Médine et Gims, ou le retour de l’obscurantisme
Par Guylain Chevrier
FIGAROVOX/TRIBUNE – Alors que le rappeur Médine a lancé au public des piñatas à l’effigie du RN, le rappeur Gims a révisé l’histoire mondiale, en affirmant que les Égyptiens avaient inventé l’électricité dès l’Antiquité. L’historien Guylain Chevrier rapproche ces faits et en décrypte les conséquences.
Guylain Chevrier est docteur en histoire, formateur, enseignant et consultant. Il a été membre de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration.
Une nouvelle polémique a été déclenchée par le rappeur Médine, qui, lors d’un concert à Agen, a offert des piñatas à son public à l’effigie d’élus RN et Reconquête. La piñata est un objet en papier mâché ou en carton et le but du jeu est de la frapper avec un bâton jusqu’à ce qu’elle se brise, pour en libérer des «surprises» se trouvant à l’intérieur. Le rappeur entendait répondre à deux élues RN de Nouvelle-Aquitaine ainsi qu’à un élu membre du parti Reconquête, qui s’étaient opposés à sa venue dans la salle Florida d’Agen, subventionnée par l’État. On connaît ses provocations prenant souvent pour cible tout ce qui n’est pas dans sa vision radicale du «musulman», en priorité la laïcité et la République. Déjà, au début du mois, le maire LR de Lavaur, Bernard Carayon, et le député RN du Tarn, Frédéric Cabrolier, s’étaient opposés à la venue de Médine à Albi, qui avait répondu en postant sur ses réseaux sociaux une vidéo de lui, lançant des fléchettes sur des photos des deux élus, qui ont annoncé porter plainte. On peut s’étonner parfois du ton qui prévaut sur ce qui se passe ici dans certains médias, laissant penser que cela relèverait du simple règlement de compte entre «extrêmes». Il faut se questionner sur l’usage qui peut être fait de ces provocations et jusqu’où peut-on les tolérer. Il en va de la République elle-même, et de ce qu’on entend qu’elle advienne.
Tout serait-il autorisé dès que l’on chante les maux de la société, et particulièrement lorsqu’on prétend dénoncer le «racisme» antimusulman ? Devons-nous laisser continuer cette dérive jusqu’à voir comme aux États-Unis le rap devenir un lieu d’appel aux meurtres, avec la montée de groupes violents dans les manifestations et au-delà ? Sans oublier un contexte de revendications identitaires marqué par un islam conservateur, qui entend imposer ses normes religieuses à la République.
En 2005, il sort un album Jihad, le plus grand combat est contre soi-même. Mais sur la pochette, la lettre «J» est formée par un sabre… Il participe en 2009 à la conférence du Parti des indigènes de la République (PIR), sur «l’islam au service des citoyens», avec selfie à la clé avec sa cheffe de file, Houria Bouteldja, à la sémantique homophobe et antisémite assumée. Il anime en 2013 une soirée pour l’association «Havre du savoir», censée œuvrer à «faire connaître l’islam et ses valeurs d’ouverture et de tolérance…» En réalité, ce groupuscule havrais s’inscrit «dans le courant de pensée des Frères musulmans», estime le chercheur Romain Caillet, interrogé par CheckNews. Sur son site, l’association partage par exemple une tribune défendant la présomption d’innocence pour le djihadiste Mohamed Merah ou encore, des fatwas signées de Youssef al Quaradawi, l’un des pires prédicateurs musulmans qui condamne la séparation de l’État de la religion, justifie l’antisémitisme et la violence d’un mari envers sa femme, la peine de mort pour les homosexuels ou encore, banalise l’excision. Médine dit n’y être allé que pour «ses engagements en tant qu’artiste»… Dans son album «Don’t Laïk», sorti en 2015, une semaine avant la tuerie de Charlie Hebdo. On pouvait en effet apprécier une rhétorique qui n’a rien à envier à celle des islamistes : «Je porte la barbe j’suis de mauvais poil. Porte le voile t’es dans de beaux draps. Crucifions les laïcards comme à Golgotha», les paroles collant à un buste de Marianne avec un bleu, blanc, rouge en fond d’écran, puis des femmes voilées en niqab suivent un livre avec inscrit «Noble coran», et encore de belles paroles, «Vas-y Youss’, balance le billet, j’mets des fatwas sur la tête des cons», «à la journée de la femme je porte un burkini, Islamo-racaille c’est l’appel du muezzin».
