Comment LFI a ouvert les portes de l’Assemblée à l’argentier du Hamas

EXCLUSIF. Une ONG présidée par le gestionnaire de fortune du mouvement terroriste palestinien a réussi à organiser un colloque au Palais-Bourbon. Grâce à des élus LFI.
Par Erwan Seznec
Association de droit turc, la Ligue des parlementaires pour Al-Qods et la Palestine a organisé un colloque à l’Assemblée nationale, le 9 février.

L’histoire remonte à février 2024, mais elle était passée sous les radars. Une organisation non gouvernementale turque inféodée au Hamas, et présidée par l’homme qui gère les centaines de millions du mouvement terroriste, a réussi à se faire inviter à l’Assemblée nationale, bernant des élus Insoumis et communistes…
L’homme par qui le scandale arrive s’appelle Hamid Abdullah Hussein al-Ahmar, ou plus simplement Hamid al-Ahmar. Le grand public ne le connaît pas et, apparemment, un certain nombre de parlementaires français et européens non plus. Le Département du trésor américain, en revanche, le connaît très bien. Selon son service de contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control, l’Ofac), Hamid al-Ahmar est un « membre clé » de la gestion des investissements du Hamas.
Longtemps resté secret, ce portefeuille est évalué à 500 millions de dollars. Comme le souligne le Département américain, c’est ce trésor de guerre qui permet aux dirigeants du mouvement terroriste de mener « une vie luxueuse hors des territoires palestiniens ». Ils l’ont confié à des professionnels de confiance et expérimentés, à l’image de Hamid al-Ahmar.
L’ONG, une couverture commode
Cet homme d’affaires quinquagénaire, citoyen yéménite installé en Turquie, est à la tête de plusieurs sociétés. Elles sont basées au Yémen (Saba Islamic Bank, Al Ahmar Trading Group, Al Ahmar Oils Supply…) ou en Turquie (Sabaturk Dis Ticaret, Vivid Enerji Yatirimlari…), avec une antenne en Tchéquie, la compagnie Saba, Trade & Investment.
L’homme apparaît également comme président de la Ligue des parlementaires pour Al-Qods et la Palestine, ou LP4Q (« Al Qods » désigne Jérusalem en arabe). Cette association de droit turc, créée en 2015, se présente elle-même comme un lobby entretenant un réseau de 1 500 parlementaires dans différents pays, en particulier en Europe. Elle est liée au gouvernement d’Erdogan par une convention signée en 2021, et soutenue depuis 2022 par le Conseil de la Shura, qui tient lieu de parlement consultatif au Qatar.

Son allégeance au Hamas ne fait guère de doute. Au moins un des membres fondateurs du mouvement intégriste, Sayed Abu Musameh, siège à son Conseil d’administration. Il y côtoie un certain Zwelivelile Mandela, petit-fils du Nobel de la paix 1993, qui ne marche pas vraiment dans les pas de son aïeul. Il soutient le Hamas avec tellement de virulence que le Royaume-Uni lui a refusé un visa en octobre 2024.
Des informations faciles à trouver
Toutes ces informations sont accessibles en ligne, faciles à trouver. Elles n’ont pas empêché LP4Q de réussir une jolie opération de communication début 2024, sous la forme d’un colloque à l’Assemblée le 9 février, relayée par une pétition publiée dans L’Humanité, le 27 février. Les portes de l’Assemblée avaient été ouvertes par le député honoraire Jean-Claude Lefort, figure du PCF décédé en juin dernier, ainsi que par l’Insoumis Thomas Portes, député de la 3e circonscription de Seine-Saint-Denis.

Parmi les signataires de la pétition, on retrouve plusieurs élus LFI, dont Nadège Abomangolie, députée de la 10e circonscription de Seine-Saint-Denis, troisième à signer après Michele Piras et feu-Jean-Claude Lefort. Clémentine Autain apparaît en dixième position. Éric Coquerel, Antoine Léaument, David Guiraud, Mathilde Panot, Danielle Simonnet, Ersilia Soudais, Aymeric Caron, Aurélien Taché, etc. apparaissent plus bas. Des députés PCF ou EELV (David Cormand, Marie Pochon…) complètent la liste, côté français.
La cheville ouvrière du colloque et de la pétition, qu’il a signée le premier, était l’ancien parlementaire italien Michele Piras, très engagé dans la défense de la cause palestinienne. Député de 2013 à 2018, il déclarait en 2020 sur la page Facebook des jeunes Palestiniens d’Italie que « des millénaires d’existence de la communauté juive en Europe ont produit une contamination très importante », la communauté en question ayant une « manière oppressive d’imposer ses propres valeurs ».
Embarras chez les élus FLI
La pétition publiée dans L’Humanité ne contenait pas de propos aussi ambigus. Elle appelait à « une paix juste et durable en Palestine », avec des références aux violences israéliennes, une évocation du « risque plausible de génocide dans la bande de Gaza » et une mention rapide des « crimes de guerre commis par le Hamas » le 7 Octobre. Le but était sans doute moins d’avancer dans la résolution du conflit que de donner de la crédibilité à la Ligue des Parlementaires pour Al-Qods et la Palestine.
Contacté pour savoir ce qu’il savait de LP4Q en février 2024, Thomas Portes nous a répondu : « Aucune réunion de la Ligue des parlementaires pour al-Qods et la Palestine (LP4Q, en anglais) ne s’est tenue à l’Assemblée nationale, et encore moins sous mon parrainage. » Le problème est que LP4Q assure le contraire, photo à l’appui ! Le député Insoumis semble avoir été berné.
Les autres parlementaires contactés, Nadège Abomangolie, Clémentine Autain et Aurélien Taché, n’ont pas répondu. Les publications du Département du Trésor américain datent d’octobre 2024 seulement, mais les éléments disponibles fin 2023 permettaient déjà de se faire une idée sur la feuille de route de LP4Q. Elle ne vise pas la paix, mais la diffusion des idées du Hamas.
Une vitrine respectable du Hamas
Hamid al-Ahmar est repéré depuis 2012 comme un des masques respectables de la mouvance par les Américains. Il utilisait à l’époque comme couverture une structure charitable libanaise, l’Al-Quds International Foundation.
« Cette affaire met en évidence une fois de plus des dysfonctionnements concernant l’activité des représentants d’intérêts au sein des parlements européens », commente Vincent Chebat, directeur du département francophone de l’OGN israélienne NGO-Monitor, qui a longuement enquêté sur LP4Q, exhumant ce colloque passé inaperçu.

Ces dernières années, le patron pour l’Europe, l’Italien Michele Piras, n’a pas ménagé ses efforts pour nouer des contacts au plus haut niveau. En février 2023, Hamid Abdullah Hussein al-Ahmar en personne l’accompagnait lors d’une visite au Parlement européen, où ils avaient rencontré le vice-président du Comité des libertés civiles. En Belgique, la LP4Q entretient des relations avec le Parti des travailleurs de Belgique (PTB, extrême gauche). Contacté, le député européen belge Marc Botenga, dirigeant du PTB, n’a pas répondu.
Source Le Point