Quand Rima Hassan a la mémoire courte

L’ÉDITO DE PEGGY SASTRE. Selon l’eurodéputée Insoumise, les Palestiniens ne sont pas antisémites. C’est ce qu’elle a affirmé en territoire conquis, fin 2023, lors d’une conférence à Tunis.
Par Peggy Sastre
Pour savoir ce que les gens pensent réellement, il faut – paraît-il – les écouter parler en terrain conquis. Les fameux prêches aux convaincus. Quand leurs propos ne rencontrent aucune contradiction, ni même aucune question, aucune demande d’éclaircissement.
Dans le cas de Rima Hassan, le contexte était particulièrement favorable le 10 novembre 2023 à Tunis, lors de la conférence intitulée « Peut-on encore défendre les Palestiniens en France ? » Organisé par la Fondation Kamel Lazaar – par ailleurs financeur d’une partie des activités de la nouvelle députée européenne LFI –, l’événement rassemblait celle qui n’était alors que juriste et fondatrice du fantomatique « Observatoire des camps de réfugiés », le député LFI David Guiraud et Taha Bouhafs, journaliste d’extrême gauche franco-algérien à qui l’on doit la révélation de l’affaire Benalla en 2018, mais aussi la popularité, la même année, de la fausse rumeur de l’étudiant gravement blessé et même mort lors de l’évacuation par les CRS du blocus de Tolbiac, à Paris. C’est une autre leçon de la vie : on n’a rien sans rien.

Une Pythie
En terrain conquis, donc. Durant près de deux heures et demie, les trois compères purent déverser l’eau vive de leurs pensées sans se cogner au moindre petit barrage, sans se voir ralentis par le moindre obstacle à l’écoulement. Dans les interventions d’Hassan, il y eut ce fil directeur : la mémoire, la préservation et la transmission de la mémoire du peuple palestinien, dont elle se targue d’être l’héritière et la messagère. À une autre époque, on aurait dit la Pythie.
Dès sa première prise de parole, Hassan allait ainsi se placer non pas du côté de l’analyse, bien trop froide et dépassionnée pour celle qui vit, dort, mange et respire sa cause, mais de l’empathie totale. Si la question palestinienne, « mère de toutes les batailles » dans le monde arabe, est aussi « structurante », c’est parce que « quand un Palestinien est persécuté, vous êtes persécuté ; quand un Palestinien est tué, vous êtes tué ; quand un Palestinien ou une Palestinienne est humilié, vous êtes humilié ». Un sujet, avertira-t-elle, nécessitant d’être « carré », au risque de ne l’être sur rien du tout. Le décor fut planté.

Puis, quasiment une heure plus tard, une autre mémoire fut abordée, celle de la persécution juive. Et Rima Hassan, une nouvelle fois, de poser les bases. Pour les Palestiniens, Israël est un pays normal et les Israéliens, un peuple normal, dit-elle. Se plaçant sous l’autorité d’Henry Laurens, historien et professeur au Collège de France qui, quelques jours auparavant, expliquait dans L’Humanité que les Palestiniens ne sont pas « spontanément antisémites », qu’ils « subissent l’occupation et la colonisation » et que « s’ils avaient été colonisés par les Esquimaux, ils seraient anti-Esquimaux », Hassan évacua ses croyances à grand jet.
Ce que ne comprend pas l’Occident, c’est que dans cette région-là, on n’a pas ce passif, on n’a pas cette mémoire de la Shoah. Et ce qui est terrible pour nous, Palestiniens, c’est qu’on se retrouve à traiter une question fondamentale, qui est celle de l’antisémitisme, mais sans avoir contribué à cet antisémitisme.Rima Hassan
« Ce que ne comprend pas l’Occident, c’est que dans cette région-là on n’a pas ce passif, on n’a pas cette mémoire de la Shoah.[…] Et ce qui est terrible pour nous, Palestiniens, c’est qu’on se retrouve à traiter une question fondamentale, qui est celle de l’antisémitisme, mais sans avoir contribué à cet antisémitisme. Sans avoir participé à cet antisémitisme. Et, ce qui est assez fou, c’est qu’on se retrouve aujourd’hui, nous, Palestiniens, [à devoir] se justifier de ne pas être antisémites, alors que nous, ce qu’on dit c’est qu’on est victimes d’une colonisation et d’une occupation. Ce n’est pas notre sujet, en fait ! »
Du mythe du bon sauvage
Soit l’essence de la pensée décoloniale comme recyclage du mythe du bon sauvage qui, s’il peut commettre le mal et en jouir – comme l’ont démontré les propres images fixatrices de mémoire tournées et diffusées par les militants du Hamas et leurs compagnons de carnage le 7 octobre 2023 – ne le fait que de manière secondaire. Le mal, toujours lui, a été importé contre son gré, il est venu des mers comme un pathogène qui lui était jusque-là inconnu et auquel son système immunitaire a réagi comme il a pu. Qu’importe, on le sait, la vérité des faits, que l’histoire de la persécution juive dans le monde arabo-musulman soit au moins aussi vieille que la colonisation arabo-musulmane du Maghreb et du Proche-Orient. Exemple parmi tant d’autres : les massacres de juifs sous le califat des Almohades dans ce qui deviendra le Maroc, la Libye et l’Algérie, au XIIe siècle. Seule compte la force du récit et, en définitive, l’invention d’une mémoire commodément trop courte.
Source
Le Point