Suite à sa plainte contre Nicolas Bay (juin 2021) qui l’avait désigné comme «rappeur islamiste», démarche visant aussi Aurore Bergé, Médine expliquait vouloir faire «surtout jurisprudence» pour défendre tous ceux qui sont «insultés d’islamistes ou d’islamo-gauchistes». L’islamologue Tariq Ramadan, proche des Frères musulmans, accusé par ses détracteurs d’être un adepte du double discours, ne fait pas mystère de ses très bonnes relations avec le rappeur : «Médine, c’est quelqu’un que je connais personnellement et de très très proche, qui suit mes enseignements et avec lequel on a beaucoup discuté»… On rappellera que Tariq Ramadan en tenant la vedette au Forum social européen en 2003 au cœur du mouvement altermondialiste, selon une volonté de rapprochement de la mouvance frériste avec le courant de la gauche européenne, l’a fait voler en éclat, indiquant combien l’islamo-gauchisme n’a rien d’un fantasme, pas plus que l’islamisme.
Après sa dernière provocation, le rappeur a entendu répondre pour se justifier, que «La violence elle est de leur côté». «On m’attribue toujours une proximité avec le milieu islamiste parce que j’ai participé à des conférences où ces gens étaient programmés», répond-il sur le Mouv, assurant qu’il s’agit «encore une fois (…) d’essayer de discréditer de disqualifier toute personne musulmane qui s’exprime dans le débat public et de la criminaliser». Il n’y a vraiment rien qui puisse laisser penser, en suivant son parcours et les paroles de ses chansons, évidemment autre chose… Médine, en s’attaquant à certains qu’il utilise comme un alibi, façon épouvantail, ne teste-t-il pas les limites pour aller le plus loin possible dans l’incitation à la haine et à la violence contre la République ? Une méthode qui, l’air de rien, participe à une victimisation à outrance des musulmans, susceptible de nourrir un projet politico-religieux de tous les dangers.
Dans un autre style, Gims, qui avait précédemment appelé ses fans à ne pas lui souhaiter la «Bonne année», incompatible selon lui avec une bonne pratique de l’islam, vient de s’illustrer dans le genre, «il n’y a plus de limites». Dans une interview pour l’émission «Oui Hustle», diffusée le 28 mars sur YouTube, l’artiste déroule : «Les pyramides que l’on voit, au sommet il y a de l’or, et l’or c’est le meilleur conducteur pour l’électricité… C’étaient des foutues antennes ! Les gens avaient l’électricité et les historiens le savent», clame-t-il. Cette théorie «dangereuse» mais loin d’être nouvelle, se propage «depuis des années», indique Tristan Mendès France, essayiste et maître de conférences associé à l’Université Paris-Cité. Le rappeur poursuit, assurant que «l’Afrique a peuplé l’Europe avant les Européens (…) Ils ont été décimés par les vrais européens qui venaient d’Asie.» «Gims reprend à son compte cette idée que l’Occident aurait travesti l’histoire et écrasé l’Afrique en tentant volontairement de cacher sa grandeur.», une théorie «nourrie par un ressenti de l’histoire coloniale», explique l’essayiste. Une vision qui flirte avec le complotisme. On ne peut que s’inquiéter de ces propos faisant écho à une enquête récente de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès auprès des jeunes, «visant à mesurer leur porosité aux contre-vérités scientifiques au regard de leur usage des réseaux sociaux», selon laquelle la théorie de la terre plate séduit un jeune sur six, (46 %) chez ceux qui se disent musulmans. Du rejet de la méthode Médine aux théories révisionnistes de Gims, un même combat contre l’obscurantisme.
Source
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/medine-et-gims-ou-le-retour-de-l-obscurantisme-20230413