SHOAH: L’inaction des Juifs américains. 1942-1944.
Des « raisons » qu’il faut examiner.
Pendant la Shoah, à l’exception d’une minorité orthodoxe, la communauté juive américaine n’est pas directement intervenue sur le terrain pour tenter de sauver ses coreligionnaires européens. Elle a toutefois dénoncé avec force les massacres nazis. Elle a aussi demandé des mesures de secours, mais elles furent rarement mises en oeuvre.[1]
L’antisémitisme explique-t-il cette situation ? Il est une « partie ignoble, mais bien réelle de l’héritage américain», écrit l’historien Léonard Dinnerstein.[2] L’éditorialiste David Cohn précise : « L’antisémitisme n’est pas encore devenu une menace pour les Etats-Unis. On en est simplement au stade où c’est une tragédie personnelle qui humilie, effraie et remplit d’amertume les individus ».[3]
Parlant de l’admission de réfugiés juifs d’Europe, Dinnerstein écrit : « Des millions de Juifs aux Etats-Unis avaient été assimilés ou étaient en train de l’être, et ils craignaient que l’arrivée de coreligionnaires n’augmentât les sentiments antisémites et la violence dont ils étaient victimes (…) Bien qu’ils n’aient en général pas été victimes d’attaques physiques (…) les Juifs savaient que leurs possibilités étaient limitées et que la plupart des Gentils étaient soit apathiques face à leurs difficultés, soit hostiles ». [4]
Est-ce la crainte d’exacerber cet antisémitisme qui a aussi poussé les Juifs américains à une certaine l’inaction dans le domaine du sauvetage ? Etant donné l’enjeu vital, un engagement militant ne valait-il pas le risque de quelques difficultés supplémentaires qui ne les mettraient pas en péril ? On constate que pendant cette période les communautés juives ont organisé de grandes manifestations à travers les Etats-Unis rassemblant des dizaines de milliers de personnes pour dénoncer les massacres de Juifs d’Europe sans qu’elles engendrent de réactions antisémites.
« Le cadavre d’un peuple est étendu sur les marches de la civilisation. Regardez-le. Et nulle voix ne s’élève pour crier d’arrêter la tuerie, aucun gouvernement ne parle pour ordonner que prenne fin le meurtre de millions d’êtres humains ».[5] Ce sont les derniers mots d’un spectacle baptisé « Nous ne mourrons jamais», présenté par les Sionistes Révisionnistes du Groupe Bergson. Plus de 100 000 Américains y ont assisté. En même temps ce groupe a pris de pleines pages de publicité dans le New York Times. « Pour une campagne massive destinée à sauver les Juifs d’Europe. Nous n’épargnerons aucun effort et ne nous arrêterons pas avant que le public américain soit pleinement informé des faits et qu’il soit conscient de sa responsabilité ».[6]
Ces initiatives juives n’ont entraîné aucune recrudescence de l’antisémitisme. Au contraire, à la suite de ces appels, des milliers de chrétiens ont donné leur appui à l’Emergency Committee to Save the Jewish People of Europe, créé à la mi-1943 dans le but de rallier un maximum de personnes à la cause juive.[7]
Si l’antisémitisme ne semble pas d’un poids important, peut-on mettre en avant un sentiment d’impuissance qui décourage toute intervention ? Des historiens le pensent. Pour l’un « la communauté juive américaine… avait peu de pouvoir (…) Elle n’avait pas d’influence ».[8] Pour un autre «Ce n’était pas tellement qu’ils étaient haïs, mais plutôt qu’ils n’étaient pas assez importants pour que l’on s’en préoccupe ».[9] Alors que penser du commentaire de Lord Edward Halifax, ambassadeur britannique à Washington, lorsqu’il écrit à son ministère le 4 avril 1941 : « La communauté juive ici a une très grande influence dans les cercles gouvernementaux et en dehors, en particulier dans la presse » ?[10]
Les faits donnent raison à l’ambassadeur. A New York, la ville la plus importante des Etats-Unis, 28% de la population est juive, un groupe politiquement dominant. Les plus importants journaux de l’époque, le New York Times, le Post de New York et le Washington Post appartiennent à des Juifs. Sur le front politique la présence politique est sans commune mesure avec l’importance de la communauté dans le pays. Trois conseillers directs du président Roosevelt et deux ministres importants sont juifs. Il en va de même pour deux juges de la Cour suprême et de trois présidents des commissions parlementaires les plus importantes sans compter d’autres Juifs qui occupent des fonctions importantes au gouvernement et dans l’administration.[11]
L’historien Seymour Finger tente d’expliquer l’apathie de ces hommes d’importance. « Lorsqu’ils entraient dans l’arène politique, les Juifs ne le faisaient pas en tant que tels, poursuivant leurs propres intérêts, mais comme des politiciens à part entière assimilés à la culture dominante, ou comme des idéalistes se battant pour les droits de tous les hommes ».[12] L’analyse est trop courte lorsqu’elle concerne un problème qui met en cause la survie même des Juifs d ‘Europe.
