Comment une entrevue avec l’ambassadeur d’Israël a déclenché une guerre à Beur FM

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Deux animateurs de Beur FM affirment avoir été sanctionnés en raison de leur rencontre avec l’ambassadeur d’Israël. Malgré un mail de réprimande, la directrice conteste.
Par Etienne Girard
a radio Beur FM a-t-elle été victime d’un piratage malveillant ? Ce 28 janvier, le compte Twitter de la station a « aimé » un message aux relents antisémites. « Les juifs français ont normalisé l’islamophobie », assénait le compte @Mama2Diawara, suspendu depuis. Cette mention gênante a été rapidement supprimée. Auprès de L’Express, Djima Kettane, la directrice du média, plaide aujourd’hui l’intrusion informatique : « Nous avons observé une activité anormale sur notre compte Twitter (…) et avons suspecté un piratage. C’est pour cela que nous avons aussitôt modifié notre mot de passe ».
Cet étrange événement s’inscrit dans un climat pesant autour de la station, accusée de censure par Rose Ameziane et Malik Yettou, animateurs de l’émission « L’Actu autrement ». A l’issue d’une rencontre avec l’ambassadeur d’Israël, le 23 décembre dernier, relayée par le diplomate sur Twitter, ils ont reçu un email comminatoire de leur direction. « Pour votre information à tous deux, l’émission ne sera pas reconduite à la rentrée et ce pas avant un bon débrief de notre ligne éditoriale », leur a écrit Djima Kettane, dans ce courriel titré « Tweet ambassade », en lettres majuscules. Aujourd’hui, pourtant, la fondatrice du média balaye la polémique : « Ils n’ont pas été sanctionnés, il n’y a pas de sujet ». Les deux présentateurs affirment au contraire que leur supérieure leur a fait payer cette entrevue. Chaque partie dit envisager une action en justice. Retour sur une affaire dans laquelle l’Etat d’Israël semble être le point sensible déclencheur d’un immense malaise au sein du média communautaire.
Ligne éditoriale subtile
Tout à tour chargée des ressources humaines, des finances, puis directrice de Beur FM, Djima Kettane a fondé la station en 1992 avec son frère Nacer, toujours co-actionnaire de l’entreprise. Ce dernier est un habitué des réseaux sociaux-démocrates, membre du comité de soutien d’Anne Hidalgo à Paris en 2014 puis candidat sur la liste de Cédric Villani en 2020, dans le XXe arrondissement de la capitale. Début 2020, la dirigeante souhaite renouveler l’antenne de sa chaîne. Laïque tout en assumant une proximité avec la communauté arabo-musulmane de France, la radio tente depuis plusieurs années de tenir une ligne éditoriale subtile, mêlant l’attrait pour les traditions à un discours plus moderne. Parmi les animateurs, Abdelali Mamoun, un ancien imam d’Alfortville qui n’hésite pas à critiquer le port du voile, mais aussi Nadia El Bouga, une sexologue voilée qui se revendique « féministe et musulmane ».
Djima Kettane, âgée de 53 ans, projette de mettre en place une émission de débats avec des animateurs nouveaux. Rose Ameziane est approchée. Autodidacte, passée de la caisse à la direction d’une banque en quelques années, puis devenue responsable associative, elle s’est fait connaître en intervenant pendant un an dans l’émission « Les Grandes Gueules », sur RMC. « Nous devions avoir carte blanche », affirme aujourd’hui Rose Ameziane. Elle propose et obtient de présenter le programme avec Malik Yettou, un ancien policier rencontré dans ses activités associatives. L’émission s’appelle « Lundi politique », démarre le 9 février 2020, puis est déplacée le vendredi de 17 heures à 19 heures à partir de septembre. A cette occasion, elle est renommée « L’Actu autrement ».
