminations et aux préjugés.
Aujourd’hui, le dessinateur attend d’être fixé sur son sort. Il n’a pas répondu aux sollicitations du Temps, qui connaît son identité. Le 17 mai dernier, cet étudiant a été suspendu provisoirement par l’École professionnelle des arts contemporains de Saxon (EPAC). Dans la petite structure, le personnel semble dépassé par l’affaire. Coups de téléphone, e-mails, messages sur les réseaux sociaux: la direction de l’établissement a été informée par de multiples canaux des dessins réalisés par son étudiant en dehors de son cursus scolaire. L’alerte a été donnée par le collectif Inglorious Basterds, dont les membres chassent les antisémites en ligne. «Choquée», la directrice et fondatrice de l’école Patrizia Abderhalden se distancie de ces illustrations dont elle désapprouve les messages. Elle ne tolère «ni le racisme, ni l’antisémitisme, ni l’incitation à la haine». Itinéraire d’un jeune homme timide
Dans les milieux judiciaires et policiers valaisans, personne ne semble connaître d’antécédents au jeune homme. Agé de 25 ans, il a échoué à terminer une formation de carrossier peintre avant d’accomplir un service militaire de longue durée. Déjà remarqué pour des caricatures de couples homosexuels durant la campagne pour l’égalité fiscale du mariage, Artiste Mal Pensant est aujourd’hui membre militant de Résistance Helvétique, un mouvement nationaliste qui milite «pour la survie de la Suisse». En janvier dernier, ses membres prenaient la pose devant le pénitencier des îles, à Sion. Ils exhibaient une banderole adressée aux détenus étrangers de la prison: «Foutons-les dehors!».
Sur le web, le dessinateur revendique plusieurs inspirations parmi les figures de la droite nationaliste française. Il relaie les articles du blogueur nationaliste breton Boris Le Lay, en fuite après avoir été condamné à deux ans de prison ferme. Il se réclame aussi du négationniste Vincent Reynouard et de l’essayiste franco-suisse Alain Soral, président de l’association Egalité et Réconciliation. Ce sont les membres de Résistance Helvétique qui lui ont conseillé de diffuser ses dessins sur les réseaux sociaux. En avril dernier, ils invitent le survivaliste Piero San Giorgio à Sion. A Lausanne ils avaient aussi organisé une conférence de l’écrivain Hervé Ryssen, plusieurs fois condamné pour antisémitisme.
Quand il réalise un autoportrait, le caricaturiste se dessine avec un fusil d’assaut Kalachnikov à la main, et une petite croix celtique à la ceinture. Ce symbole est utilisé par plusieurs mouvements français d’extrême droite. Parfois, son avatar réalise une quenelle, un geste «antisystème» pour l’humoriste Dieudonné qui l’a popularisé, et un geste «antisémite» selon la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Plusieurs membres de l’UDC qui le fréquentent décrivent un jeune homme «fragile» ou «timide». Ils relèvent un décalage étonnant entre sa personnalité et les propos qu’il publie en ligne.
L’embarras de l’UDC du Valais Romand
La section des jeunes UDC du Valais Romand a commandé des illustrations à l’étudiant. Représentant un bateau suisse assailli de migrants, l’une d’elles s’intitulait «La barque est pleine». Sur les réseaux sociaux, différentes sections de l’UDC valaisanne ont partagé ses dessins politiques sur l’immigration à plusieurs reprises. En avril dernier, Artiste Mal Pensant se présentait même comme «un membre du comité élargi de l’UDC» dans une vidéo produite par le fasciste autoproclamé Daniel Conversano. Aujourd’hui, le parti se distancie de l’illustrateur, qui n’est pas membre de l’UDC, «le registre faisant foi». Le président Jérôme Desmeules ne se prononce pas sur le passé: «Les données des anciens membres sont systématiquement effacées.»
S’il n’est pas membre de l’UDC, il se classe bien parmi ses sympathisants. En septembre dernier, Artiste Mal Pensant participait avec des élus et des membres du parti à la pose d’affiches électorales durant la campagne aux chambres fédérales. Foire du Valais à Martigny, conférence de l’avocat genevois Marc Bonnant invité par l’UDC à Conthey, assemblée générale du parti dans le Val d’Illiez ou simples repas entre amis: ces derniers mois, plusieurs dizaines de photos montrent
le jeune homme aux côtés d’élus valaisans de l’UDC. A plusieurs reprises, Artiste Mal Pensant pose avec le président et le vice-président de l’UDC du Valais romand Jérôme Desmeules et Jean-Luc Addor. Elu conseiller national en octobre, ce dernier a aussi relayé des publications du mouvement Renaissance Helvétique sur les réseaux sociaux. Contacté par Le Temps, il ne commente pas.
Chargé de la communication dans cette affaire, Jérôme Desmeules reconnaît que l’illustrateur vote sans doute pour l’UDC, et qu’il a des amis au sein du parti: «Nous n’interdisons aucune fréquentation à nos membres.» Il rappelle que les photos où il apparaît aux côtés d’Artiste Mal Pensant ont été prises dans des manifestations publiques, qui n’étaient pas réservées aux seuls membres de l’UDC. Considérant qu’il n’a pas à prendre position ou à s’exprimer sur les dessins d’un artiste «très à droite», le président du parti se distancie de l’illustrateur sur le fond: «Poser avec lui ne signifie pas que j’approuve ses opinions. Ni moi ni l’UDC ne partageons ses thèses antisémites».
source :
https://www.letemps.ch/suisse/2016/05/27/udc-se-desolidarise-un-dessinateur-antisemite