Pour de nombreux observateurs, l’inaction des Juifs américains n’est pas due à une peur de l’antisémitisme ou à un sentiment d’impuissance mais à « blocage des consciences ». Face à la catastrophe, la passivité peut-elle s’expliquer par un traumatisme intellectuel qui paralyse, une forme de refus inconscient d’admettre l’horreur absolue, un processus essentiel pour protéger son équilibre mental, défendre son intégrité, en un mot éviter de sombrer ?
Arthur Koestler explique ce phénomène. Les gens peuvent être convaincus, dit-il, pendant un moment de la réalité d’un tel crime, mais alors « leur système d’autodéfense mentale commence à opérer » et en une semaine « l’incrédulité est revenue comme un réflexe temporairement affaibli par un choc ».[13] Le pasteur Visser’t Hooft résume bien l’incertitude et l’angoisse qui règnent. « L’information était sans effet (…) parce qu’intellectuellement trop improbable. (…) Les gens ne pouvaient trouver la place dans leur conscience pour une horreur aussi inimaginable et ils n’avaient pas l’imagination, ni le courage pour y faire face. Il est possible de vivre dans le crépuscule entre ce que l’on sait et ce que l’on ignore. Il est possible de se refuser à réaliser pleinement les faits, parce que l’on se sent incapable de faire face aux implications de ces faits ».[14]
En février 1943, en des termes directs Hayim Greenberg décrit cette attitude. Il se demande comment les Juifs américains ont pu rester sains d’esprit : « Une carapace semble s’être formée au dessus de l’âme des Juifs américains pour les protéger et les défendre contre la douleur et la pitié ».[15]
L’historien Yehuda Bauer avec des termes plus modérés ne dit rien d’autre. Il porte un jugement sévère sur une attitude qu’il estime ambivalente. « Dans leur expression et dans leur action un mélange d’incrédulité, d’espoir que tout ceci ne soit qu’un cauchemar dont les Juifs pourront un jour se réveiller avec soulagement, un désespoir cruel résultant d’une prise de conscience réaliste de ce qui se passait, un désir d’action immédiate, un sentiment terrible d’incapacité d’agir, et même le désir d’échapper à toute responsabilité et de se cacher derrière des mots et des actions sans portée ».[16]
On peut justifier ainsi l’inaction des plus vulnérables psychologiquement. Elle n’explique pas celle des autres, de beaucoup les plus nombreux. Ils sont parfaitement conscients de la catastrophe. Même si la dimension immense de l’Holocauste leur échappe, ils en savent assez pour agir. Les immenses manifestations qui ont ponctué la deuxième partie de l’année 1942 et celle de 1943 en témoignent. Les orateurs dénoncent l’assassinat par les nazis de un puis de deux millions de Juifs européens. Les dizaines de milliers de personnes présentes appellent à l’arrêt des massacres et demandent l’intervention des autorités.[17]
Ces « actions sans résultats », aux conséquences morales sans appel, sont dénoncées publiquement au Sénat par le sénateur William Lange : « 2 millions de Juifs ont déjà été tués en Europe et il y en a encore 5 millions qui vont subir le même sort, à moins qu’on ne les sauve immédiatement. Chaque journée, chaque heure, chaque minute qui passe voit l’extermination de milliers d’entre eux ». Si nous ne faisons rien, nous aurons un jour à assumer « la responsabilité morale d’avoir été de passifs spectateurs ».[18]
Rien n’y fait. Pendant la guerre le pourcentage de sionistes atteint plus de 70% de la population juive américaine. Pour eux la priorité absolue est la création après la guerre d’un Etat juif en Palestine.[19] Quant au sauvetage, il est placé en seconde position. Les sionistes ont suivi la position officielle du gouvernement : « La meilleure façon de le faire (sauver un maximum de Juifs) est de gagner la guerre aussi rapidement que possible ».[20] Une politique qui n’incite pas à intervenir directement sur le terrain. Cette double certitude a dominé la conduite de la majorité des Juifs américains.
[1] Pour chacune des raisons invoquées, on trouvera un ou deux commentaires de personnalités reconnues dans le domaine en question.
