Les islamistes, « révolutionnaires » mais pas contre le capitalisme
Depuis la fondation, e 128, des Frères musulmans par l’Égyptien Hassan el-Banna, les islamistes n’ont jamais cessé de défendre l’enrichissement personnel.
Par notre correspondant à Genève, Ian Hamel
Dans son essai intitulé Les (néo) Frères musulmans et le Nouvel Esprit capitaliste (*), Haoues Seniguer, maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Lyon, reprend la formule d’un autre chercheur, Edward Webb, qui constate que le mouvement islamiste ne cherche qu’à « changer l’acteur et non le jeu ». En d’autres termes, à aucun moment dans l’histoire les islamistes n’ont remis en cause l’économie de marché, le capitalisme, ni même les inégalités sociales. Quant aux pauvres (qui représentent l’immense majorité de la population dans un pays comme l’Égypte), ils doivent se contenter de la zakat (l’aumône), versée par ceux qui sont imposables au regard de la législation islamique. Mais pas question d’améliorer leur situation. D’ailleurs, Hassan el-Banna, à l’origine de la Confrérie, s’appuyait sur un verset coranique disant « Et ne confiez pas aux incapables vos biens dont Allah a fait votre subsistance. Mais prélevez-en, pour eux, nourriture et vêtements ».
Invoquer Dieu pour lutter contre le chômage
Qu’il s’agisse de The Muslim Brotherhood and the West de Martyn Frampton, de A Modern History of the Islamic World de Reinhard Schulze et, plus récemment, du Projet d’Alexandre Del Valle et Emmanuel Razavi, la somme sur la plus ancienne et la plus puissante organisation islamiste est particulièrement impressionnante. En revanche, pratiquement aucun essai ne s’était penché jusqu’à présent sur la vision du monde des islamistes en matière économique. Si les communistes appelaient à mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme, les islamistes, en revanche, n’ont eu recours qu’à une seule pensée magique : l’islam se suffit à lui-même. « Notre programme ? C’est le Coran », proclamaient les Frères musulmans égyptiens lors des élections législatives. Quant au parti islamiste marocain Justice et Développement, il exhortait les Marocains à invoquer Dieu « pour s’extirper du chômage et retrouver le chemin de l’emploi ».
« Rien ne s’oppose à l’enrichissement »
Pour Hassan el-Banna, « la richesse saine est donnée à l’homme vertueux », et, évoquant le caractère impérieux de la recherche du gain, il écrivait que « l’argent propre/sain est le moteur de la vie ». Sayyid Qutb, le penseur le plus radical de la Confrérie (1906-1966), ne le contredisait surtout pas en défendant deux aspects moteurs du capitalisme : la « propriété des biens » et « la liberté absolue du possesseur/possédant/détenteur du capital ». Dans son essai, Haoues Seniguer constate que les nouveaux Frères musulmans (ou néo-Frères musulmans, car la plupart d’entre eux prétendent ne pas appartenir à la Confrérie) suivent exactement le même chemin. Pour le Qatari Yusuf al-Qaradawi, l’ancien président de l’Union internationale des savants musulmans, « rien ne s’oppose fondamentalement à l’enrichissement, à l’acquisition de biens et d’argent, dès lors que c’est licite religieusement »…
Quant à Tariq Ramadan, le petit-fils de Hassan el-Banna, même s’il adopte parfois une posture anticapitaliste, et se présente comme le défenseur des « opprimés », l’universitaire lyonnais constate qu’il ne propose jamais de solution ni d’alternative au capitalisme. Non seulement Tariq Ramadan vivait une grande partie de l’année au Qatar, évitant de se préoccuper des droits des travailleurs immigrés, mais il « dispose d’un capital économique important qu’il tire en partie de son centre qatarien et de ses pérégrinations religieuses : il reçoit des financements et fait payer nombre de ses séminaires organisés à travers le monde », écrit Haoues Seniguer. Quant à Yannis Mahil, doctorant en islamologie à Strasbourg, et étoile montante du Forum of European Muslim Youth and Student Organizations, il érige en modèle à la fois la Malaisie et le chef de l’État turc Recep Tayyip Erdogan. Ni l’un ni l’autre ne remettent apparemment en cause l’essor du consumérisme, l’opulence et les situations de rente.
Ancien militant de Lutte ouvrière
En revanche, le Lyonnais Abdelaziz Chaambi, originaire de Tunisie, issu d’un milieu ouvrier, tente toujours d’allier à la révolution anticapitaliste contre les puissants un islam politiquement engagé et rituel. Encarté en 1976 à Lutte ouvrière, il est marqué par la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Il fonde quatre ans plus tard l’Union des jeunes musulmans (UJM), une organisation qui a servi de rampe de lancement à Tariq Ramadan en France. Depuis, le militant anticapitaliste a rompu avec le petit-fils d’Hassan el-Banna. À la tête de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie, Abdelaziz Chaambi se définit comme un « résistant anticolonial et musulman engagé pour la justice sociale ». Exception qui confirme la règle chez les néo-Frères musulmans, il affirme : « Je ne suis plus adepte de la dictature du prolétariat, mais je suis toujours préoccupé par le partage des richesses, la justice sociale et l’accès égalitaire au progrès et au bien-être social. »
Source :
https://www.lepoint.fr/afrique/les-islamistes-revolutionnaires-mais-pas-contre-le-capitalisme-16-04-2020-2371688_3826.php