COULIBALY, EL KHAZZANI -THALIS :Ces armes dites « démilitarisées »
Vendredi dernier, Emmanuel Toschi, un ancien instituteur reconverti dans l’armurerie, a été condamné en appel à 6 ans de prison. La même peine qu’en première instance. Un signal fort de la justice pour tenter de freiner la prolifération des armes de guerre. Sa spécialité : la remise en état d’armes démilitarisées. Lesquelles étaient destinées en l’occurrence au grand banditisme, via le sieur Secrettand, un truand « retraité de la banlieue sud ». Après la sentence, celui-ci a dit : « Je suis un vieux cheval de retour qui ne demande qu’à rentrer à l’écurie ». La prison, sa deuxième maison.
Mais il n’y a pas que les voyous à utiliser des armes recyclées, les terroristes aussi.
Ainsi, l’un des deux fusils d’assaut d’Amedy Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher, proviendrait d’un trafiquant du nord de la France. Il aurait été acheté tout à fait légalement en Slovaquie et aurait transité par la Belgique. Et il semble qu’il en soit de même du fusil d’assaut AKM, le tireur du Thalis, qui serait en partie constitué de pièces rapportées.
Qu’est-ce qu’une arme démilitarisée ?
La neutralisation d’une arme (ce mot est préférable) consiste à apporter à celle-ci des modifications internes afin de la rendre inapte au tir : boucher le canon, le rendre indémontable, neutraliser le chien, etc. Tout cela sans changer son aspect extérieur ni son fonctionnement apparent.
Elle transforme une arme à feu en un objet de collection ou de décoration. Ou bien en souvenir lorsqu’elle provient par exemple de l’héritage d’un proche. Elle peut même servir de pot de fleurs…
Pour un particulier, la neutralisation est pratiquement le seul moyen de pouvoir conserver le revolver d’ordonnance de son grand-père découvert sous une lame du plancher de son grenier. Sauf à posséder une licence de tir. La démarche est assez simple. Il faut d’abord aviser la préfecture qui vous fait parvenir un document que vous remettez avec l’arme à un armurier. Il se chargera de tout, moyennant une honnête rétribution. Le décret de 2014 (je crois que c’est le dernier, il y en a beaucoup) accorde un délai de réflexion d’un an (3 mois dans certaines préfectures). Mais durant ce temps, l’arme doit être déposée au commissariat, à la gendarmerie ou chez un armurier. Inutile d’essayer, j’ai fait le tour, rien n’est prévu et personne n’accepte cette « responsabilité ».
En fait, pour neutraliser une arme, tout se passe à Saint-Étienne. Car même si un armurier titulaire d’une autorisation de fabrication peut procéder à l’opération, l’arme doit nécessairement passer au « Banc national d’épreuve » qui est seul habilité à valider l’opération. Ce qui se traduit par un poinçon et un certificat. Les deux sont nécessaires pour avoir l’esprit serein face à un contrôle de police.
Il est quasi impossible de remettre en état une arme qui passe par Saint-Étienne. Mais qu’en est-il pour les autres pays d’Europe ? À chacun sa méthode, mais certaines semblent bien légères. Il est vrai qu’il n’existe pas de normes communes. Cependant, depuis 2008, une directive européenne en phase avec le Protocole sur les armes à feu des Nations unies, renforce (entre autres) les recommandations pour neutraliser une arme. Mais le diable est dans les détails – techniques en l’occurrence.
Une arme neutralisée dans un État de l’UE peut donc être détenue en France. Toutefois, chafouin, notre législateur a complété cette directive européenne en précisant que le résultat de la transformation devait présenter des garanties équivalentes à celles de notre beau pays. Mais comment un particulier pourrait-il le vérifier ? Or, comme le détenteur est seul responsable devant la loi, on peut dire qu’une arme neutralisée dans un autre pays de l’UE devra passer, prudence oblige, par le Banc de Saint-Étienne. C’est le prix de la tranquillité pour un honnête collectionneur.
Un truand n’aura pas ce souci. Il est assez facile de remettre en état une arme mal neutralisée.
Les armes démilitarisées dans d’autres pays que ceux de l’UE, elles, ne sont pas considérées comme conformes. Il en est ainsi notamment de celles qui proviennent de Russie. Et pourtant, dans l’usine Ijmach, dans l’Oural, des kalachnikovs inoffensives sortent des chaînes à l’intention des collectionneurs. Elles portent un poinçon et sont accompagnées d’un certificat. Tout bien. Sauf que la neutralisation se limite (si mon russe est bon, merci Google traduction) à quelques trous forés dans l’acier et un ou deux aménagements de détail. Cette simple opération suffit pour qu’un fusil d’assaut AKM ne soit plus considéré comme un matériel de guerre mais comme une simple marchandise. Il est vendu environ deux cents euros. « Ces AKM sont destinés à être utilisés comme souvenirs, échantillons d’exposition, simulateurs, outils d’enseignement… », peut-on lire sur la notice du revendeur.
Lorsque les enquêteurs remontent à la source d’une arme de ce type trouvée entre les mains d’un truand ou d’un terroriste, il y a de fortes probabilités pour qu’ils reconstituent le parcours suivant : commande en Russie, livraison dans un pays de l’est de l’UE, homologation dans ce pays, transit vers la France, souvent via la Belgique : la libre circulation des marchandises est à la base du marché unique.
Une fois arrivée en France, cette arme devrait passer au Banc de Saint-Étienne. Du moins si son nouveau propriétaire craint les foudres de la loi.
Car c’est bien ça le problème. La réglementation française est l’une des plus strictes, mais elle ne concerne que les honnêtes gens. Les autres s’en fichent. Ils vont trouver le professionnel véreux susceptible de reconstituer une arme de collection pour en faire un engin de mort. Ou le bricolo de génie. Car, c’est un véritable trafic de fourmis qui s’est installé peu à peu, comme pour la drogue. C’est sans doute l’une des conséquences de la paupérisation de notre pays.
source :
http://moreas.blog.lemonde.fr/2015/09/27/ces-armes-dites-demilitarisees
Très bon article.
L’absence d’harmonisation concerne tous les pays européens, de l’Espagne à la frontière russe.
Le savoir faire armurier de Saint Etienne a réussi une neutralisation efficace sans enlaidir l’arme.
Il devrait servir de modèle, du moins si les technocrates de Bruxelles servaient à quelque chose…
Une petite lueur d’espoir, ces armes remises en état de tir peuvent parfois s’enrayer.