[2] DINNERSTEIN Leonard, Anti-Semitism in America, Oxford University Press, 1994, p. XIX.
[3] IBID. p. 143, Saturday Review of Litterature du 27 janvier 1945.
[4] IBID. p. 145.
[5] WYMAN David, L’abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale, Flammarion, Paris, p. 127. Spectacle présenté dans six grandes villes à des dizaines de milliers de personnes.
[6] KUSHNER Tony, The Meaning of Auschwitz : Anglo-American Response to the Hungarian Jewish Tragedy, in CESARINI David, ed. Genocide and Rescue, the Holocaust in Hungary 1944, Berg, Oxford, New-York, 1997, p. 160.
[7]FRIEDMAN Saul, No Haven for the Oppressed: United States Policy towards Jewish Refugees 1938-1945, Detroit, Wayne University Press, Detroit, 1973, p. 146. Dont 33 sénateurs, 109 membres de la Chambre des Représentants, 14 ambassadeurs, 60 maires de villes importantes, 400 rabbins, 800 pasteurs protestants, 500 présidents et professeurs d’université et des centaines d’autres personnalités, dont des membres du cabinet de Roosevelt.
[8] FINGER Seymour Maxwell, direction, American Jewry and the Holocaust : A report by the Research Director, his Staff and Independent Research Scholars Retained by the Director for the American Jewish Commission on the Holocaust, Holmes Meier, New York, 1984, p. 11.
[9] FEINGOLD Henry, Bearing Witness : How American and its Jews Responded to the Holocaust, Syracus University Press, New York, 1995, p. 68.
[10] WASSERSTEIN, Britain and the Jews of Europe, 1939-1945, Clarendon Press, Oxford, 1979, p. 36.
[11] FRIEDMAN, op. cit. p. 12. LOOKSTEIN Haskel, Where We Our Brothers’s Keepers ? The Public Response of American Jews to the Holocaust, 1938-1944, Hartmore House, New York, 1985, p. 30 et 31.
[12] FINGER, op. cit. p. 55.
[13] WYMAN, op. cit. p. 415.
[14] WISSER’T HOOFT W.A., Mémoires, Londres 1973, p. 166, cité par CHELINI, Jean, L’Eglise sous Pie XII. La Tourmente. 1939-1945, Fayard, Paris, 1983, p. 277.
[15] FRIEDMANN, op. cit. p. 144. Editeur de Jewish Frontier dans Yiddisher Kempfer.
[16] BAUER Yehuda, The Holocaust in Historical Perspective, Sheldon Press, Londres, 1978, p. 43.
[17] CHARGUERAUD Marc-André, Silences meurtriers, Les Alliés, les neutres et l’Holocauste, 1940-1945, Labor et Fides, Editions du Cerf, Genève, Paris, 2001. Voir p. 116 et ss.
[18] WYMAN, op. cit. p. 193. Juillet 1943.
[19] Voir l’article sur ce sujet.
[20] IBID, p. 200. Allocution radiodiffusée d’Eleanor Roosevelt en septembre 1943. « Le sauvetage par la victoire. »
Source :
http://la-shoah-revisitee.org/410-linaction-des-juifs-americains-1942-1944/
Tres bon article, merci
Que s’est-il passé, entre l’euphorie de l’été 1941, consécutive aux premiers succès de la Wehrmacht à l’Est, et la fin de l’année ?
Les efforts de Roosevelt pour entraîner les États-Unis dans la guerre ont joué un rôle capital dans l’esprit de Hitler. Car, pour lui, seuls les Juifs sont capables de pousser le chef du capitalisme mondial à prêter assistance à la forteresse assiégée du bolchevisme. Dès lors, Hitler reprend sa « prophétie » de janvier 1939, selon laquelle le déclenchement d’une guerre mondiale ne se traduirait pas par la victoire de la juiverie internationale, mais au contraire par son anéantissement. En décembre 1941, après l’attaque de Pearl Harbor par les Japonais, la guerre mondiale est là : l’extermination des Juifs doit en être la conséquence nécessaire.
