Marseille : le premier prix Mireille Knoll attribué à Albert Barbouth, rescapé de la Shoah

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Sept ans après le meurtre à caractère antisémite de cette femme juive de 85 ans, chez elle à Paris, un prix honore sa mémoire à Marseille, et a été décerné à Albert Barbouth. Rescapé de la Shoah, il sensibilise les jeunes Marseillais à la lutte contre la haine.
Un homme « d’exception », un « trésor de mémoire », un « exemple pour tous ». C’est en ces mots qu’a été applaudi ce dimanche 23 mars après-midi Albert Barbouth, 92 ans, tout premier lauréat du prix Mireille Knoll, lancé par la mairie de Marseille et l’association Mireille Knoll. Rescapé de la Shoah alors qu’il avait une dizaine d’années, déporté à Drancy puis vers la Turquie jusqu’à son retour à Paris après la guerre puis son arrivée à Marseille en 1953, le nonagénaire est une des figures de la lutte pour le devoir de mémoire.
Un travail, mené auprès des collégiens et lycéens de la ville depuis des années, salué par cette récompense, remise à la mairie des 9e et 10e arrondissements en présence notamment de la maire du secteur (DVD) Anne-Marie d’Estienne d’Orves et du maire (DVG) de Marseille, Benoît Payan.
« On la fait un peu revivre »
Sauvé par le passeport de sa mère, comme elle, né dans le 11e arrondissement de Paris, là où elle a vécu toute sa vie : Albert Barbouth ne compte plus les parallèles avec la vie de Mireille Knoll, une femme juive de 85 ans, tuée il y a sept ans chez elle par son voisin de 28 ans. Le caractère antisémite du meurtre a été reconnu et le meurtrier condamné à la perpétuité mais pour la communauté juive de France, le traumatisme reste.
« Dans notre famille, nous savons ce que c’est d’être haï parce que juif. Notre mère a pu échapper aux nazis, mais elle a été rattrapée par la haine », a témoigné Allan Knoll, l’un des fils de la victime. « Je pense qu’on la fait un peu vivre comme ça », a soufflé Albert Barbouth, en recevant le prix de ses mains.
Contre « le poison de l’antisémitisme », dénoncé par Benoît Payan, un nouveau prix Mireille Knoll sera à nouveau remis l’année prochaine.
Source
https://www.laprovence.com/

Marseille
« En mai 1942, ma mère nous coud l’étoile juive sur nos vêtements. Et à partir de ce moment-là, à l’école, je n’ai plus de copains. »

Lors de notre passage à Marseille, nous avons rencontré Albert Barbouth. Président d’honneur de l’AFMA (Association Fonds Mémoire d’Auschwitz), Albert est un grand militant de la mémoire depuis plus de quarante ans.
C’est de manière très chaleureuse et décontractée qu’il nous a accueilli. Il nous attendait, prêt, les documents qu’il souhaitait nous montrer déjà sur la table.
L’histoire d’Albert est rare, singulière. Petit garçon de 10 ans en 1942, Albert a été un enfant caché jusqu’en mars 1944, date à laquelle il est arrêté, avant d’être renvoyé, avec sa famille, depuis le camp de Drancy vers la Turquie.

Albert Barbouth naît le 5 juin 1933, à Paris.
Il vit avec ses parents Rebecca et Moïse Barbouth, ainsi que ses deux petits frères Nissim (Nisso – né en 1934) et Joseph (Jojo – né en 1937), dans le 11ème arrondissement. La famille est croyante, mais pas pratiquante.
Ses parents ne sont pas Français mais d’origine turque. Son père a quitté la Turquie à l’âge du service militaire, puis est venu s’installer en France.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, son père s’engage dans les légions étrangères. Il meurt 3 mois après son retour, en octobre 1941, de maladie. “Il nous a quittés trop tôt, mais j’ai quelques souvenirs de lui. C’était un homme courageux. Il est parti de rien et il a construit une belle famille.”
Albert reste avec sa mère et ses frères à Paris. Le territoire est occupé. Albert n’a pas peur. “On ne se rendait pas compte du danger en étant enfant.”
Mais fin mai 1942, une décision rend le port de l’étoile jaune obligatoire dans l’espace public pour les juifs de plus de six ans, français ou étrangers. “Ma mère nous coud l’étoile juive [jaune] sur nos vêtements. Et à partir de ce moment-là, à l’école, je n’ai plus de copains. On me traite de sale juif, de sale youpin.” Albert ne veut plus aller à l’école.
Sa mère rencontre alors une dame de l’Assistance publique. Sur ses conseils, elle décide de placer ses enfants dans des familles pour les protéger. Albert, l’aîné, et Nissim, le second, sont envoyés en juin 1942 à La Celle-sur-Loire, dans la Nièvre, dans deux fermes voisines.

