Le Pacte des Diables, de Roger Moorhouse: l’entente diabolique
Le pacte germano-soviétique révèle le machiavélisme de Staline.
Par Paul-François Paoli
La signature du pacte Molotov-Ribbentrop, le 23 août 1939, à Moscou. Scherl/©Suddeutsche Zeitung/Leemage
Le contenu précis du pacte germano-soviétique, notamment le protocole secret qui prévoit en des termes eumphémistiques le dépècement de la Pologne, reste assez méconnu en France, où a longtemps prévalu la légende de l’attitude défensive de l’URSS, qui aurait pactisé avec Hitler pour gagner du temps afin de se préparer à l’agression nazie. Ce pacte choqua profondément l’opinion qui était convaincue que l’URSS ne pouvait s’allier à Hitler sans se trahir puisqu’elle avait elle-même organisé la stratégie «antifasciste» du Front populaire en France. Et voilà que tout à coup Staline acceptait la main tendue de Hitler qui avait besoin de neutraliser l’ours russe pour attaquer l’Angleterre et la France.
Signé le 23 août 1939, cet accord entraîna la mise au ban du PCF et l’entrée dans la clandestinité de Thorez qui partit se réfugier en URSS et fut déchu de sa nationalité. Cette tragédie et ses conséquences sur les peuples directement concernés par le pacte, notamment les Polonais et les États baltes, fut passablement occultée à la Libération. Le camp du Bien ne pouvait pas s’être allié avec un monstre, en l’occurrence l’URSS de Staline. Comme le rappelle ici l’historien britannique Roger Moorhouse, les Soviétiques étaient si puissants qu’ils parvinrent à faire gober que le massacre de Katyn, 22.000 officiers et fonctionnaires polonais tués par la NKVD d’une balle dans la nuque au printemps 1940, ne pouvait être que l’œuvre des nazis. Cette falsification perdura longtemps à l’Est et il fallut attendre 1990 pour que l’URSS chancelante de Gorbatchev fasse part de ses «profonds regrets» à la Pologne.
C’est cette puissance de falsification du réel par l’idéologie que Moorhouse explore dans ce livre qui ne contient pas de révélation majeure mais nous rappelle ce que certains préféreraient oublier. À savoir que ce pacte signé par l’URSS, loin d’être défensif, permettait à Staline de récupérer des territoires perdus après la naissance de l’URSS ou convoités par celle-ci. À commencer par la partie orientale d’une Pologne honnie d’où furent déportés au goulag un million et demi de Polonais. «Après un déjeuner de fête offert par le représentant de Hitler en Pologne, Hans Frank, ce dernier fuma avec Alexandre Alexandrov, le délégué soviétique. Frank observa: “Vous et moi fumons des cigarettes polonaises pour symboliser le fait que nous avons jeté au vent la Pologne”.» On ne pouvait mieux dire! Le protocole secret signé par Ribbentrop et le ministre soviétique Molotov ne comporte que quelques lignes dont celles-ci: «La question de savoir si l’intérêt des deux parties rend souhaitable la conservation d’un État polonais indépendant et celle de ses limites pourrait être déterminée seulement au cours des développements ultérieurs. En tout état de cause, les deux gouvernements régleront cette question par des accords à l’amiable.» À l’amiable, il fallait oser!
Aussitôt ce texte signé, la Wehrmacht écrase Varsovie sous les bombes tandis que l’Armée rouge «libère» la Pologne orientale. Si l’Histoire n’était pas si cruelle, elle serait désopilante. À travers un chassé-croisé horrible, les juifs et les communistes qui fuient la Pologne nazifiée pour rejoindre la zone «libérée» croiseront les Polonais qui fuient dans l’autre sens la mise au pas soviétique de la Pologne orientale. On se croirait dans un roman de Kundera!
Même les communistes polonais n’étaient pas énamourés de la vie en zone soviétique
Mais le diable est dans les détails et ceux-ci en disent plus long que tous les chiffres: «Même les communistes polonais n’étaient pas énamourés de la vie en zone soviétique, écrit Moorhouse. Ils attendaient que les soldats de l’Armée rouge leur disent comment cela se passait en Russie. Mais tout ce que ceux-ci voulaient c’était s’acheter une montre.» Moorhouse insiste sur la coopération économique entre les deux pays qui permit aux Soviétiques, en échange des matières premières qu’ils livraient aux Allemands, de se procurer ces produits finis que l’industrie soviétique était incapable de fabriquer.
En fin de compte, Staline fut le grand gagnant du pacte, sur ce terrain-là aussi. On comprend que Molotov, lors de la victoire nazie en France, adressa à Schulenberg, l’ambassadeur d’Allemagne à Moscou, un message de «chaleureuses félicitations pour le succès éblouissant des forces armées allemandes en France». Qui peut croire, après cela, que le Diable ne soit pas à la manœuvre?
Buchet-Chastel
«Le Pacte des Diables» de Roger Moorhouse, traduit de l’anglais par Aude de Saint Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, Buchet Chastel, 06 p, 26 €.
SOURCE :
https://www.lefigaro.fr/livres/le-pacte-des-diables-de-roger-moorhouse-l-entente-diabolique-20201007
Difficile de s’imaginer toutes les horreurs qui ont pu se passer en Pologne prise dans l’étau. Les images des divers documentaires sont éloquentes mais on ne pourra jamais tout savoir.
A noter aussi que les Finlandais ont fait preuve d’une résistance héroïque contre l’invasion de staline notamment avec de redoutables snipers ainsi que la mise hors service de 2000 chars soviétiques grâce à l’efficacité des cocktails … Molotov !!