Complotisme : la face cachée de Pierre Péan
Par Rudy Reichstadt
Pierre Péan ne se comporta pas toujours en journaliste exemplaire. L’honnêteté élémentaire impose de le reconnaître.
L’une des idées fausses les plus répandues au sujet du complotisme est que celui qui s’y serait complu verrait implacablement prononcer à son encontre une sorte d’arrêt de « mort sociale ». Les hommages adressés ces derniers jours à la mémoire de Pierre Péan, décédé le 25 juillet dernier, démontrent tout le contraire.
Salué comme « l’un des plus grands journalistes d’enquête français » (L’Obs), ce « taulier de l’enquête journalistique » (Libération) aurait été un « esprit libre » (Causeur) tout entier habité par une « exigence de vérité » (Jean-Pierre Chevènement). « Farouchement libre et indépendant, rétif aux sujets en vogue et aux modes médiatiques, il n’avait jamais peur de soulever les couvercles qui recouvrent parfois les événements du passé, la marche des Etats et la vie des puissants » va jusqu’à écrire l’Elysée dans l’hommage officiel qu’il lui a rendu vendredi.
Interrogé sur l’enquête à charge qu’il avait publiée avec son confrère Philippe Cohen sur le quotidien Le Monde (La Face cachée du Monde, Mille et une nuits, 2003), Péan avait dit :
« On a essayé de montrer ce que l’on cache généralement et on reprend effectivement les méthodes habituelles du journalisme où on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure mais des trains qui arrivent en retard. »
Qu’à cela ne tienne. Mettons nos pas dans ceux de cette « figure tutélaire du journalisme d’enquête en France », comme l’écrit Le Monde, peu rancunier, et arrêtons-nous sur ces convois de déontologie, d’honnêteté et de respect scrupuleux des faits qui, dans le parcours de Péan, ne sont jamais arrivés à destination.
Au cours des quinze dernières années, en effet, Péan s’était plus d’une fois abandonné à un complotisme caricatural peu compatible avec la « quête inlassable de vérité » dont le crédite le président de la République.
Il y a dix ans, Conspiracy Watch révélait le très troublant passage consacré par Péan au groupe Bilderberg dans son livre à charge sur Bernard Kouchner, Le Monde selon K. (Fayard, 2009). Un passage calqué de toute évidence sur un articulet émanant d’un obscur blog conspirationniste et relayant les contre-vérités habituelles sur cette institution privée qui suscite les fantasmes depuis des décennies.
On sait que Péan avait épousé, s’agissant du génocide des Tutsi du Rwanda, une version clairement révisionniste. Faut-il rappeler son brûlot Noires fureurs, blancs menteurs (Fayard, 2005) dans lequel il fustigeait « la culture du mensonge et de la dissimulation » qui dominerait selon lui chez les Tutsi, présentés comme les véritables instigateurs du génocide de 1994 au mépris de toute enquête sérieuse ? Loin de se raviser, sa croyance dans un complot international contre le Rwanda dont les Tutsi auraient été les instruments demeura intacte, comme en témoigna sa participation, en 2014, à un film tenant plus du brûlot complotiste que de l’enquête historique : « Rwanda, 20 ans après ». Un film tentant de démontrer que les massacres qui ont ensanglanté le Rwanda trouvaient leur origine dans un vaste complot israélo-américain et dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il fut réalisé par deux compagnons de route du théoricien du complot Thierry Meyssan, l’un d’eux, Paul-Eric Blanrue étant aussi le réalisateur d’un film apologétique consacré au négationniste Robert Faurisson (« Un Homme », 2011). Péan, qui y apparaît comme le témoin central, n’a jamais cru devoir prendre publiquement ses distances avec la thèse défendue dans ce pseudo-documentaire.
Le penchant de Pierre Péan pour l’approche complotiste ne s’affirmait pas qu’en matière géopolitique. En septembre 2017, quelques mois après l’élection présidentielle, l’élue Les Républicains (LR) Florence Portelli annonçait que Pierre Péan était en train d’enquêter sur le « complot » dont François Fillon aurait été victime dans l’affaire du « Penelope Gate ». Une information que l’intéressé n’a jamais démentie.
