Référence à Eichmann : Jean-Luc Mélenchon peut-il être condamné pour injure ?

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Ce mardi, le leader de LFI était convoqué par la police pour avoir comparé le président de l’université de Lille au logisticien de la « solution finale ».
Par Nicolas Bastuck
La semaine dernière, il a fait condamner pour « injure publique » le réalisateur et ancien policier Olivier Marchal, lequel l’avait (notamment) traité de « connard », sur un plateau de télévision. Cette fois, Jean-Luc Mélenchon se retrouve de l’autre côté de la barre, dans la position moins confortable de l’accusé. Le leader de La France insoumise (LFI) devait répondre, ce mardi 24 septembre, à une convocation de police après ses propos tenus le 18 avril dernier à Lille, en pleine campagne des élections européennes.
Furieux d’avoir été interdit d’accès à l’université où il devait animer une conférence sur la Palestine – son président, Régis Bordet, et le préfet du Nord avaient invoqué un risque grave de troubles à l’ordre public –, le « lider maximo » de la gauche française s’était époumoné au cours d’un meeting improvisé dans la rue : « “Moi, je n’ai rien fait”, disait Eichmann. “Je n’ai fait qu’obéir à la loi telle qu’elle était dans mon pays.” Alors, ils disent qu’ils obéissent à la loi et ils mettent en œuvre des mesures immorales qui ne sont justifiées par rien ni personne », avait dénoncé Mélenchon.
Indignation de la classe politique
Cette comparaison hasardeuse, entre un président d’université et le « logisticien » de la « solution finale » (condamné à mort en 1961 et exécuté un an plus tard en Israël pour crime contre l’Humanité et contre le peuple juif), avait indigné la classe politique, jusque dans les rangs de la gauche. « Ce qu’a dit Jean-Luc Mélenchon est indéfendable », avait réagi le communiste Fabien Roussel, dénonçant des « propos excessifs qui discréditent tout le reste ».
« Traiter un agent public de nazi est une injure publique », avait réagi la ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque, Sylvie Retailleau, en annonçant le 28 avril vouloir déposer plainte contre le leader d’extrême gauche. Cette plainte vaut aujourd’hui à Jean-Luc Mélenchon d’être convoqué par un service de police, à qui l’enquête a été confiée.
C’est lui-même qui, dans un tweet publié dimanche 22 septembre sur son compte X, en a fait l’annonce. Non sans aigreur : « Mardi 24 septembre, je dois aller répondre à une plainte pour injure lancée par une ministre de Macron à propos de ma réaction à une conférence interdite à Lille. Vendredi, une avocate marseillaise se proclame “sioniste” et menace de mort par explosion de portables deux députés à la terrasse d’un restaurant ! Quel procureur va réagir ? » Allusion à l’interpellation de deux députés LFI, Manuel Bompard et Sébastien Delogu, à qui une passante avait lancé, le 18 septembre à Marseille, après l’attaque lancée par Israël contre le Hezbollah : « Ah, la belle équipe ! Vous allez bien messieurs, dames ? […] Vos bipeurs n’ont pas sonné ? »

Quelles limites à la liberté d’expression ?
Traiter une personne de « nazi » relève bien de l’injure publique, a déjà eu l’occasion de trancher la justice française. En 2019, le publicitaire Jacques Séguéla, qui avait qualifié dans un débat télévisé Jean-Marie Le Pen de « nazi », a été condamné au civil, et en deuxième instance, à 4 000 euros de dommages et intérêts. La cour d’appel de Paris a estimé que le propos « ne pouvait s’analyser en une simple opinion sur le positionnement idéologique d’un personnage public, notamment en raison de l’outrance de [ce] terme particulièrement outrageant ». Cet arrêt infirmait le jugement rendu an plus tôt dans la même affaire par le tribunal correctionnel de Paris, lequel avait relaxé Séguéla, ne voyant dans le terme « nazi » qu’« un raccourci verbal employé par un publicitaire qui a l’habitude des formules chocs ». Jean-Marie Le Pen avait fait appel.
Jean-Luc Mélenchon n’a pas qualifié le président de l’université de Lille de « nazi » mais l’a comparé, par un rapprochement douteux, au SS Adolf Eichmann, qui s’était défendu en indiquant n’avoir fait qu’obéir aux ordres. « Une comparaison, une métaphore, dès lors qu’elles sont outrancières et qu’elles dépassent les limites de la liberté d’expression, sont constitutives d’une injure », relève l’avocat Renaud Le Gunehec, spécialiste du droit de la presse. Ce que réfute Me Mathieu Davy, avocat de Jean-Luc Mélenchon : « Il n’y aura aucune poursuite du parquet dans cette affaire [car] il n’y a aucune appréhension de la loi pénale sur ce sujet. »

Quelques recherches permettent de démentir cette affirmation. Pour avoir dressé, dans un article, un parallèle entre la défense du juge Fabrice Burgaud devant la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale sur Outreau, et celle présentée par Adolf Eichmann – encore lui – lors de son procès à Jérusalem, un journaliste de Libération fut condamné en 2007 à 8 000 euros d’amende pour « injure publique », décision confirmée en appel le 25 juin 2008, à Versailles. Le journaliste s’était justifié en expliquant que « seule la question de l’obéissance l’intéressait ». Mais le tribunal n’avait pas eu la même lecture. « Eichmann [dont le nom était cité à sept reprises dans l’article incriminé, NLDR] est la norme comparative unique de l’auteur », relevait son jugement. « La répétition de l’outrage, son exacerbation, le systématisme de la référence à Adolf Eichmann, sous couvert de l’expression d’un point de vue personnel, sont constitutives du délit d’injure publique », avaient tranché les juges.
La loi de Goldwin, selon laquelle « plus une discussion se prolonge, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de un », semble se vérifier en droit de la presse ! En 2021, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné pour injure (3 000 euros d’amende) un militant – de même que le journal qui avait rapporté ses propos – ayant comparé un candidat de la liste conduite en Paca par Marion Maréchal, aux élections régionales de 2015, à « [un] mec à la droite de Goering et de Goebbels ».
En 2011, la Cour de cassation a jugé que relèvent de l’injure – et non de la diffamation – les propos tenus par un opposant au maire de Donzère (Drôme), l’ancien ministre sarkoziste Éric Besson, qu’il accusait de s’être « servi des Donzérois et des Donzéroises comme Hitler s’était servi du peuple allemand pour accéder au pouvoir ».
Source
Le Point

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1 Comment

  1. joseparis dit :

    Olivier Marchal a raison, je ne comprends qu’il ait été condamné.

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