« Petit laboratoire de liberté »
D’emblée, les deux animateurs choisissent d’accueillir un éventail très large de débatteurs. « Nous voulions créer un petit laboratoire de liberté sur Beur FM », résume Rose Ameziane. Le secrétaire d’Etat Adrien Taquet ou des parlementaires comme la députée LREM Fiona Lazaar sont régulièrement invités. Des personnalités comme Jean Messiha, alors délégué national du Rassemblement national, l’essayiste conservateur Charles Consigny ou des journalistes du Figaro et de Valeurs Actuelles, également. « Ça ne plaisait pas, quand on arrivait dans les locaux, Djima se plaignait de certains invités, jugés trop à droite. Elle nous disait : ‘On n’est pas Cnews' », raconte Malik Yettou. L’accord de normalisation des relations entre Israël et le Maroc, annoncé le 10 décembre dernier, va faire dégénérer ces rapports de travail.
Le 14 décembre, le porte-parolat de l’ambassade d’Israël en France contacte Rose Ameziane, Malik Yettou ainsi qu’un autre animateur de Beur FM sur les réseaux sociaux. « Nous prenons l’initiative, car nous nous disons qu’une partie des auditeurs de Beur FM est d’origine marocaine et qu’il peut donc être pertinent d’évoquer le sujet – très positif à notre sens – à l’antenne. Nous proposons qu’un représentant de l’ambassade puisse participer à un débat sur l’accord à l’antenne. Et ce sans aucun tabou », relate le porte-parole de l’ambassade. Malik Yettou, qui s’entretient au téléphone avec le diplomate, est emballé, il souhaite faire de l’accord le thème d’une prochaine émission. Avec Rose Ameziane, ils appellent Djima Kettane… qui refuse que le sujet fasse l’objet d’un numéro de « L’Actu autrement ».
A partir de ce moment, les versions divergent. Dans un communiqué de presse publié le 31 janvier, Beur FM explique qu’il a été signifié aux animateurs que le sujet serait traité par un autre journaliste de la chaîne : « Il leur a été indiqué qu’en raison de l’importance historique et politique que revêtait cet événement, ce sujet serait traité par l’un des journalistes de la radio plutôt que par des animateurs, dans le respect de la ligne éditoriale et des procédures de Beur FM ». Selon Rose Améziane et Malik Yettou, la directrice leur a seulement indiqué qu’elle ne souhaitait pas donner suite à la sollicitation de l’ambassade d’Israël, pour une question de « ligne éditoriale ».
« Un grand merci aux présentateurs de l’Actu autrement »
Pour nourrir leur réflexion personnelle – « nous ne désespérions pas de convaincre Beur FM », indique aussi Malik Yettou – les deux animateurs acceptent de se rendre à l’ambassade d’Israël, afin de rencontrer le diplomate et son équipe, le mercredi 23 décembre. A l’issue des échanges, l’ambassadeur propose de prendre une photo. Les présentateurs acceptent. C’est ce cliché que va publier le compte Twitter de l’ambassade, à 14 heures 03, accompagné du propos suivant : « Un grand merci aux présentateurs de l’Actu autrement sur Beur FM Rose Ameziane et Malik Yettou, qui rencontraient ce matin D. Saada, ambassadeur par intérim d’Israël en France et Simon Seroussi, porte-parole d’Israël en France, pour un échange agréable, notamment sur le récent accord entre Israël et le Maroc ». Un message relayé dans la foulée par les deux animateurs.


