Attentat de La Grande-Motte : El Hussein Khenfri, le raté radicalisé

Le suspect de l’attaque à l’explosif de la synagogue Beth-Yaacov se révèle être un trentenaire à la dérive se rêvant en guerrier. Mais son opération a tourné court.
Par Erwan Seznec et Bartolomé Simon
a vidéo est embarrassante de grandiloquence et de bêtise. Défilent à l’écran le super-héros Iron Man, des enfants aux ailes d’ange, un cavalier bédouin avec son fusil, El Hussein Khenfri lui-même en uniforme militaire, puis un lion drapé des couleurs de la Palestine tenant dans sa gueule un rat enveloppé dans un drapeau d’Israël…
En fond sonore, un rap approximatif : « Votre armée d’Israël ne nous fait pas peur, notre rêve c’est de vous donner la leçon de votre vie et d’en terminer avec votre État […], on attend la petite erreur de votre part, vous allez voir ce que ça vaut, un guerrier algérien… »
El Hussein Khenfri l’a postée sur sa page TikTok le 28 décembre 2023, pour ses 157 abonnés. L’assaillant de la synagogue Beth-Yaacov de La Grande-Motte (Hérault), samedi 24 août, ne semble par ailleurs avoir milité activement dans aucune structure.
Ses comptes Facebook et Twitter ont déjà été fermés. Son compte TikTok ne renvoie pas vers les comités Boycott Désinvestissement Sanction (BDS) de Nîmes (Gard) et de Montpellier (Hérault). Il semblait pourtant préoccupé depuis plusieurs années par la Palestine. En mars 2021, déjà, il poste une photo des drapeaux algérien et palestinien entremêlés.
La guerre de libération algérienne revient dans une autre vidéo relayée sur sa page fin 2023, à la gloire des combattants du FLN. Manifestement, il adhérait au jugement de l’Insoumise Rima Hassan : « Ce que fait Israël à la Palestine n’est pas très différent de ce que la France faisait à l’Algérie. »
Âgé de 33 ans, cet Algérien titulaire d’un titre de séjour avait une fille et des amis. Il s’est filmé avec eux lors de parties de pêche au large de Marseille et Cassis. Son compte TikTok s’appelait « jaipasquesaafaire », mais, en réalité, il semblait désœuvré. Une large majorité de ses relations sur TikTok résident en Algérie.
Squatteur à Pissevin
En France, El Hussein Khenfri habitait dans le quartier populaire de Pissevin, à Nîmes. Plus précisément, en haut d’une tour de la galerie Wagner, connue pour son point de deal très lucratif. Les tarifs des stupéfiants ont été tagués dans le hall de ce « four » situé au fond d’une galerie commerçante en décrépitude. Un hall gardé en permanence par un « chouf » affalé sur une chaise, comme nous avions pu le constater l’été dernier en reportage pour Le Point.
Sur l’esplanade au pied du domicile d’El Hussein Khenfri, un fait divers avait en effet défrayé la chronique il y a quasiment un an jour pour jour : la mort d’un enfant de 10 ans, Fayed, tué à la kalachnikov par des dealers qui visaient une voiture suspecte, à tort.

Depuis, l’État a mis les grands moyens pour retrouver un semblant de paix sociale : d’abord en interpellant les auteurs présumés du meurtre de Fayed, puis en réalisant une vaste opération d’interpellations de dealers, en prévoyant la démolition de la galerie Wagner, et enfin en ouvrant un commissariat au pied du quartier.
Ce commissariat devait être inauguré cette semaine. Mais le bâtiment a été soufflé par une mystérieuse explosion le 21 août… avant que, le 24, le Raid n’intervienne dans le fracas des balles pour interpeller El Hussein Khenfri. La paix n’est donc pas encore totalement acquise.
Attaque éclair
El Hussein Khenfri, lui, était connu des services de police pour des infractions liées aux stupéfiants, sans pour autant dealer. « Son parcours de délinquant n’est pas très parlant », balaie une source policière locale. Il n’était pas non plus connu pour sa radicalisation. Pour les habitants du quartier Pissevin, il s’agissait d’un squatteur, pas d’un résident.
Sur une vidéo postée sur son compte TikTok, El Hussein Khenfri filme son salon puis le balcon de son appartement de la tour Wagner. Un appartement en bon état mais sommairement meublé, équipé d’une télévision. L’Algérien fréquentait, il y a quelques années, la mosquée de l’esplanade de Pissevin. Selon le quotidien Midi Libre, il en a été écarté par des fidèles agacés par son discours « incohérent » et sa « consommation de stupéfiants »…
C’est dans cet appartement de Nîmes que El Hussein Khenfri a été blessé au visage et à l’épaule par le Raid le soir du samedi 24 août. Il s’y est réfugié après l’attaque éclair de La Grande-Motte. Son opération ne s’est pas vraiment déroulée comme prévu. Selon les premières constatations des enquêteurs, El Hussein Khenfri, armé d’une hache et d’un revolver, avait prévu de commettre un massacre dans la synagogue ; après avoir incendié son véhicule. Il n’entendait manifestement pas repartir.
Enquête rapide
Par chance pour les fidèles, il s’est trompé dans les horaires. La prière débute à 8 h 30 en semaine mais à 9 heures le samedi. Sa voiture déjà en feu, l’alerte donnée, coincé devant des portes fermées, il a improvisé. Il a aspergé d’essence une autre voiture, ainsi que les entrées de la synagogue.
Il a ouvert la bonbonne de gaz d’un barbecue qui se trouvait sur place, puis, à court de possibilités de nuire, il s’est enfui à pied. La plaque de sa voiture a facilement pu être repérée par la vidéosurveillance municipale. L’assaillant a aussi gardé son portable sur lui, ce qui a permis aux policiers de retrouver très rapidement sa trace.

Son portrait, saisi très nettement par les caméras de vidéosurveillance, a également facilité l’enquête. Une enquête si rapide qu’elle a avivé les discours complotistes, jugeant l’apparence de l’assaillant trop cliché pour être vraie.
C’est sous-estimer son imprudence et sa bêtise. L’épopée du guerrier vengeur algérien aura ainsi duré quinze heures, sans faire de victime. C’est la bonne nouvelle. La mauvaise est que le profil d’El Hussein Khenfri n’a rien de particulier permettant de détecter une menace. Même a posteriori.
Source
Le Point