Le tableau que dresse Friedländer est d’une noirceur absolue : les Allemands portent une responsabilité collective du meurtre, les massacres se sont souvent déroulés avec la complicité des populations locales, les Églises se sont tues quand elles n’ont pas approuvé, les Conseils juifs ont fait preuve d’une naïveté coupable, les Alliés et les Juifs de Palestine sont restés passifs. En un mot, les Juifs d’Europe sont morts dans un abandon total. ( exception notable des Pays-Bas, où les premières mesures antijuives provoquent la protestation des Églises protestantes et déclenchent des grèves. )
Aux États-Unis ou en Palestine, les Juifs n’ont pas jugé bon de venir en aide à leurs frères européens. Pour le rabbin Wise, tétanisé par la peur de donner des arguments aux antisémites et de déplaire à Roosevelt, seule comptait la victoire de l’Amérique. Dans le cadre du boycott des puissances de l’Axe, cet américanisme inconditionnel a conduit à frapper d’embargo les Juifs affamés dans les territoires contrôlés par l’Allemagne. En 1943, Wise cherchera à empêcher la tenue d’une « conférence d’urgence pour sauver les Juifs d’Europe ». Quant aux dirigeants du Yichouv, obsédés par l’idéal sioniste, ils coopèrent dès 1933 avec les nazis pour faire venir des Juifs en Palestine ; lorsque l’extermination commence, Ben Gourion et la Jewish Agency se résolvent à l’idée que la seule chose à faire désormais, c’est de faire prospérer la terre d’Israël.
* Les Alliés face à la « solution finale »
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2015/04/29/les-allies-face-a-la-solution-finale_4624936_1655027.html#ZmAmHEYWKK8gZT1g.99
https://www.youtube.com/watch?v=w3HqzOClZZ8
un enregistrement audio de we will never die
poignant
Disons que s’il n y’ avait pas eu Pearl Harbor et un intérêt des frères Anglais, les Américains ne seraient pas intervenus !.Je suppose qu’à l’époque comme ce jour, il y’a le petit ne pouvant rien faire, le moyen commençant à mieux vivre et le gros veillant aux grains et ne cherchant pas à faire des vagues , ainsi est faites la vie y compris pour les Juifs lesquels ont de fait tout autant que d’autres populations laissé mourir autant de Juifs Européens . Ce jour se serait encore plus pire, fuir une attaque de trous de culs , ne pas intervenir, ne pas aider une personne en difficulté …votre propre famille te signifiant de ne pas intervenir..sans parler des risques d’aller en tôle par cette bande de politiques et juges respectant seulement les droits des cons à vous trucider …. bref, ce jour les dénonciations seraient plus importantes, l’église bien assise laissant les siens se faire massacrer, plus encore pactisant avec le concurrent ..plus personne ne pouvant prédire le futur proche , qui est ce jour notre ennemi ?…d’où va venir la merdouille ( à part l’éternelle merdouille musulmane )…si le juif d’antan n’a pu intervenir , ce jour il a un ÉTAT, UN PAYS , UN PEUPLE pour le faire, c’est la seule différence avec cette époque néfaste !. Et je préviens l’Europe telle qu’elle se présente ce jour, qu’il faut une Europe des Nations Indépendantes et non pas une seule Nation Européenne, car seule l’entité d’origine permet le regroupent d’un PEUPLE, ce sont les alliances lesquelles ont permis de gagner les batailles , ce sera aux Peuples unis de décider pour éviter qu’on se rendre connement dedans … et de protéger sa terre , son sol ..pas de le laisser envahir et de plus sans réagir …comme la France et l’Europe pratique ce jour …. ne vous inquiétez pas Amis Juifs à cette allure vous ne serez pas seuls à ne plus savoir ou mettre vos pénates !!!.
Je suis aval31, un bombardement et une destruction des chambres à gaz était possible avec une demie douzaines de bombardiers Mosquitos depuis l’Ukraine dès fin 43.
1) la radio allemande à Berlin avait été détruite depuis Londres en plein discours de Goering (sur inviolabilité du ciel allemand) par ces même petits bombardiers rapides (plus médiatisé en France, il y eu aussi la prison d’Amiens),
2) des centaines de bombardiers géants anglo américains ont bombardé l’Allemagne avec bombes et équipages US depuis l’URSS dans le plus grand secret durant la guerre. 6 petits bomardiers Mosquitos n’était pas un problème.
voilà c’était possible mais personne ne voulait des juifs …même pas les juifs.
Rien n’a changé mise à part Israël sans lequel plus aucun juif n’est juif.
Les sionistes ont agit et c’est normal qu’ils aie été en colère après ceux qui n’ont pas compris qu’il leur fallait un pays.
De la même manière que l’on peut être en colère contre ces religieux ou juifs de gauche à notre époque qui se replient sur des rêves décadent « new age » plutôt que de rester dans l’histoire.
en 2017 , les Juifs regardent encore l’antisémitisme de leur fenetre et ne bougent pas !alors…………
comme quoi l’histoire se répète !
pas tous les Juifs , heureusement
mais j’espère que leur conscience sera perturbée jusqu’à la fin de leurs jours !