Le vrai-faux dérapage de Mélenchon

CHRONIQUE. Les propos du chef des Insoumis peuvent sembler délirants. Ils sont en réalité calculés et réfléchis, ce qui est bien pire !
Par Sophie Coignard
Cette fois, le pronostic mental peut sembler engagé. Jean-Luc Mélenchon a assimilé le président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives), Yonathan Arfi, à l’extrême droite. Parce que celui-ci a commis un crime de lèse-majesté. Il a osé, dans un discours prononcé ce dimanche pour le 81e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, affirmer que le chef des Insoumis « se compromet loin du pacte républicain » et que ses troupes sont « incapables de s’affranchir de ses ordres » tandis que leur mouvement est prêt « à sacrifier la République sur l’autel du communautarisme ».
Depuis, ses alliés de gauche s’étonnent et s’indignent. Sans parler du reste de l’échiquier politique, où l’on s’insurge à grands coups de surenchère verbale. C’est de bonne guerre, peut-être, mais c’est inefficace. Car Jean-Luc Mélenchon cherche cette rupture. Il entend placer la frontière de la « résistance » entre sa personne et ceux qui la vénèrent, d’une part, et le reste de la classe politique d’autre part.

Avec lui, le choix est simple : soit on est mélenchoniste, soit on est d’extrême droite. Il évoque dans un texte publié samedi sur son blog, « deux visions du monde, deux catégories sociales. Plus la situation avance, plus elle délimite d’elle-même ces “deux camps”. » Pour défendre cette géographie politique fantasmée, il lui est nécessaire de décrire un continuum entre l’extrême droite et le centre de l’échiquier politique, voire la gauche qui ne lui est pas soumise. Il s’en prend donc à cette « gauche si traditionnelle […], première responsable des meurtres à l’origine de l’exaspération populaire quand elle a fait adopter la loi “permis de tuer” ».
La provocation comme étendard, le complotisme comme carburant
La provocation verbale fait partie des armes utilisées sans modération par Jean-Luc Mélenchon. Et le fait de la tourner vers le président du Crif n’est pas innocent, pour un homme qui remporte ses meilleurs scores électoraux dans des quartiers à forte population musulmane, auprès de laquelle un peu d’antisémitisme s’apparente à de la démagogie facile. Le plus paradoxal est peut-être que ce pourfendeur d’une extrême droite qui irait de Marine Le Pen à Bernard Cazeneuve utilise une méthode proche de celle qui fit les tristes heures de gloire de Jean-Marie Le Pen il y a trente ans : l’outrance verbale si choquante qu’elle galvanise ses partisans et rejette tous les autres dans une attitude de réprobation commune
Le carburant de cette diatribe permanente contre tous ceux qui ne sont pas avec lui, c’est bien sûr le complotisme : « Tout aura été tenté déjà contre nous : lawfare, menaces de mort, livres calomniateurs, manipulations d’agences d’intelligence, complot pour m’assassiner »… « Complot pour m’assassiner » ! Désormais, le trotskiste se prend pour Trotski. Mais là encore, ce n’est pas folie pure. C’est au contraire la construction patiente et minutieuse d’une légende personnelle.
Source
https://www.lepoint.fr/politique/le-vrai-faux-derapage-de-melenchon-18-07-2023-2528638_20.php?fbclid=IwAR0l1ej2-GKa0Uhs1TIrbKs8tMH_V0iz8tEDWRU9MORmpqwDpqwtGhbw4n8