ANTISEMITISME :L’intégrale Spirou de Jijé : splendeurs et zones d’ombre
Tous les Spirou dessinés par Jijé entre 1940 et 1951 réunis en un volume, quelle bonne idée ! Cette compilation confirme le talent précoce et exceptionnel d’un dessinateur qui a été le mentor de Franquin, de Morris, de Will ou de Giraud et le fondateur de l’École de Marcinelle.
Les éditions Dupuis poursuivent la réédition des premières aventures deSpirou entamée par celles dessinées par Rob-Vel à partir de 1938. Ce volume est le complément indispensable de La Véritable Histoire du Journal de Spirou de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault publiée en 2013. Il est d’autant plus précieux qu’il réunit les histoires peu connues du Jijé de la période de guerre et de la Libération, un moment d’une intense production dont on retrouve la plupart des dessins dans la très riche introduction de 96 pages qui précède cette publication.
Jijé s’y avère une illustrateur d’une puissance exceptionnelle, aussi bien dans le dessin que dans la lettre. Un rival d’Hergé, qu’il avait regardé avec intelligence à ses débuts, tout en insufflant au dessin raide du Bruxellois un swing d’une incroyable vitalité. S’il avait eu la même cohérence, notamment scénaristique, que le créateur de Tintin et sans doute un éditeur aussi fin que Charles Lesne chez Casterman, il aurait été un rival sérieux du reporter à la houppe. Mais la famille Dupuis croyait en l’industrie de labeur -son imprimerie familiale- et n’avait pas encore anticipé à quel point l’industrie du divertissement allait prendre une telle ampleur dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale.
Un magnifique travail iconographique accompagne cette publication.
Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault reviennent en détail sur le passage de relais entre Rob-Vel et Jijé et sur les circonstances particulières qu’impose l’Occupation à la famille Dupuis. Le Journal de Spirou est d’ailleurs interdit par la Propagande allemande, principalement en raison du fait que les éditions Dupuis, dont le fondateur Jean Dupuis est réfugié en Angleterre pendant l’Occupation, refusent de laisser entrer un administrateur allemand dans leur entreprise.
On découvre aussi les dessous de la création du personnage de Fantasio par Jean Doizy et Jijé. On imagine que le scénariste de Spirou le voyait dans la lignée de la création d’Alfred de Musset : un personnage fantasque -un Allemand dans la pièce : faut-il y voir une impertinence de la part des auteurs ?- qui joue le fou du roi. Les recommandations de l’écrivain et rédacteur en chef de Spirou l’imaginaient sous les traits de Jean-Louis Barrault, le comédien français rendu célèbre par Drôle de drame de Marcel Carné. Mais Jijé ne tient pas compte du personnage aux cheveux noirs de jais que lui suggère Doizy [1] et nous concocte un grand dadais blond ébouriffé dont la fonction de fournisseur de gags apparaît dès la première case.
Faites au jour le jour, ces histoires sont le plus souvent décousues mais recèlent une bonne humeur qui cadre parfaitement avec la ligne du journal paraissant dans une époque bien sombre. Le travail de documentation des préfaciers est impressionnant, allant jusqu’à retrouver un chauffeur de camion des éditions Dupuis auquel Jijé rend hommage.
On regrette cependant une absence d’analyse des récits publiés dans ce recueil et une contextualisation qui s’arrête à l’histoire interne du journal. C’est particulierement vrai dans le premier épisode complet dessiné par Jijé entaché d’antisémitisme, Spirou fait du cinéma (1940), où l’on retrouve le cliché du producteur juif hollywoodien popularisé par Céline dans son pamphlet antisémite Bagatelles pour un massacre où il dénonce « l’emprise juive » sur le cinéma. Ce ne sont d’ailleurs pas les seules traces d’antijudaïsme chrétien présentes dans l’œuvre de Jijé, mais ici, circonstance aggravante, elles apparaissent précisément au début de l’Occupation allemande. Il est toujours dommageable de laisser circuler ce genre de cliché sans une sérieuse explication de texte.
Reste que le mérite de cette publication est de mettre ces archives à la disposition des chercheurs.
Dommage que les traces de l’antijudaïsme propre à l’Occupation ne soient pas contextualisées.
(c) Dupuis
source :
http://www.actuabd.com/L-integrale-Spirou-de-Jije
Pendant la guerre et ensuite pendant l’occupation, la propagande nazie et les caricatures de juifs étaient omniprésentes dans les pays occupés.
C’est ce qui a provoqué cette curieuse anecdote très peu connue sur le tailleur de « Les maisons préfabriquées ».
A l’origine, à la fin de l’histoire, (donc au moment ou Franquin venait de reprendre Spirou), dans le numero 441 de 1946 de Spirou, le tailleur au nez recourbé chez qui va Fantasio est la representation caricaturale, exacte et grossière de ce que les allemands faisaient sur les juifs pendant l’ocupation. (voir ci dessous la version originale de 1946 dans le journal de Spirou)
Franquin en avait honte de ce dessin, ou plutot de cette caricature. « C’était l’influence imbécile d’une caricature que les nazis faisaient des juifs pendant l’occupation », disait par la suite André Franquin, « J’ai été affligé d’un père antisémite. Moi-même, je ne l’ai jamais été, mais tout de même, il y a cette influence de la propagande nazie juste pour ce dessin la… »
Résultat, Franquin, au moment de rééditer l’histoire en album a tout simplement redessiné cette case! (Voir ci-dessous)
source :
http://www.inedispirou.com/forum/viewtopic.php?f=64&t=1902
Tous ces vieux clichés et esquisses m’ont toujours mis hors de moi… Il faudrait que cela cesse grâce à des lois très strictes, c’est mon point de vu.