La carrière de Pierre Péan est jalonnée de livres importants – ne serait-ce que par leurs retentissements dans le débat public. L’Extrémiste (Fayard, 1996), son enquête sur le nazi suisse François Genoud, exécuteur testamentaire d’Adolf Hitler et ami du terroriste vénézuélien Carlos, a indéniablement contribué à éclairer un pan jusque-là obscur des convergences rouges-brunes.
Mais pas plus qu’un autre Pierre Péan n’« incarnait » la probité et l’indépendance d’esprit. La vérité est que Péan était loin d’être au-dessus de tout reproche. Il ne se comporta pas toujours, loin s’en faut, en journaliste exemplaire. L’honnêteté élémentaire impose de le reconnaître.
Source :
https://www.conspiracywatch.info/complotisme-la-face-cachee-de-pierre-pean.html
Pierre Péan aurait-il plagié des sites conspirationnistes ?
Un passage de son livre sur Bernard Kouchner le laisse penser…
“Le monde selon K.”, de Pierre Péan (Fayard, 2009).
Troublant. C’est le mot qui vient à l’esprit lorsqu’on lit un passage du dernier livre de Pierre Péan, Le Monde selon K. (Fayard, 2009), consacré au fameux Groupe Bilderberg, objet de tous les fantasmes complotistes. Le paragraphe en question se trouve aux pages 233 et 234 :
« En juin 2008, la session baptisée “Chantilly, Virginia, USA” du Comité Bilderberg, se réunit comme chaque année depuis 1954, dans un hôtel de luxe. Bilderberg, c’est la confrérie plus ou moins occulte des plus grosses fortunes mondiales et de leurs serviteurs au sein des gouvernements qui comptent, actionnant les ficelles des Etats qu’ils ont mis en place en finançant en partie leurs campagnes électorales. Ces multimilliardaires aux identités tenues secrètes se concertent régulièrement pour décider d’une stratégie commune, autrement dit déterminer à quelle sauce les peuples de la planète seront mangés pour que le système financier existant continue de les enrichir. Les journalistes n’ont évidemment pas accès à ces réunions. Seule est connue la liste des invités “extérieurs”, lesquels ne sont conviés qu’à l’apéritif. La promotion française 2008 réunit notamment : Bertrand Collomb, du groupe Lafarge ; le ministre Jean Pierre Jouyet ; Christophe de Margerie, patron de Total ; Thierry de Montbrial, président de l’institut français de relations internationales (IFRI) ; Manuel Valls, élu PS ; et Christine Ockrent. »
S’en suit un passage sur Christine Ockrent que Péan transforme en simple perroquet de son compagnon, Bernard Kouchner, contre qui est dirigé le pamphlet. Evidemment, Péan se garde bien de préciser que le Groupe Bilderberg (1) compte également parmi ses « invités extérieurs » l’ancien ministre Hubert Védrine (2), qui partage en particulier sa « vision » du génocide des Tutsi du Rwanda (3).
Mais il y a plus troublant encore…
Plus de sept mois avant la publication du livre de Péan, plusieurs sites conspirationnistes dévoilaient la liste des participants à la réunion 2008 du Groupe Bilderberg. Sans surprise, on retrouve, en gras, les noms cités par Péan (à l’exception notable de celui de Védrine, soigneusement biffé). Or, dans l’un de ces posts conspirationnistes (4), une phrase attire notre attention :
« Bien entendu, il ne s’agit là que des “invités” du cercle extérieur, seulement conviés à l’apéritif, d’autres organisateurs et participants réguliers sont également présents dans une discrétion supérieure encore… »
Une phrase qui résonne étrangement lorsqu’on la compare au passage de Péan :
« Les journalistes n’ont évidemment pas accès à ces réunions. Seule est connue la liste des invités “extérieurs”, lesquels ne sont conviés qu’à l’apéritif. »
Nous ne sommes pourtant pas au bout de nos surprises.
