«On a peur pour nos vies» : l’angoisse et la colère sourde de la communauté juive après le viol d’une jeune fille à Courbevoie

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Par Maxime Dubernet de Boscq et Judith Waintraub
Quatre jours après les faits à connotation antisémite, plus d’un millier de manifestants se sont réunis mercredi soir, entre dépit et sentiment d’inévitable depuis le 7 octobre.
Les visages fermés se sont mêlés aux accolades pleines de pudeur, les tapes affectueuses ont succédé aux retrouvailles chaleureuses. Certains se connaissaient, d’autres pas, mais tous se sont salués poliment. Plus d’un millier de manifestants étaient réunis mercredi 19 juin au soir sur le parvis de l’hôtel de Ville de Paris avec le même objectif œcuménique : soutenir la jeune adolescente de 12 ans victime d’un viol antijuifs à Courbevoie (Hauts-de-Seine) par trois garçons de 12 et 13 ans.
Les faits, d’une violence sordide, ont placé la communauté juive dans un grand émoi. Le collectif Nous Vivrons, né au lendemain de l’attaque sanglante du Hamas du 7 octobre dans le sud d’Israël, avait appelé à cette manifestation. «Violée a 12 ans parce que juive», «Ne sacrifiez pas les Français juifs» ou «Faisons front contre l’antisémitisme», pouvait-on lire sur les différentes pancartes des manifestants. Les actes antisémites ont flambé en France au premier trimestre 2024, selon des chiffres du gouvernement, qui a fait état de «366 faits antisémites» recensés entre janvier et mars, en hausse de 300% par rapport aux trois premiers mois de l’année 2023.
«S’en prendre à un juif, c’est s’en prendre à la République et à la France»
Pendant plus d’une grosse demi-heure, les différents élus ou membres d’organisations se sont succédé sur la petite estrade montée par le collectif. À l’applaudimètre, l’imam Hassen Chalghoumi, président de la Conférence des imams de France, a été l’un des plus appréciés. Vindicatif envers des «politiques responsables de la haine» et la «société malade, très malade», il a été suivi par Yonathan Arfi, le président du CRIF. «Nous devons lutter contre ce climat d’antisémitisme nourri par la France Insoumise», a-t-il martelé, avant de lancer un message plus neutre. «Nous devons tout faire pour lutter contre les deux extrêmes, sans compromission.»
Les différents élus présents ont tenu un discours moins ouvertement ciblé contre le parti d’extrême gauche, et les membres du gouvernement ont été plus chahutés, comme le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti qui, sous les sifflets, a précisé avoir «une pensée émue» pour la victime. «S’en prendre à un juif, c’est s’en prendre à la République et à la France», a-t-il exposé alors que quelques manifestants ont tenté de l’interrompre à coup de “Protège nos enfants”.

Dans la foulée, l’ancien ministre des Transport Clément Beaune a lui estimé que la «lutte contre l’antisémitisme devait réunir tout le monde». «Ça doit être clair tous les jours, sans la moindre ambiguïté», a-t-il poursuivi. «Nous ne devons jamais rester indifférents, a estimé Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation. Tous les Français doivent être sans complaisance avec ceux qui ont été complaisants. On ne doit pas s’adapter à l’inacceptable.»
Autre personnalité présente, l’écologiste Sandrine Rousseau a été interpellée par une manifestante qui a rappelé que l’élue avait «toujours été très claire sur le 7 octobre». «Mais comment pouvez-vous être avec les gens de LFI et comment pouvez-vous être avec des antisémites?», a demandé cette femme. «C’est très dur», lui a répondu l’ex-députée de Paris. Alors que la place s’était vidée de toutes personnalités, la ministre de l’Éducation Nicole Belloubet est venue saluer les derniers manifestants. «J’étais absolument horrifiée ce matin en apprenant cette nouvelle, a-t-elle réagi auprès du Figaro. Mais j’ai bien entendu les demandes des personnes présentes.»
«J’ai dû m’éloigner de certains cercles d’amis»
Ces prises de paroles courtes et rythmées ont été entrecoupées par les cris indélicats de quelques éléments perturbateurs, qui ont fini par provoquer l’ire de manifestants voisins. Et quelques confrontations verbales ont logiquement éclaté, sans débordements. Après avoir quitté sa place pour ne pas envenimer la situation, Alexandra, teint hâlé et regard doux, a posé un regard inquiet sur le manque de mobilisation dans tout le pays. «On devrait être des millions, a-t-elle regretté, aux côtés de sa fille. Que l’on soit bouddhiste, musulman, catholique ou juif, on ne devrait pas être attaqué pour sa religion.» Plus loin, Mathilda s’est montrée déçue mais pas surprise du petit millier de manifestants. «C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de monde parce que je pensais que ça aurait été l’occasion de marquer le coup. Mais je suis peut-être une bisounours.»
Le rassemblement a également été marqué par l’absence des associations féministes. Juliette, appareil photo accroché autour du cou, a bien connu ces mouvances puisqu’elle a longuement manifesté avec elles. Seulement, lorsque le collectif «7 octobre» a dénoncé le manque de cohérence des féministes du collectif Nous Toutes féministes au cours d’un rassemblement contre les violences faites aux femmes le 25 novembre, à propos des violences sexuelles commises par les terroristes du Hamas sur des Israéliennes, elle a «compris qu’une fracture était irrémédiable».

