« Enculée de pute juive moche ». Un tel vocabulaire n’est pas vraiment familier au tribunal correctionnel de Paris, mais la présidente Anne-Marie Sauteraud poursuit sa lecture sans sourciller. Elle a un peu plus de mal avec la version anglaise – elle prononce « fuque you ». Face à elle, John Galliano écoute la litanie d’insultes qu’il est accusé d’avoir proférées, mains sagement posées sur les genoux. Longs cheveux blonds, costume noir et cravate à pois dénouée, il a le regard flou.
Ce mercredi 22 juin, le styliste comparaît pour injures publiques à caractère racial et antisémite. Dans la salle où règne une chaleur étouffante se pressent journalistes français et étrangers et public nombreux.
« Pression énorme » et somnifères
Le 8 octobre puis le 24 février, John Galliano aurait insulté trois personnes à la terrasse d’un café du Marais à Paris, les traitant tour à tour de « dirty Jewish face » (« sale gueule de juive »), de « fucking Asian bastard » (« putain de bâtard asiatique ») ou de « fucking ugly Jewish bitch » (« enculée de pute juive moche »).
D’emblée, il l’affirme d’une petite voix à la barre : il ne se « souvient de rien », traduit une interprète. En guise d’explication, il invoque une « triple addiction à l’alcool, aux somnifères et aux tranquilisants ». Le couturier raconte son travail harassant et la « pression énorme » chez Dior, la mort de son compagnon Steven en 2007 et ses « attaques de panique ». « Chez Dior, on buvait bien », poursuit l’interprète. Rires dans la salle, protestations de la défense : la traductrice avoue « ne pas comprendre l’accent de Monsieur Galliano ». C’est donc l’avocat de ce dernier, Aurélien Hamelle, qui prend le relais, pour nous apprendre qu’il a suivi une « cure de deux mois en Arizona puis en Suisse » et qu’il se « sent beaucoup mieux ».
De « bottes bas de gamme » à « pute juive »
Place aux plaignants. Carré brun et ton affirmé, Géraldine Bloch raconte la soirée du 24 février et les 45 minutes d’insultes subies, de « bottes bas de gamme » à « pute juive ». »Pourquoi rester ¾ d’heures à subir cela s’il n’est manifestement pas dans son état normal? » s’enquiert la présidente. « J’en ai fait une affaire de principe : il m’a dit qu’il était John Galliano et que je n’étais rien. » Paul Virgitti, qui l’accompagnait ce soir-là, et insulté lui aussi, livre un récit similaire à la cour. Mais affirme pourtant « je ne pense pas qu’il est antisémite, ni raciste ». Ce qui ne l’empêche pas de réclamer 220.00 euros de dommages et intérêts, par la voix de son avocat, son amie se contentant d’un euro symbolique.
A la barre, les témoins de la scène confirment des insultes, mais pas à caractère antisémite. Coïncidence ? Tous travaillent dans le milieu de la mode, s’étonnent les parties civiles. De quoi leur attribuer des « têtes de faux témoins » ? « Si ce n’est que la tête… », soupire la présidente en secouant la sienne, surmontée d’un incroyable brushing à l’hélium.
« Je présente mes excuses »
Confronté ensuite à une vidéo diffusée par « le journal Zeusseune » comme dirait la présidente, où il déclare, toujours à la même terrasse du même café, « I love Hitler« , Galliano le répète : « Je ne me souviens pas ». D’une voix douce, il poursuit, l’air un peu hagard: « Je présente mes excuses pour les choses dont je suis accusé, mais ce ne sont pas les pensées de John Galliano. Je ne peux pas répondre pour cet homme que je ne connais pas. » Il ajoute : « Toute ma vie j’ai combattu les préjugés et l’intolérance, parce que j’en ai moi-même été victime ». Et d’avancer pour preuve : « j’ai vécu avec des tribus massaï, je suis ami avec des moines shaolin. »
10.000 euros d’amende requis
Pas de quoi convaincre le procureur, qui fustige un « antisémitisme de comptoir, du quotidien, des parkings ». Le réquisitoire d’Anne de Fontette est soudain interrompu par quelques notes de french cancan venant de la rue, mais elle reprend aussitôt, en fixant Galliano : « Il est toujours difficile de se rappeler qu’à un moment de sa vie on a été quelqu’un de moche. » Et requiert 10.000 euros d’amende contre le styliste.
Après six heures d’audience, la salle s’est peu à peu vidée de son public, il revient à la défense de conclure. Aurélien Hamelle reconnait « une bordée d’injures » « évidemment inacceptable » mais plaide la relaxe. Galliano souffre d’une addiction à l’alcool, il n’y avait pas d’intention de nuire, et les propos tenus ne sont peut-être pas publics (auquel cas il s’agirait d’une simple contravention et non d’un délit), soutient-il. Le jugement sera rendu le 8 septembre. « Mais la sanction est déjà tombée », rappelle Hammelle : « Dior a renvoyé Galliano ».
Anne-Sophie Hojlo – Le Nouvel Observateur