« Pas en mon nom » : ces raisons pour lesquelles les musulmans français sont plus timides que d’autres dans leur condamnation du terrorisme islamiste
Le hashtag #NotInMyName a été créé en 2014 par de jeunes britanniques de confession musulmane pour se désolidariser de l’islam radical et condamner les attentats terroristes commis en son nom. Force est de constater qu’il n’a pas percé en France.
Avec Barbara Lefebvre
Atlantico.fr : Pourquoi selon vous la condamnation de l’islam radical par des musulmans est assez rare, ou en tout cas assez peu audible en France, alors que le #NotInMyName a connu, lui, en Grande-Bretagne une forte popularité ?
Barbara Lefebvre : Tout d’abord, en Grande-Bretagne, les religions s’organisent dans le cadre d’un système libéral communautariste. Les communautés religieuses y ont l’habitude d’être très expressives politiquement dans l’espace public pour le meilleur et pour le pire. La prise de parole politico-religieuse de représentants communautaires fait partie du débat public britannique et cela ne gêne pas grand monde. La France a une autre histoire, c’est un Etat centralisateur qui a toujours organisé les religions, comme en témoigne le gallicanisme monarchique. Il faut rappeler que le roi de France avait prééminence sur les évêques nommés par Rome, l’Eglise de France n’était pas assujettie au pouvoir politique du Vatican. Ces deux nations ont donc un débat public structuré de manière très différente, et où les religions interviennent différemment. En France, l’Etat laïc régule l’expression religieuse au sein du débat politique, des représentants institutionnels légitimés par la puissance publique peuvent s’exprimer au nom de la communauté qu’ils représentent. Or, à la différence des fois chrétiennes et juive en France, l’islam n’a pas été capable de se structurer pour désigner des représentants légitimes. Cette pratique religieuse est diverse et éclatée en plusieurs courants. Certains se réclament du salafisme, d’autres du roi du Maroc, d’autres des confréries mourides ou des islamistes turcs. La diversité des identités nationales conjuguées à l’Islam doit également être prise en compte. Dès lors qu’on connaît cette diversité, on comprend qu’aucune parole unifiée ne peut être audible en France.
Vous évoquez donc à la fois la diversité des voix de l’Islam et le fait que l’assimilation est contraire à l’expression au nom des musulmans. Est-ce que c’est selon vous les seules explications ? Quand certaines associations s’expriment sur le sujet, comment le font-elles ?
Barbara Lefebvre : Avant tout, il est important de savoir qui se cache derrière les associations musulmanes opérant sur le terrain. Certaines personnes issues de la société civile sont véritablement entre les mains des Frères musulmans. En France, les Frères musulmans ont structuré et financé le développement du salafisme. Les pouvoirs publics les ont aidés, certains cadres des Frères musulmans ont reçu la légion d’honneur ou se sont vus accordés des titres ronflants alors que leurs discours jusqu’à l’attaque de Charlie Hebdo étaient virulents, laissant entendre que la France et ses lois laïques était raciste. En 2007 ils avaient acté en justice contre Charlie Hebdo ! Leur stratégie a changé après 2015 mais pas leur fond idéologique. La dissimulation est un outil opératoire central chez les Frères habitués à la clandestinité dans nombre de pays musulmans comme l’Egypte. Ils ont modifié leur stratégie en se faisant passer désormais pour des « modérés » attachés à l’idéal républicain car ils ont compris qu’en France il faut être inséré dans les institutions en qualité de représentants religieux pour exprimer sa parole dans le champ politique.
L’histoire de la décolonisation est évoquée comme une explication de cette divergence entre Britanniques et Français ? Qu’en pensez-vous ?
Barbara Lefebvre : C’est une forme de victimisation habituelle des décoloniaux et des indigénistes en France. Les Britanniques ont également colonisé des pays musulmans ! Mais l’islam n’est pas confronté au même système en Grande-Bretagne et en France. L’islam est une religion qui peut accepter les règles du jeu de la vie en minorité si l’Etat « impie » lui accorde la possibilité de maintenir un contrôle social puissant sur la communauté musulmane (sur les femmes, les enfants, le hallal, les fêtes religieuses etc.) ; cela fonctionne ainsi en Angleterre ; le séparatisme du Londonistan en fut la démonstration. En France, c’est différent : les chefs religieux sont obligés de se conformer à l’Etat laïc. Le droit commun s’impose, l’émancipation individuelle est au cœur de l’idéal républicain, ainsi le contrôle social sur les musulmans de France est plus difficile ; seuls les salafistes et les Frères musulmans ont réussi avec patience à maintenir ce contrôle par un travail de terrain assidu depuis 30 ans !
La question n’est pas donc pas la colonisation mais la manière dont nos systèmes politiques se sont constitués dans leur rapport au religieux depuis des siècles. L’islam s’y adapte plus ou moins bien en tant que minorité. Le communautarisme anglosaxon qui permet une forme de ségrégation volontaire convient mieux à l’islam traditionnel. La France n’a pas été plus violente envers l’islam durant la colonisation que les colons britanniques. La Grande-Bretagne a d’ailleurs aussi subi des attentats islamistes sur son territoire. L’islamisme est un totalitarisme internationaliste, le rappel mémoriel colonial est un artifice pour justifier l’esprit de vengeance. En France, les tentatives d’institutionnalisation de l’islam n’ont pas fonctionné ; au fond la plupart de ses leaders acceptent mal de renoncer à une quelconque emprise sociale, on le voit bien sur la question de l’apostasie ou du blasphème, sans parler du voilement des femmes. Il y a un refus du modèle républicain français qui persiste.
Est-ce que des figures comme Zohra Bitan ou Zineb El Rhazoui peuvent influencer la communauté musulmane ?
Barbara Lefebvre : Ces femmes sont considérées comme des apostats par les représentants religieux car elles ne cachent pas qu’elles sont dans un rapport culturel à l’islam voire qu’elles sont athées. Cela explique aussi la haine que leur voue les islamistes qui les menacent continuellement.
Il existe des figures musulmanes qui luttent contre l’islamisme. Certains lanceurs d’alerte comme Mohamed Louizi appellent à lutter contre l’islamisme. Cela fait longtemps qu’il parle des problèmes que posent des associations comme la Qatar Charity, qu’il épluche les documents produits par la frérosphère en Occident comme dans le Golfe. Il a du subir une dizaine de procès qu’il a tous gagnés en diffamation face à des associations régies par les Frères musulmans. Des personnes courageuses comme Mohamed Louizi ne sont hélas pas légion.