Le conflit identitaire israélien (V). La Cour suprême représente des valeurs étrangères au peuple d’Israël.
Par Pierre Lurçat
Ruth Gabizon1 avait affirmé jadis que : « La Cour suprême devrait élaborer et renforcer les valeurs qui sont partagées par la société qu’elle sert, valeurs reflétées par les lois de cette société – et non telles qu’envisagées par les juges à titre personnel ou en tant que représentants de valeurs sectorielles »… La réflexion de Ruth Gabizon appelle deux remarques. Tout d’abord, peut-on encore affirmer aujourd’hui que la Cour suprême israélienne sert la société ou qu’elle est au service de la société ? En réalité, pour que la Cour suprême soit au service de la société israélienne et de ses valeurs, encore faudrait-il que les juges qui siègent à Jérusalem connaissent les valeurs de la société dans laquelle ils vivent et qu’ils les respectent un tant soit peu… Est-ce le cas aujourd’hui ?
À de nombreux égards, la Cour suprême israélienne représente et défend aujourd’hui des valeurs étrangères au peuple d’Israël : celles de l’assimilation, du post-sionisme et du postmodernisme, etc. Elle s’attaque régulièrement dans ses décisions non seulement aux droits des Juifs sur la Terre d’Israël, mais aussi au mode de vie juif traditionnel et aux valeurs de la famille juive. On peut affirmer, au vu des arrêts de la Cour suprême israélienne depuis 30 ans, qu’elle incarne le visage moderne des Juifs hellénisants de l’époque des Maccabim. Il y a évidemment des exceptions. Rappelons le cas du juge Edmond Lévy, qui rédigea l’opinion minoritaire lors de l’expulsion des habitants Juifs du Goush Katif.
Pour examiner le caractère constitutionnel d’une loi, le juge doit apprécier sa conformité aux valeurs de l’État d’Israël, définies comme étant celles d’un « État juif et démocratique ». Or, c’est dans l’interprétation de cette expression que le juge Barak a donné libre cours à ses conceptions et à sa philosophie toutes particulières du droit et de l’État. L’expression « État juif et démocratique » apparaît officiellement pour la première fois dans les Lois fondamentales de 1992, mais elle est présente en filigrane dans la Déclaration d’indépendance de 1948.
Cette expression devait permettre de concilier les aspirations et les idées divergentes des différentes composantes de la nation israélienne, dans l’esprit de compromis qui était celui des fondateurs de l’État d’Israël, comme nous l’avons vu. Mais pour Aharon Barak, il n’est pas question de compromis. Il a exprimé sa conception du judaïsme et de ce que doivent inclure les valeurs d’un État juif, peu de temps après l’adoption des deux lois fondamentales de 1992 :
« Les valeurs fondamentales du judaïsme sont les valeurs fondamentales de l’État. J’entends par là, les valeurs d’amour de l’humanité, de sainteté de la vie, de justice sociale, de recherche du bien et du juste, de protection de la dignité humaine, valeurs que le judaïsme a léguées à l’humanité tout entière ».
Le caractère problématique de cette définition tient au fait qu’elle évacue purement et simplement tout particularisme juif, qu’il soit culturel, religieux, juridique, symbolique ou national. Si un État « juif et démocratique » signifie simplement un État démocratique, alors Israël n’a pas vocation à être autre chose qu’une démocratie occidentale.
Pierre Lurçat
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“Quelle démocratie pour Israël ? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ?
Editions L’éléphant 2023
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