Dans un post intitulé « Le Comité Bilderberg (les Maîtres du monde) » (5), daté de la même période, un blogueur écrit :
« Le comité Bilderberg va se réunir, comme chaque année depuis 1954, dans un hôtel de luxe. Bilderberg, c’est la confrérie cachée des plus grandes fortunes du monde (plus leurs serviteurs gouvernementaux de tous les pays) qui actionnent les ficelles des gouvernements qu’ils ont mis en place en finançant en grande partie leur campagne électorale. »
… quand Pierre Péan, de son côté, écrit :
« En juin 2008, la session baptisée “Chantilly, Virginia, USA” du Comité Bilderberg, se réunit comme chaque année depuis 1954, dans un hôtel de luxe. Bilderberg, c’est la confrérie plus ou moins occulte des plus grosses fortunes mondiales et de leurs serviteurs au sein des gouvernements qui comptent, actionnant les ficelles des Etats qu’ils ont mis en place en finançant en partie leurs campagnes électorales. »
Le post conspirationniste continue ainsi :
« Les maîtres, multimilliardaires internationaux aux identités tenues secrètes, vont se concerter dans un hôtel de luxe pour décider, comme chaque année, d’une stratégie commune et à quelle sauce nous, les peuples du monde entier, serons mangés pour que le système financier actuel continue d’enrichir ces maîtres du monde. Les journalistes n’ont pas le droit d’assister à ces réunions, même si l’un d’eux avait eu recours à une ruse pour y entrer, il y a quelques années, en ressortant avec des informations effrayantes qui se confirmèrent ensuite. »
Et Pierre Péan d’écrire :
« Ces multimilliardaires aux identités tenues secrètes se concertent régulièrement pour décider d’une stratégie commune, autrement dit déterminer à quelle sauce les peuples de la planète seront mangés pour que le système financier existant continue de les enrichir. Les journalistes n’ont évidemment pas accès à ces réunions. »
Il ne fait désormais aucun doute que Pierre Péan s’est directement inspiré de plusieurs sites conspirationnistes pour écrire le paragraphe qu’il a consacré au groupe Bilderberg dans son pamphlet sur Kouchner (cf. le tableau synoptique téléchargeable à la fin de ce post).
Notes :
(1) Christian Losson, Jean Quatremer & Pascal Riché, « Messes basses entre maîtres du monde », Libération, 5 août 2003. Où l’on apprend comment fonctionne le groupe Bilderberg ; que, si les happy few qui y participent sont tous acquis à l’économie de marché, ils sont loin d’être d’accord sur tout (comme sur la guerre américaine en Irak par exemple) ; que des journalistes sont conviés chaque année aux réunions ; que rien ne permet d’affirmer qu’il s’y décide une quelconque « stratégie commune » ; bref, que le groupe Bilderberg est davantage un objet de fantasmes que le lieu où les élites complotent contre le bon peuple en vue d’instaurer la domination mondiale d’une poignée de milliardaires.
(2) « Official 2008 Bilderberg Participant List », PrisonPlanet.com, 6 juin 2008. PrisonPlanet.com a été fondé par le célèbre conspirationniste américain Alex Jones.
(3) Lors de la sortie du livre de Pierre Péan sur le génocide rwandais (Noires fureurs, Blanc menteurs, Fayard, 2005), Hubert Védrine avait déclaré dans un journal belge : « Il fallait quelqu’un comme Péan, qui est farouchement indépendant, qui n’a peur de personne (…), pour établir faits et vérité. Péan ne défend pas tellement une “thèse”. Il apporte une montagne de faits. Il sera intéressant de voir si les faits en question sont réfutés ou pas » (source : Le Journal du Mardi daté du 6 décembre 2005).
(4) « Pour France 5, la “chaine du Savoir” et ses “experts internationaux” qui ne savaient pas : voici la liste des participants au Bilderberg 2008 », Observatoire du Nouvel Ordre Mondial, 6 juin 2008. Cet obscur Observatoire francophone du 11 Septembre et du Nouvel Ordre Mondial fait notamment la part belle aux « analyses » de Thierry Meyssan.
(5) Blog de Bernard Gensane, 7 juin 2008. Le post en question (voir la capture d’écran ci-dessous) renvoie à une page d’un autre site conspirationniste d’extrême gauche, Bellaciao qui, lui-même, renvoie au post de l’Observatoire du Nouvel Ordre Mondial cité ci-dessus.
source :
https://www.conspiracywatch.info/pierre-pean-aurait-il-plagie-des-sites-conspirationnistes_a324.html
je ne retrouve pas l’article immédiatement je l’ai noté quelque part où l’on apprend qu’un haut dignitaire de l’église était aussi présent à la dernière réunion