Albert reste deux ans dans la famille Dionne, jusqu’en mars 1944. Il y est caché, lorsqu’en juillet 1942, a lieu la rafle du Vel d’Hiv. “Par chance, notre mère nous a fait placer, deux mois plus tôt, dans des familles, avec mon frère Nisso.”
Au mois de mars 1944, sa mère et son petit frère Joseph sont arrêtés à Paris et envoyés au camp d’internement de Drancy.
Le 22 mars 1944, Madame Dionne voit des gendarmes français arriver à la ferme. Ils viennent chercher Albert. Lors de l’arrestation, “J’ai 11 ans, et on me met les menottes”. C’est sur l’intervention de Mme Dionne, qui leur rappelle qu’il s’agit d’un enfant, qu’ils retirent les menottes. Ils vont ensuite chercher son petit frère, Nisso, dans la ferme voisine.
Albert et son petit frère arrivent à Drancy le 23 mars 1944. Ils retrouvent leur mère et leur petit frère Jojo.
La famille est installée dans le bâtiment des personnes non déportables de suite. En effet, la nationalité turque de ses parents les protège, la Turquie étant un pays neutre.

Le 15 avril 1944, Albert et sa famille sont finalement renvoyés en Turquie, dans un train de voyageurs dans lequel 166 personnes juives seront rapatriées vers leur pays. Ce convoi est le sixième à partir de Drancy en direction de la Turquie.
Le trajet se fait dans un convoi de voyageurs traditionnel. Il faut neuf jours de voyage pour arriver en Turquie. Le convoi traverse l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie … Une fois à Sofia, en Bulgarie, le train ne peut plus avancer car la voie est coupée par les bombardements. Les 166 personnes du convoi sont transférées dans une autre gare, pour prendre un autre train. À la frontière turque, à nouveau, le convoi change de train. Finalement, ils arrivent à destination : Istanbul.
Là, ils retrouvent le reste de leur famille, grands-parents maternels, paternels, oncles tantes, cousins… La famille y reste deux ans. Albert va à l’école de l’Ambassade de France.
Au mois de mai 1946, la famille Barbouth rentre en France par bateau dans le «Transilvania».
Après la guerre, une fois rentrée à Paris, Rebecca, la mère d’Albert, tombe malade de la tuberculose. Elle entre dans un sanatorium pour se faire soigner. Elle y restera malheureusement jusqu’à la fin de sa vie.
Albert, Nissim, et Joseph iront vivre en orphelinat, à Paris, jusqu’à leurs majorités respectives.

Aujourd’hui, Albert continue régulièrement de témoigner et de militer pour la mémoire de la Shoah. Sa grande fierté est d’avoir milité face aux négationnistes, et pour la transmission de la mémoire de la Shoah. Tout d’abord avec l’Amicale des déportés d’Auschwitz, puis avec l’AFMA (Association Fonds Mémoire Auschwitz), association grâce à laquelle des dizaines de voyages de la mémoire sont organisés. “ Je suis sincèrement fier. J’ai moi-même participé à vingt-huit voyages.”
“Ce que je veux transmettre par-dessus tout, c’est la mémoire ! Je veux continuer à transmettre, tant que je le pourrai, la mémoire de la Shoah. Mais nous ne sommes pas éternels, il faut passer le relais.”
Quand on lui demande ce qu’est, pour lui, la liberté, Albert répond très spontanément, “En voilà, une vaste question. C’est pouvoir vivre normalement, sans craindre les discriminations dues à un état, une religion, une nationalité. Nous sommes tous des êtres humains. Il faut respecter les différences.”

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