«On voulait dénoncer les crimes commis par le Hamas, rappelle-t-elle. C’était une manifestation féministe et on était entourées par des hommes cagoulés. D’habitude, j’y allais en tant que femme mais ce jour-là, je me suis senti comme une femme juive. C’était du racisme de la part de personnes antiracistes! Depuis, j’ai dû m’éloigner de certains cercles, des amis très à gauche. Je ne comprends pas pourquoi elles ne crient avec nous. Pourquoi défend-on tous les actes de féminicide ou de violences et pas celui-là? En tant que femme juive, on est probablement les plus en danger à l’heure actuelle.»
«J’ai perdu au moins 50% de mon entourage non juif»
Rebecca, Estelle et Nicole, étudiantes de 21 ans, confirment ces dires. Pancarte engagée à la main, mais avec des mines déconfites, ces trois jeunes femmes ont été particulièrement touchées. «Je viens de Courbevoie, souligne commence Estelle, brune élancée. Je faisais de la poterie dans le jardin où le drame s’est déroulé. Ça me touche particulièrement, mais j’ai l’impression que personne n’en parle.»

Les universitaires racontent avoir subi des actes antisémites depuis le 7 octobre, entre «tags à caractère nazis à l’université», «remarques dans la rue» ou «menaces physiques». «Des personnes font du repérage pour nous piéger, glisse Rebecca. On a peur pour nos vies. Certains disent qu’on se victimise, mais on vit un enfer au quotidien depuis le 7 octobre.»
«C’est même un cauchemar, surenchérit immédiatement Estelle. Deux de ses proches acquiescent. J’ai perdu au moins 50% de mon entourage non juif depuis le début de la guerre. Des potes sont sous antidépresseurs. Je réfléchis à partir même si j’ai été éduquée à aimer la France depuis tout petit. Mais il y a une forme de désespoir depuis quelque temps.» Rebbeca reprend : «Regardez, pourquoi est-ce qu’il y a autant de monde pour les manifs pro palestinienne, alors que nous avons une gamine française de 12 ans qui se fait violer et il y a personne. Où sont tous ces gens?», s’insurge-t-elle en balayant la foule du bras.
«Notre pays tourne très mal»
La question politique a également été centrale, au-delà des allusions voilées des élus. Les «Mélenchon en prison» réguliers de la foule et autres slogans hostiles au Nouveau Front populaire ont émaillé le début de soirée. «J’ai failli voter pour lui, il y a quelques années, sourit jaune Estelle, en levant les sourcils. Le Rassemblement National est le seul parti à être conscient de la menace islamiste. Pour des personnes de mon entourage, c’est un nouveau parti qui ne représente plus le parti raciste qu’était le Front national.»
Victime d’actes antisémitismes dans sa jeunesse, Fabienne fait la moue. Biberonnée au multiculturalisme, cette sexagénaire a été élevée dans la tradition catholique, et préfère ne pas se définir comme juive mais plutôt comme «française ou européenne». Ses petits-enfants sont musulmans. «La République française quoi, sourit-elle, légèrement en retrait de la foule. Notre pays tourne très mal et nous avons un devoir : barrer la route au Rassemblement national. Personne ne doit oublier le passé de ce parti et sa vraie nature.»
Plus loin, Hugo, 45 ans, discute avec ses amis. Lui a basculé de «l’extrême gauche» au «centre». Ses interlocuteurs ont glissé des bulletins Reconquête! aux dernières élections européennes «en ayant honte». Mais cet homme avenant assure qu’il ne «votera pas RN» le 30 juin. «Je garde ma boussole et je reste au centre, lance-t-il dans une longue tirade. L’antisémitisme m’a fait changer de bord. Plusieurs évènements ces dernières années, dont les tueries de Mohammed Merah , m’ont fait basculer petit à petit.»
Celui qui se qualifie comme «laïc», «républicain» et «à moitié juif» l’assure : il aimerait «s’en foutre un peu plus», mais «a l’impression qu’on (le) ramène tout le temps à sa condition de juif». Son regard se perd dans la foule. Une heure seulement est passée depuis le début de la manifestation, et le rassemblement s’est déjà dispersé. La campagne des législatives reprend sa route.

Source
Le Figaro

happywheels

1 Comment

  1. MAT 49 dit :

    Ceux qui veulent « barrer la route au Front National » sont au mieux des idiots, au pire des oiseaux sans cervelle… Chez qui trouveront-ils des alliés et des défenseurs demain ?

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