A 16 heures 28, Djima Kettane leur envoie un email, intitulé « Tweet Ambassade » en lettres majuscules. « Bonjour Rose, écrit la directrice, malgré notre conversation, tu as tout de même mêlé la station et ta visite (sic) à l’ambassade. Que tu t’engages personnellement, soit, mais la radio a son mot à dire pour toute représentation extérieure ». Puis elle enchaîne avec l’annonce de la suspension de l’émission, dans l’attente d’un « bon débrief de notre ligne éditoriale ». Auprès de L’Express, Djima Kettane indique avoir été mécontente que « Beur FM soit cité » dans le message entourant cette rencontre. Cette mention n’est pourtant pas le fait de ses présentateurs mais du diplomate israélien. A ce sujet, la dirigeante nous signifie qu’à ses yeux, « la direction doit accréditer les journalistes ou les animateurs » avant toute rencontre. Rose Améziane et Malik Yettou opposent qu’ils n’ont « jamais signé de contrat de salarié » ou de clause d’exclusivité avec Beur FM. Tous deux exercent d’autres activités professionnelles par ailleurs. Dans leur esprit, cette rencontre a donc eu lieu sur leur temps libre.
Virés de leur créneau horaire
Après cette sérieuse réprimande, les émissions de « L’Actu autrement » prévues les 25 décembre, 1er janvier et 8 janvier n’ont pas lieu. Djima Kettane et Rose Améziane se voient le 4 janvier pour une explication. La directrice reproche à l’animatrice de ne pas communiquer à l’avance « le nom des invités et les thèmes ». Un accord est trouvé pour poursuivre l’émission à ces conditions. Un dernier numéro est enregistré le 15 janvier, avant que Beur FM n’annonce sur les réseaux sociaux le décalage de « L’Actu autrement » du vendredi 17 heures au samedi matin. Ce basculement vers un créneau horaire où les auditeurs sont moins nombreux est vécu comme une humiliation par les présentateurs. Ils décident d’ébruiter l’affaire autour d’eux. « Nous aurions pu baisser la tête et faire notre émission le samedi, explique Malik Yettou, mais ce qui s’est passé est trop grave. On ne peut pas couvrir un antisémitisme ambiant, qui aboutit à des sanctions à notre égard ».
Djima Kettane se dit quant à elle particulièrement scandalisée par ces « accusations très graves » : « Depuis trente ans, Beur FM est laïque, s’inscrit dans le débat républicain, dans le respect des valeurs républicaines », fait-elle valoir. La dirigeante réfute toute « sanction » à partir du moment où « l’émission a repris ».
Depuis la révélation de l’affaire par Marianne, ce 28 janvier, les deux parties s’affrontent par médias interposés. A l’antenne de la chaîne I24 news, le 1er février, Adil Farquane, journaliste sur Beur FM, conteste toute censure du sujet et indique que le sujet devait bien être traité dans son émission : « J’ai parlé au porte-parole de l’ambassade d’Israël (…) j’ai réitéré que l’ambassadeur (est) le bienvenu sur l’antenne de Beur FM. Et de toute façon, cela fait déjà quelques semaines que c’était dans les tuyaux ». Contacté à ce propos, le porte-parole de l’ambassade d’Israël se dit « surpris » et précise n’avoir été contacté que très récemment : « Nous avons sollicité Beur FM le 14 décembre et nous avons été appelés en retour le 29 janvier, 24 heures après la publication de l’article de Marianne ».
Piratage
Officiellement, la diplomatie israélienne n’a pris aucune décision sur sa participation à une telle émission. Une interview de ce type ne constituerait pas une première sur la chaîne : le 13 novembre dernier, l’ambassadeur de l’Azerbaïdjan en France a été invité dans l’émission d’Adil Farquane pour évoquer le conflit entre son pays et le Haut-Karabagh, soutenu par l’Arménie.
Quant au tweet antisémite « aimé » brièvement par le compte Twitter de la radio le 28 janvier, Djima Kettane nous explique au téléphone découvrir son existence. Lorsque nous lui envoyons, elle évoque un piratage informatique, à cause duquel le mot de passe du compte Twitter de Beur Fm a dû être changé. La directrice ajoute : « J’ai bien une notification du changement de mot de passe dix minutes après lorsque notre responsable des réseaux s’en rend compte « . Elle n’a pas souhaité nous communiquer cette pièce.
Source :
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/comment-une-entrevue-avec-l-ambassadeur-d-israel-a-declenche-une-guerre-a-beur-fm_2144111.html

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4 Commentaires

  1. Paul06 dit :

    Ce qui m’étonne le plus est le silence des journalistes, juges, politiques. Finalement appeler au boycott d’un pays semble acceptable.

  2. limone dit :

    peu chère !

  3. vrcngtrx dit :

    HS.
    « laboratoire de liberté »
    Ce qui précède est bon à entendre mais, pour aller à l’essentiel :
    .
    https://youtu.be/rTjQDtcyRHY?t=1117

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