Pourquoi on n’ose pas parler d’extrême droite « arabe » ?

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CHRONIQUE. La crise migratoire en Afrique engendre au Maghreb une poussée de populismes teintés de xénophobie. Dans l’opinion comme dans les cercles de pouvoir.
Par Kamel Daoud
Janvier 2023, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, se rend à Alger. La dame est reçue dans le faste, avec le sourire et les bras ouverts par Alger. La complicité semble évidente et l’avenir gai pour la coopération chantée. Et si, des mois plus tard, les projets italiens butant sur l’effet rempart de la bureaucratie et de la réalité algérienne, ce moment reste pour ce qu’il fut : une révélation. L’illustration d’un grand virage idéologique algérien : voilà que l’extrême droite, ennemie jurée et classique des « décolonisés » devenue rentiers de la mémoire, est reçue comme une parente, sinon une partenaire du prestige nouveau. Mais que s’est-il passé pour que ces familles honnies autrefois par les gauches autochtones s’en retrouvent acclamées comme des alliées ? Car, entre autres pays « arabes », ce n’est pas uniquement d’Alger qu’il s’agit, mais encore de la Tunisie. Dans ce petit pays qui réinventa « printemps » et « hiver » arabes, l’extrême droite n’est d’ailleurs plus ce que l’on accueille, mais ce que l’on pratique. Montée du racisme anti-africain, anti-noir, chasse à l’homme, pogrom et reconduction, mais aussi discours officiel suprémaciste et complotiste : le mal, c’est le « Noir », ses invasions démographiques, ses migrants et ses maladies. Même l’extrême droite européenne semble adoucir son champ lexical en la matière, là où les Maghrébins ne s’embarrassent plus de nuances et de masques en tissu « blancs ».
Que s’est-il passé ?
Populisme, racisme confessionnel, désastre économique, repli sur soi… après l’enthousiasme des révoltes, tout se mêle : misère culturelle, autoconfinement identitaire, islamisme. C’est ce qui se fait se poser une question taboue à un journaliste algérien arabophone, Nacer Djabi, dans un journal arabe londonien, début septembre : « Sommes-nous gouvernés par l’extrême droite au Maghreb ? » Sa réponse est « oui », presque, si on dresse le tableau clinique des signes de cette tendance au Maghreb. Voilà, résume-t-il, que l’Algérie salue Meloni, espère la chute du socialiste Sanchez en Espagne et soutient la droite espagnole (contrairement à la tradition des décolonisés) après les choix de ce pays sur le litige du Sahara occidental avec le Maroc, se rapproche de la Russie néotsariste et suprémaciste de Poutine et des logiques d’empire racial d’Erdogan sous couvert d’islam.
Que reste-t-il de la tradition née de la décolonisation ? Du non-alignement ? De l’appui aux gauches universelles des années 1970 ? Que subsiste-t-il de la Mecque des révolutionnaires de cette même époque ? Rien, ou que des souvenirs de vétérans, qu’ils soient ceux de la guerre sublimée contre la France, ou ceux d’intellectuels déçus par le passage du temps et la mort de Lénine. En fin de compte, la bipolarisation apparaît presque illusoire entre régimes nationalistes militaires et islamistes reconvertis à l’entrisme après le terrorisme. Le culte des ancêtres, la primauté du récit de décolonisation sur les pragmatismes avantageux et stratégiques, les échecs en économie comme en formations d’élites et de leadership, le roman suprémaciste religieux ou de décolonisation, le conservatisme ambiant et la paranoïa identitaire se conjuguent. Ils se complètent, ils se tiennent la main. Et le dernier épisode de chasse aux binationaux algériens, exclus de toute possible participation à la vie de leur pays d’origine au nom de la pureté identitaire, ne fait que confirmer la prise de pouvoir culturelle de l’extrême droite en Algérie.
« Marine Le Pen ? Elle sera accueillie avec honneur si un jour elle ose le voyage algérois », me jure un ancien diplomate français, spécialiste de la « zone », et ce n’est pas un scénario imaginaire. La raison ? La dame correspondra, parfaitement, à la loi du vis-à-vis qu’affectionne désormais cette culture de l’extrême au Maghreb. Oui, l’extrême droite gouverne au Maghreb. On aura beau vouloir réserver ce « délit » politique à l’Europe pour y culpabiliser les positions ou y lutter sincèrement contre la radicalité et le basculement, c’est aussi vers le Maghreb qu’il faut se tourner, exercer le regard de l’« indigné ». Ce n’est plus un tabou, de l’impensable, mais une réalité : l’extrême droite au Maghreb existe, se pratique, parfois par la loi, parfois par l’opinion. Dans la « rue », dans les palais. Au Maghreb, on chasse l’étranger, on fabule le risque de contagion sanitaire ou d’invasion, on se replie, en chantant les ancêtres et leurs cendres, et on oppose la pensée magique populiste aux réalités complexes. Il ne manquait à l’occasion que des « Noirs » ligotés ou jetés par-dessus les frontières, la Tunisie de Kaïs Saïed l’a fait.
Source
https://www.lepoint.fr/…/pourquoi-on-n-ose-pas-parler-d…

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2 Commentaires

  1. joseparis dit :

    De toute façon le racisme est la boussole des arabes depuis les débuts de l’islam. Les conversions forcées et les razzias en Afrique noire ont duré jusqu’au milieu du 19ème siècle. Les noirs étaient considérés comme des sous hommes. Ils ont subi des traitements inhumains, castration pour les hommes, viol pour les femmes, etc… Lisez le livre de M. Tidiane Ndiaye https://www.amazon.fr/g%C3%A9nocide-voil%C3%A9-Enqu%C3%AAte-historique/dp/207271849X vous serez horrifiés. N’oublions pas que Mme Taubira l’ancienne ministre de la justice a occulté volontairement la traite arabo-musulmane: https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/la-traite-arabo-musulmane-est-volontairement-occultee-dans-les-memoires-de-l-esclavage-20210511

  2. Paul06 dit :

    Effectivement, le commerce d’esclaves dans le monde musulman est oublié, masqué, tu… alors qu’il se poursuit actuellement en Mauritanie, Arabie saoudite, Qatar…

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